Les entreprises sous emprise de la finance
Les cinquante dernières années ont été marquées par un retour en force du capital parmi les parties prenantes des entreprises. Ce mouvement de financiarisation, associé à... Lire la suite
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Après le plan d'urgence de plus de 110 milliards d'euros débloqué depuis le début de la crise et les 300 milliards d'euros de garanties de prêts pour les entreprises, le gouvernement annonçait le 4 juin que l'État apporterait 40 milliards d'euros pour soutenir plusieurs secteurs très touchés par le confinement : 18 milliards pour le tourisme, 8 milliards pour l'automobile… des financements pour les secteurs de la technologie, de l'aéronautique et du petit commerce sont également dans les tuyaux.
La Banque centrale européenne (BCE) annonçait, pour sa part, que son programme d'achat d'urgence pandémique « PEPP » visant à limiter les effets de la crise sanitaire, avait été gonflé de 600 milliards d'euros supplémentaires, en plus des 750 milliards d'euros déjà dégagés mi-mars pour racheter des obligations publiques et privées. Grosse chute. Gros magot. Relance économique oblige. On n'avait plus vu autant d'argent public sur la table depuis la crise financière de 2008, quand il avait fallu sauver les banques de la débâcle.
Dans l'intervalle, ce sont les peuples européens qui ont payé la facture, avec la réduction inexorable de leurs services publics de santé, de retraite, d'éducation, induite par les cures d'austérité. La violence et les lourdes conséquences humaines de cette crise sanitaire inédite générera-t-elle une prise de conscience ?
« Ce que révèle cette pandémie, c'est qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché », déclarait Emmanuel Macron au plus fort de la crise sanitaire. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie, au fond, est une folie. » Évoquant les mesures à prendre pour contenir le désastre, il a même répété plusieurs fois : « Quoi qu'il en coûte ».
Parce que de l'argent, il y en a. Et l'État pourrait financer son surcroît de dépenses par une politique fiscale mieux ciblée et plus juste. Pour les défenseurs du dogme libéral, l'augmentation des impôts est évidemment taboue ; Bruno Lemaire a déjà assuré qu'il n'y en aurait pas.
Pourtant, il est fondé de penser, sans parti pris idéologique, que : « Jamais, depuis longtemps, les services publics n'ont été perçus aussi nécessaires par la population, comme l'analyse la Fédération des finances de la CGT dans sa brochure “Tout changer !”, qui détaille son projet pour l'avenir. Il ne devrait donc pas être difficile de justifier le financement de leur développement par la fiscalité. À condition, toutefois, que celle-ci soit juste et perçue comme telle, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Obtenir un tel consentement à l'impôt suppose donc une profonde réforme du système fiscal. Ce doit même être une des bases du nouveau contrat social qui permettra de reprendre collectivement en main notre avenir et d'envisager sereinement les jours d'après. »
Certaines mesures, comme la mise en place d'une véritable politique de lutte contre l'évasion fiscale, dépendent uniquement de choix gouvernementaux et pourraient avoir un impact très rapide. En effet, combattre l'évasion fiscale pourrait rapporter une centaine de milliards d'euros par an, auxquels s'ajouterait un montant sensiblement équivalent si l'exécutif supprimait aussi les niches qui permettent d'exercer l'optimisation fiscale en toute légalité.
L'adoption d'une vraie taxe sur les transactions financières pourrait également permettre de limiter la spéculation et de renflouer les caisses de l'État. Côté entreprises, le relèvement de l'impôt sur les sociétés serait une mesure bénéfique pour les finances publiques ; mais la contribution ne devrait pas s'avérer plus lourde, comme aujourd'hui, pour les PME que pour les grandes entreprises. Ces dernières devraient renoncer aux diverses exonérations type CICE, CIR… dont elles sont les principales bénéficiaires.
« Le gouvernement pourrait également décider d'avoir une fiscalité différente selon la contribution des entreprises à l'intérêt général et environnemental », ajoute Jean-Philippe Gasparotto, responsable de l'union syndicale CGT de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et secrétaire du comité de groupe.
Côté particuliers, serait-il si choquant de demander aux plus riches de contribuer à « l'effort de guerre », tellement martelé par le chef de l'État au plus fort de la crise, en instaurant un impôt progressif sur le patrimoine qui irait au-delà du rétablissement de l'ISF ?
Rendre l'impôt sur le revenu plus progressif, en augmentant le nombre de tranches et en portant concrètement le taux marginal – c'est-à-dire le taux auquel est imposée la dernière tranche du revenu d'un contribuable – à 65 % serait également une vraie mesure en faveur d'un meilleur partage de la charge contributive. La baisse de la TVA et l'instauration d'un taux zéro pour les produits de première nécessité seraient un autre levier pour permettre de revenir sur un impôt qui, proportionnellement, pèse davantage sur les plus faibles revenus.
Avec des actifs de l'ordre de 1 000 milliards d'euros, le pôle financier public – créé en 2018, avec la transformation de la CDC en Banque des territoires et son regroupement avec La Poste – est devenu l'une des plus grandes banques du monde. Elle gère notamment l'épargne populaire comme celle du livret A.
« L'orientation de l'épargne populaire doit être protégée et bien rémunérée ; or, elle est inférieure à l'inflation depuis deux ans, explique le syndicaliste. Durant le confinement, les ménages auraient accumulé 55 milliards d'euros d'épargne, que le gouvernement voudrait bien capter, en les injectant dans l'économie réelle, et couvrir prioritairement les besoins des entreprises. Mais il faudrait aussi adjoindre des objectifs d'intérêt général, tels que le financement d'urgence d'investissements pour l'hôpital public et celui de la construction de 200 000 logements sociaux par an. »
Alors que l'on compte 1 200 000 demandeurs de logements sociaux, seulement 90 000 de ces logements ont été construits en 2019. La CGT réclame globalement la construction de 500 000 logements par an. Quand on sait qu'un logement construit équivaut à deux emplois créés, la politique du logement pourrait être un vrai pilier de la relance économique.
Le secteur bancaire pourrait apporter sa pierre à l'édifice. « Il n'y a rien d'essentiel à poursuivre la construction de moteurs diesel, mais il y a nécessité, pour les salariés comme pour notre santé, à fabriquer des respirateurs pour nos hôpitaux. Les exemples peuvent se multiplier, explique Valérie Lefebvre-Haussman, secrétaire générale de la fédération des banques et assurances CGT.
Les banquiers sont loin de ces pratiques. Tout autant qu'ils l'ont été après la crise financière de 2008. Parce que la stratégie d'investissement doit être en phase avec un État stratège, il y a le besoin de missions de services publics à fixer au secteur bancaire. »
Enfin, le dernier étage de la fusée, pour financer un projet de société plus solidaire et écologique, serait de réformer le financement à l'échelon européen, où la logique capitaliste reste souveraine. Les modalités insensées d'emprunt à la BCE en constituent la démonstration. Aujourd'hui, les pays membres sont toujours contraints d'emprunter les masses d'euros mises en circulation par celle-ci via des banques privées qui appliquent des taux d'intérêt plus élevés et des modalités de remboursement strictes.
Si la BCE rachetait davantage de dette publique – comme le réclament le Portugal et l'Espagne –, cela permettrait un meilleur refinancement des États en période de crise économique aiguë. Le hic, c'est que cette politique ferait baisser la valeur de l'euro par rapport au dollar et donc chuter la rémunération de l'épargne des possédants. Conclusion : l'argent existe mais sa répartition est une question politique qui appelle à davantage de transparence et à davantage de participation de la part des citoyens.
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