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Récit

Pour François-Yves Guichet, c'est l'accident au travail. La vie doit alors se réorganiser.

17 juillet 2023 | Mise à jour le 17 juillet 2023
Par | Photo(s) : Idriss Bigou-Gilles et Hans Lucas
Pour François-Yves Guichet, c'est l'accident au travail. La vie doit alors se réorganiser.

Jean-François Guichet © Idriss Bigou-Gilles / Hans Lucas

Que serait La Vie ouvrière sans les vies ouvrières qui témoignent de la réalité du quotidien ? En l’occurrence, l’histoire de trois travailleurs et travailleuses contraints de se réorienter après un accident du travail. L’article est extrait du numéro #06 de La Vie Ouvrière.

François-Yves Guichet n'est pas né avec un handicap. Il a appris à composer avec lui après un accident du travail qui l'a contraint à se réorienter, comme deux autres salariées qui témoignent dans les pages du trimestriel La Vie Ouvrière . Reconverti dans la logistique, il a appris à accepter ce « je » différent. Il témoigne du douloureux processus de deuil, de la lente reconstruction physique et professionnelle, avant de finalement trouver sa place et de s'épanouir dans une seconde vie. Reconnus comme travailleur handicapé, l’ex-cuisinier a pu s'appuyer sur les structures existantes pour se former à un autre métier et retravailler. Sa réussite ne saurait cacher une autre réalité : en dépit d'incitations à l'embauche, le taux de chômage des personnes en situation de handicap reste presque deux fois supérieur à la moyenne nationale, à 13 % contre 7,4 % à fin 2021. En dépit de conventions signées entre l'Agefiph et de grands groupes, l'objectif de plein-emploi en 2027 visé par le gouvernement semble relever de la pensée magique. Pour rappel, la loi du 10 juillet 1987 oblige les entreprises de 20 salariés et plus à embaucher des salariés en situation de handicap, à hauteur de 6 % de l'effectif. à défaut, elles sont tenues de verser une compensation financière à l'Agefiph. Selon les chiffres de la Dares, 628 000 travailleurs handicapés étaient employés dans les 107 900 entreprises assujetties à l'obligation d'emploi. D'après le rapport annuel du Défenseur des droits, le handicap reste le premier critère de discriminations. En effet, 20 % des réclamations reçues concernent des discriminations en raison du handicap, devant celles liées à l'origine et à l'état de santé.

François-Yves Guichet est opérateur logistique sur une plateforme régionale de Lidl à Béziers, où il réceptionne et contrôle les marchandises. L'ancien cuisinier a été reconnu comme travailleur handicapé après un accident du travail survenu en 2011.  Ses lésions à la main l'ont obligé à changer de métier. à 47 ans, il s'est construit une seconde vie professionnelle. Mais le travail de deuil lui a pris beaucoup de temps. « C'était ma vie, d'être cuisinier. Mais du fait de mon handicap, je n'ai plus la même préhension de la main. Je ne supporte plus le froid, je ne peux plus porter de charges lourdes. L'acceptation d'avoir été et de ne plus pouvoir, c'est très, très dur. »

Quand l'ex-cuisinier a vu ses doigts pendouiller à 45 degrés, une pensée toute bête lui a traversé l'esprit. « Je me suis dit que j'allais quand même pouvoir prendre l'avion la semaine d'après pour partir en Thaïlande, où je voulais ouvrir un restaurant. » En 2011, François-Yves Guichet travaille alors dans un restaurant parisien, où l'on accède aux cuisines en sous-sol par une trappe métallique, qui s'écrase sur sa main droite et la sectionne. « Après trois ou quatre opérations, je ne sais plus très bien, les chirurgiens ont réussi à sauver ma main« , raconte François-Yves Guichet. Il se souvient : « En parallèle de ce travail de reconstruction, j'ai intenté un procès pour faute inexcusable contre mon ancien employeur, qui a été condamné. Le bon côté de cette période, c'est que j'ai pu m'occuper de ma fille à 100 %. Et puis, j'ai rencontré celle qui allait devenir ma femme. » En 2014, trois ans après son accident du travail, son état de santé est considéré comme consolidé.

Une reconversion inattendue

Se pose alors la question de la reconversion. L'ex-cuistot doit faire le deuil d'un métier passion. « C'était ma vie, d'être cuisinier. Mais, du fait de mon handicap, je n'ai plus la même préhension de la main. Je ne supporte plus le froid, je ne peux plus porter de charges lourdes. L'acceptation d'avoir été et de ne plus pouvoir, c'est très, très dur. Je ne peux plus jouer au tennis. Je peux encore gratter les cordes de ma guitare, mais avec un médiator. S'accepter comme handicapé suppose un cheminement psychologique, voire spirituel. J'ai eu la chance d'être bien accompagné « , témoigne le quadragénaire. Reconnu comme travailleur handicapé, François-Yves Guichet apprend à se recentrer. « L'essentiel de ma vie aujourd'hui, ce n'est plus mon travail », confie-t-il. La famille déménage dans le Sud-Ouest, lui se construit une seconde vie professionnelle, en tâtonnant. « J'ai d'abord passé un diplôme avec l'Afpa sur la gestion et le management en restauration collective. Puis, via Cap emploi, j'ai été recruté au Crédit Agricole. J'y suis resté suffisamment longtemps pour me rendre compte que ce métier n'était pas fait pour moi. J'ai ouvert une agence de voyages, ce qui m'a permis de travailler tranquillement, jusqu'à la crise sanitaire. Quand Handiwork m'a proposé de travailler dans la logistique, chez Lidl, je me suis dit que ça n'avait pas de sens ! »

Il faut admettre qu'une reconversion pour une personne en situation de handicap dans un tel secteur est assez inattendue. D'après les statistiques de la Dares, les transports et l'entreposage restent parmi les secteurs les plus exposés aux risques, avec 66 959 accidents du travail en 2019. Par ailleurs, l'enseigne de distribution allemande fait plus souvent la une des journaux pour ses déplorables conditions de travail et ses salaires insuffisants que pour son sens de l'accueil. Recruté en CDI il y a trois ans, l'opérateur dresse un tout autre portrait. « J'ai rencontré des gens très humains, avec des attentes adaptées à mes capacités. Aujourd'hui, je réceptionne et je contrôle les marchandises, avant de les aiguiller vers les différents rayonnages. Je ne porte plus de charges, je ne travaille pas dans le froid. Je dois avoir vingt ans de plus que mes collègues, ce qui amène un rapport particulier. Certains d'entre eux ont des parcours passionnants. Et puis, je travaille jusqu'à 13 h 20, ce qui me permet de profiter de mon après-midi.«  Le regard que porte son entourage professionnel sur son handicap est bienveillant. « Personne ne m'a jamais demandé ce que j'avais, c'est agréable. Certains collègues ne sont même pas au courant de mon handicap. Quand ils l'apprennent, ils sont surpris. »

Article à retrouver dans le numéro #06 « Travail : reprendre la main » de la revue la Vie Ouvrière.