Pour gérer le surendettement, l’effacement des dettes des ménages ne suffit plus
Le lieu a son importance. C'est au Cese, l'institution de la République symbole du dialogue et des propositions des diverses composantes de la société pour l'intérêt général, que la CGT de la Banque de France réunissait, le 11 février, experts, dirigeants associatifs et militants syndicaux pour « mettre en lumière les missions de la Banque de France au service de la société et montrer les difficultés auxquelles se heurtent agents et usagers, suite aux suppressions d'emplois et d'implantations de l'institution sur le territoire », selon Fabienne Rouchy, secrétaire générale du syndicat.
Les limites de la procédure
À peine une semaine après leur publication, les résultats de l'enquête typologique sur le surendettement de 2018 menée par la Banque de France sont édifiants. « Ils montrent deux aspects. L'un, plutôt positif, et l'autre, beaucoup moins, présente Marie-Agnès de Chérade de Montbron, de la direction des particuliers à la Banque de France. Si l'on raisonne en termes de primo-déposants – ces ménages qui déposent un dossier pour la première fois –, on est revenu, en 2018, au niveau de dépôt de 1990, date à laquelle la loi sur le surendettement a été votée. Or, la population française a aujourd'hui beaucoup augmenté. »
Autrement dit, proportionnellement, le nombre de recours à la procédure de surendettement a baissé. « La mauvaise nouvelle, poursuit-elle, c'est que le profil des personnes surendettées évolue vers un public de plus en plus fragile. Le terme de “surendettement” prenait tout son sens, fin 1989, quand la loi [Neiertz, NDLR] a été votée, car c'était une période où l'on avait très fréquemment recours aux crédits à la consommation. Or, aujourd'hui, la population concernée est un public fragile, qui a du mal à faire face à ses charges courantes. »
Un changement de la population concernée
En clair, on est passé d'une population trop endettée à une population qui n'a plus de quoi vivre. « Le surendetté se paupérise. Du coup, la lutte contre le surendettement n'est pas une solution pérenne, même si on en vient à effacer les dettes. On touche aux limites de la procédure. »
Sans surprise, environ 25 % des surendettés sont des chômeurs, la moitié n'a aucune capacité de remboursement, deux sur trois sont des personnes isolées – les femmes étant beaucoup plus touchées. Et d'évoquer le phénomène du « grain de sable », c'est-à-dire la panne de la machine à laver, ou de la voiture, qui fait basculer l'économie d'un ménage fragile.
Combien de gilets jaunes parmi eux ? Combien de travailleurs pauvres ? Dans les premiers débats menés par Emmanuel Macron sur le territoire national, 35 % des personnes ont dit avoir renoncé à des aides auxquelles elles auraient pu prétendre, parce que c'était trop compliqué. Seule la moitié des dossiers est accompagnée par un travailleur social.
Un accompagnement réduit à peau de chagrin
Le témoignage d'une assistante sociale pointe pourtant les difficultés grandissantes pour avoir un interlocuteur précis et les difficultés encore plus importantes pour obtenir un accueil physique à la Banque de France en vue d'accompagner les procédures des demandeurs et d'obtenir des réponses sur mesure selon les dossiers. Tout se passe désormais par téléphone, par e-mail et souvent à travers des réponses standardisées.
Or, selon les chiffres de la CGT, les effectifs dédiés aux particuliers à la Banque de France vont être réduits de 43 % à l'horizon 2020. La Banque de France en est à son quatrième PSE en quinze ans, qui aboutira, en 2020, à une réduction de 40 % de ses effectifs, une diminution principalement concentrée au niveau du réseau de proximité.
« Même si les outils ont évolué, que la loi permet d'aller plus vite dans le traitement de la procédure, il faut du personnel disponible pour assurer un service public de proximité et de qualité aux usagers et travailleurs sociaux, répond Fabienne Rouchy. Avec des gains de productivité de quasiment 50 % par rapport à 2015 dans le traitement des dossiers, c'est mission impossible. »
Violence symbolique et stigmatisation sociale
Derrière le constat des chiffres, les conséquences humaines sont désastreuses. « Ces procédures de surendettement arrivent souvent au bout d'un très long processus de disqualification et de dégradation économique d'un ménage, explique Fabien Tocqué, coordonnateur de l'Union nationale des associations familiales (UNAF). Mais aussi d'un processus d'exclusion bancaire, puisqu'au fil de la procédure, la relation avec la banque se dégrade au point parfois de mener à l'exclusion totale avec au bout une souffrance sociale très concrète, faite de privations et de conséquences sur la vie familiale. »
Dans le réseau des UDAF, qui siègent dans les commissions de surendettement départementales, on parle même de ces procédures comme d'une mort sociale : les personnes concernées ne peuvent se résoudre à reconnaître qu'elles sont surendettées, tout simplement parce que « c'est honteux ».
La procédure de désendettement aide, mais la stigmatisation demeure
Les avantages techniques de la procédure de désendettement sont indéniables et permettent une véritable bouffée d'oxygène, mais la stigmatisation, l'atteinte à la dignité de la personne, la violence symbolique font aussi souvent partie intégrante de la démarche.
Pour lutter contre le non-recours à cette procédure – 2 millions de personnes seraient en situation de la demander – et pour mieux conseiller les usagers, l'UNAF revendique la création de points conseil budgets (PCB), afin de prévenir leurs difficultés financières et les orienter, le cas échéant, vers les services de la Banque de France.
Plus d'effectifs pour davantage de proximité
Pour Dominique Delaporte, animateur du secrétariat national ATD Quart Monde, la relation de confiance et de respect dans la durée sont un prérequis à l'accompagnement des populations rurales en situation de pauvreté. Et de pointer leur particularité : « Chômage, manque de logement, soucis de santé… les leviers de pauvreté sont les mêmes que pour les urbains, sauf que les ruraux subissent en plus l'éloignement [des services publics, NDLR]. »
À ce titre, la CGT regrette que la Banque de France « ne mette pas les effectifs nécessaires à un accueil de qualité sur tout le territoire, conformément à son contrat de service public ; les renseignements donnés par un site Internet, un portail, une brochure, un dépliant ne remplaceront jamais les échanges avec un agent compétent. Les explications que l'on peut donner à l'oral diffèrent en fonction du niveau de compréhension de l'interlocuteur. » Face à la multiplication des éloignements, il s'agit en fait de sauvegarder un lien social.