En raison de la crise, le gouvernement reporte au 1er juin la fin de la trêve hivernale. Une réponse insuffisante face à l'explosion des impayés de loyers et de charges anticipées par la Fondation Abbé Pierre. Et face au manque de logements sociaux que sa politique a contribué à aggraver.
Alors que la Fondation Abbé Pierre présentait son 26e rapport sur « L'état du mal-logement en France », le gouvernement a annoncé le 2 février sa décision de reporter de deux mois la fin de la trêve hivernale. Ni expulsions ni coupures d'énergie ne pourront donc être effectuées avant le 1er juin.
Une disposition déjà mise en œuvre à deux reprises l'année dernière, avant qu'il soit décidé qu'aucune expulsion ne pouvait être exécutée sans relogement. Leur nombre a ainsi chuté de 16 700 en 2019 à 3 500 en 2020. « On va être au moins sur cette ligne, on ne peut pas imaginer, cette année, d'expulsion sèche sans relogement ou au moins hébergement », a annoncé la ministre déléguée au logement, Emmanuelle Wargon, devant la Fondation Abbé-Pierre. « En sortie de trêve, il s'agira d'échelonner les expulsions avec le concours de la force publique pour maintenir les personnes fragiles dans leur logement, en indemnisant systématiquement les bailleurs publics ou privés » a-t-elle précisé.
Mais qu'en sera-t-il après ? Dans son rapport la Fondation Abbé Pierre met en garde contre les effets de la crise sociale produite par la crise sanitaire. Si leur ampleur est inconnue, la Fondation alerte sur plusieurs signaux très inquiétants et parle d'une « bombe à retardement » concernant le « mal logement ».
La situation financière de 32 % des Français s'est dégradée depuis le début de la crise sanitaire
Selon le sondage Ipsos, réalisé en janvier pour la Fondation, la situation financière de 32 % des Français s'est dégradée depuis le début de la crise sanitaire. Les jeunes (43 % des 18-24 ans) et les plus démunis (55 % des allocataires des APL — aides personnalisées au logement) sont les premiers affectés et le recours à l'aide alimentaire est en forte hausse, surtout chez les jeunes.
Si le nombre des impayés de loyers reste inconnu, le sondage Ipsos est parlant : 24 % des locataires ont eu des difficultés pour payer leur loyer, la proportion montant à 42 % chez ceux qui reçoivent des APL. Et 12 % des sondés ont par exemple eu recours à l'aide de proches. In fine, 29 % des Français expriment des craintes liées à leur logement.
Les personnes qui ont vu leur situation se fragiliser sont y compris des personnes relativement protégées en temps normal, mais pour qui perdre de 20 à 30 % de leurs 1 200 ou 1 500 euros de revenu mensuel est difficilement surmontable (chômage partiel non compensé, arrêt des pourboires, baisse des missions d'intérim, etc.) Si le poste logement représente en moyenne 25 % des dépenses des ménages français, pour les plus modestes et les précaires c'est souvent plus de la moitié.
La « bombe à retardement » des impayés de loyers
Pour les nouvelles victimes de la crise c'est l'engrenage : après avoir pioché dans leurs économies pour payer leur loyer elles restreignent les budgets alimentation, santé… jusqu'à ce que cela ne suffise plus.
Elles viendront donc s'ajouter aux personnes qui étaient déjà en procédure pour impayés de loyer. Or, quand les expulsions locatives reprendront, aux 15 000 ou 16 000 expulsions annuelles en temps normal s'ajouteront également les personnes non expulsées en 2020, mais qui sont toujours en contentieux. Une véritable « bombe à retardement » alerte la fondation Abbé Pierre qui craint un « quasi-doublement des expulsions locatives » à la fin de la trêve hivernale.
Face à l'attentisme du gouvernement, la Fondation Abbé Pierre exhorte ce dernier à anticiper la situation en créant un fonds national pour les impayés de loyers et de charges afin de venir en aide aux ménages en difficulté. Sauf qu'Emmanuelle Wargon n'en est déjà plus là.
Un manque abyssal de logements sociaux
« Cette prolongation de la trêve hivernale s'accompagne (…) d'un objectif de construction de 250 000 logements sociaux en deux ans » a précisé la ministre devant la délégation de la Fondation Abbé Pierre. Car la situation est inquiétante : 2,1 millions de ménages sont déjà en attente d'un logement social et, en prime, à cause de la crise sanitaire, le nombre d'attributions de HLM devrait chuter de 20 % par rapport à l'année dernière. Soit 100 000 de moins par rapport à 2019 et autant de ménages supplémentaires sans solution de logement (personnes qui sortiraient d'hébergement d'urgence, sont sans logement, se séparent…)
En cause : l'embouteillage dans la chaîne d'attribution des logements sociaux (impossibilité de faire des états des lieux d'entrée et de sortie lors du premier confinement, locataires inquiets pour l'avenir et qui ne déménagent pas…)
Construction de logements sociaux, mixité… depuis plusieurs semaines Emmanuelle Wargon semble vouloir reprendre la main tous azimuts. Entre autres déclarations, le 7 décembre, elle faisait savoir sur RTL que « cette année, pour la première fois, l'État [allait] sanctionner plus de la moitié des villes » qui, ne respectent leur 25 % de logements sociaux obligatoires aux termes de la loi Solidarité et renouvèlement urbain (SRU). En fait, des villes qui sont surtout réfractaires à la mixité sociale que la ministre dit vouloir relancer. Poussant plus avant, le 12 février la ministre déclarait au Figaro : « Cette loi s'arrête en 2025, ma volonté est de la prolonger au-delà de 2025 ». Et d'annoncer un projet de loi en ce sens.
L'appauvrissement planifié des bailleurs sociaux
Soit. Poussé par la crise, le gouvernement consent à un petit rattrapage en matière de construction de logements sociaux. Il n'a pas pour autant l'intention de revenir sur les décisions désastreuses du quinquennat en matière de politique du logement.
Or, il est évident que le « choc de l'offre » promis par la loi Évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN — 2018) n'a pas eu lieu. Résultat de ses choix politiques, le nombre de permis de construire n'a pas cessé de baisser depuis l'élection d'Emmanuel Macron. Outre la suppression de l'aide aux maires bâtisseurs ou encore la limitation du prêt à taux zéro, c'est le modèle économique des organismes HLM qui a été attaqué dans l'objectif de les appauvrir.
L'effet ne s'est pas fait attendre puisqu'ils ont été acculés à réduire tant l'entretien de leurs immeubles que la production de logements sociaux. Ainsi leurs recettes ont été lourdement ponctionnées (près de 7 milliards d'euros) pour alimenter le budget de l'État ce dont Action Logement qui gère la Participation des Employeurs à l'Effort de Construction (PEEC) a également été victime (1,3 milliard d'euros en 2021).
Et pendant ce temps-là la réforme des APL entre en application au bénéfice de l'État
Autre dispositif poursuivant le même but, la réduction du loyer de solidarité – RLS appliquée par les bailleurs sociaux aux locataires dont les ressources sont inférieures à un certain plafond – s'est accompagnée d'une baisse des APL (les fameux 5 euros) et d'une réforme de leur mode calcul, selon les revenus les plus récents. Reportée à plusieurs reprises, celle-ci est finalement entrée en vigueur le 1er janvier dernier.
En raison de la crise, elle ne va rapporter à l'État qu'entre 500 et 700 millions d'euros au lieu du 1,2 milliard escompté. Mais sur le fond rien ne change : le principal objectif de cette réforme est « de réaliser des économies sur le dos des ménages les plus modestes » fustige la CGT dans son communiqué. Peu soucieux de la cohésion sociale, le gouvernement se désengage de leur protection.
Son plan de relance de l'économie de 100 milliards d'euros en est d'ailleurs l'illustration. Non seulement il ne prévoit rien pour lutter contre la montée de la pauvreté, mais il n'accorde que des miettes au logement social : 500 millions d'euros d'aide à la rénovation pour les bailleurs sociaux, rien pour qu'ils relancent la construction. Pourtant, ne dit-on pas couramment que « quand le logement va, tout va » ?