Les retraites gelées avant l’hiver
Lors de son discours de politique générale, le nouveau Premier ministre, Michel Barnier, a lâché une petite bombe ciblant les retraités : le report de six mois, de janvier... Lire la suite
Après avoir critiqué le « pognon de dingue » mis dans les aides sociales sans résorber la pauvreté, après avoir déclaré, en juin 2018, qu'en matière de protection sociale, « la solution n'est pas de dépenser toujours plus d'argent », Emmanuel Macron a bien été contraint, avec la crise sanitaire, de mobiliser les filets de sécurité de notre système de protection sociale (assurance maladie, assurance chômage, allocations familiales, notamment) et de mettre en pause les réformes des retraites et de l'assurance chômage.
C'est peu dire qu'il a fait une entorse majeure à sa doxa libérale. Car depuis son accession à l'Élysée, son quinquennat a été marqué, notamment, par une baisse des allocations logement, des revalorisations insuffisantes des minima sociaux (minimum vieillesse, allocation adulte handicapé, prime d'activité) et par l'ouverture des chantiers de réforme des retraites et de l'assurance chômage.
Emmanuel Macron n'a jamais fait mystère de son ambition de réduire les dépenses sociales publiques qui représentaient 30 % du produit intérieur brut (PIB) en 2018, contre une moyenne de 21 % dans les pays de l'OCDE. Mais la pandémie est venue rebattre les cartes, contrarier provisoirement cette ambition.
La crise sanitaire, ainsi que ses impacts économiques et sociaux, révèlent une nouvelle fois le rôle déterminant de notre système de protection sociale, mais aussi ses faiblesses, ses insuffisances et la fragilité de son financement.
Ce rôle n'est pas nouveau comme le rappelait, le 11 octobre dernier dans plusieurs quotidiens régionaux, l'historien Michel Dreyfus : «La Sécu a joué, et joue encore, un rôle d'amortisseur de la crise sanitaire. On ne peut la voir uniquement d'un point de vue économique : ses conséquences sociales sont absolument bénéfiques. Mais la crise sanitaire et économique a aussi des retombées sur elle. Elle l'affecte financièrement car les dépenses de santé et le chômage augmentent. Ça se paye… Avant la crise sanitaire, la Sécu était proche de l'équilibre financier. Il est maintenant renvoyé à un avenir incertain. »
Cette nouvelle crise résulte des décisions souveraines des États qui ont conduit à mettre brutalement à l'arrêt des pans entiers de l'appareil productif générant à la fois une hausse du chômage, qui touche désormais plus de 9 % de la population active (chiffre Insee du 10 novembre 2020), une dégradation du PIB et une perte de recettes sociales et fiscales.
Mais aussi une explosion des dépenses de santé immédiates dues à la pandémie et une forte croissance à venir de ces dépenses. En effet, on doit s'attendre à des vagues sanitaires successives du fait de la quasi-monopolisation du système hospitalier par le Covid, qui a engendré des retards de diagnostic et de traitements et des renoncements aux soins. Et donc, plus globalement, une montagne de dettes publiques contractées par l'État et le système de protection sociale pour amortir les dégâts et les souffrances provoqués par la chute de la production.
Alors qu'elle était annoncée sur la voie d'un retour à l'équilibre comptable, la Sécurité sociale connaîtra un déficit inédit évalué à 45 milliards d'euros en 2020, et à 20 milliards d'euros les années suivantes en raison de la chute des recettes. Si pour l'heure, Emmanuel Macron et son équipe s'en tiennent à conforter la stratégie du « quoi qu'il en coûte », l'exécutif a néanmoins déjà commencé à répondre à la question que tout le monde se pose légitimement : « Qui va payer la note ? »
Pour financer les déficits, le gouvernement a prévu de mettre à contribution les organismes de protection sociale complémentaire (mutuelles, institutions de prévoyance, assurance santé) avec une taxe exceptionnelle à hauteur de 1,5 milliard d'euros, en estimant qu'ils avaient réalisé des économies sur les remboursements de santé durant le premier confinement.
Nul doute qu'à terme cette ponction sera répercutée sur les cotisations. Il a aussi inscrit dans le PLFSS (projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2021) la création d'un « forfait patient urgence » en cas de passage aux urgences sans hospitalisation, ce qui est le cas dans 80 % des cas. Le gouvernement prévoit également 4 milliards d'euros d'économies à l'hôpital public alors même que les soignants tirent le diable par la queue. Par ailleurs, le gouvernement a fait adopter, en août dernier, le transfert de quelque 136 milliards de dettes de l'Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss) vers la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades).
Techniquement, il s'agit notamment de 31 milliards d'euros de déficits passés auxquels s'ajoutent 13 milliards d'euros pour la reprise d'un tiers de la dette des hôpitaux, annoncée fin 2019 dans le cadre du plan d'urgence pour l'hôpital. Sommes auxquelles on ajoute 92 milliards d'euros de déficits sociaux prévisionnels 2020-2023 liés à la crise actuelle et aux futurs investissements dans les établissements publics de santé qui ont été décidées dans le cadre du Ségur de la santé.
Ainsi le remboursement du déficit social est étalé dans le temps puisque la date de fin de remboursement de la dette portée par la Cades est repoussée de 2024 à 2033. Ce transfert aboutit à faire financer cette dette exclusivement par les salariés et les retraités puisque le financement de la Cades est assuré par la CRDS (Contribution au remboursement de la dette Sociale) et la CSG dues au titre des revenus d'activité et de remplacement par tous les salariés.
Ce faisant, le gouvernement exonère les entreprises de toute contribution à l'apurement des déficits sociaux alors qu'elles vont bénéficier de 20 milliards d'euros de réductions d'impôts.
Dès le début de la pandémie, les syndicats ont exigé du gouvernement le report, voire l'annulation, de la réforme de l'assurance chômage et de celle des retraites qui sont, l'une comme l'autre, porteuses de régression en matière de couverture sociale. Le gouvernement a néanmoins renoncé ni à l'une ni à l'autre. D'autant moins qu'il peut en espérer des économies afin de rétablir l'équilibre des comptes.
Concernant la réforme de l'assurance chômage, reportée à avril 2021, il n'a pas renoncé à durcir les conditions d'indemnisation. Ainsi, le ministère du Travail prévoyait initialement de durcir ces conditions en portant à six mois, sur une période de référence de vingt-quatre mois, la durée de travail nécessaire pour ouvrir des droits au chômage.
Sous la pression des syndicats il a allégé cette mesure en portant la période de référence à vingt-sept mois. Il ne renonce pas non plus à la réforme sur le rechargement des droits au chômage. Initialement, la réforme prévoyait que le seuil de rechargement des droits soit fixé à six mois. Finalement, le ministère du Travail envisage de l'abaisser à quatre mois.
Du côté des retraites, alors que le déficit devrait dépasser 25 milliards d'euros en 2020, selon une note du Conseil d'orientation des retraites (Cor), on imagine mal le gouvernement renoncer à l'une des réformes phares du quinquennat. D'autant que les libéraux l'y poussent et entendent bien « profiter » de ce déficit pour justifier le caractère impérieux de la réforme.
Ainsi, l'Institut Montaigne a publié une note, le 27 octobre dernier, intitulée « Réformer les retraites en temps de crise ». Le think tank libéral estime que « si les réformes de financement étaient nécessaires auparavant au regard des données publiées dans ces rapports il y a un an, elles sont devenues indispensables : la crise accélère la dégradation financière de notre régime et la nécessité de sa réforme ». Et si l'Institut Montaigne écarte un scénario d'augmentation des cotisations ou de baisse des pensions, il plaide pour un recul de l'âge de départ à la retraite
Alors que le système de protection sociale est mis en difficulté par la baisse des recettes, le moment n'est-il pas venu de repenser son financement ? Pour l'asseoir sur des bases socialement plus justes, pour l'indexer sur la création de richesses, pour qu'il soit enfin favorable à la création d'emplois. C'est ce que revendique la CGT, en proposant depuis de nombreuses années la modulation du taux de la cotisation des employeurs.
« Il serait différencié en fonction de la masse salariale et des choix de gestion de l'entreprise par la création d'une surcotisation patronale », explique la confédération. Le but serait de faire cotiser plus l'entreprise qui ferait le choix de la précarité et de bas salaires. En s'appuyant notamment sur les calculs réalisés par les services techniques des régimes de retraite complémentaire, la CGT propose aussi, depuis plusieurs années, de réaliser l'égalité salariale femmes-hommes susceptible de rapporter, à terme, plus de 20 milliards d'euros par le surcroît de cotisations versées par les salariées et leurs employeurs.
Elle revendique aussi la suppression des exonérations de cotisations patronales, dont on a vu, depuis des années, qu'elles « dissuadent les employeurs d'augmenter les salaires et encouragent le développement d'emplois à faible niveau de qualification et/ou précaires », pointe la CGT. De nouvelles recettes pourraient aussi être dégagées par un déplafonnement des cotisations salariales et patronales. Attachée au financement de la protection sociale par les cotisations et non par la fiscalisation, la CGT, qui était opposée à la création de la CSG par Michel Rocard en 1991, propose de la transformer en cotisation salariale et patronale.
Enfin, elle revendique d'élargir l'assiette des cotisations à toutes les formes de rémunération : l'intéressement, les primes, la participation et l'abondement patronal au plan d'épargne d'entreprise et au plan épargne pour la retraite collectif (Perco), ainsi que les stock-options et les attributions d'actions gratuites dont bénéficient certains salariés. De nouvelles recettes qui créeraient aussi de nouveaux droits, notamment en matière de retraite. Enfin, la CGT propose la création « d'une contribution sociale assise sur les intérêts et dividendes versés par l'entreprise à ses actionnaires et aux souscripteurs d'obligations ».
Car, tandis que depuis vingt ans les cures d'austérité ont été imposées aux assurés, aux retraités, aux familles, aux bénéficiaires des minima sociaux, aux hôpitaux – avec les dégâts que l'on mesure aujourd'hui –, les dividendes versés par les entreprises du Cac 40 ont augmenté de 269 % selon l'Observatoire des multinationales et Attac.
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