26 juin 2018 | Mise à jour le 28 juin 2018
Le gouvernement réforme le régime de Sécurité sociale des artistes-auteurs sans les avoir consultés. Inquiets des conséquences, ces derniers se sont mobilisés le 21 juin pendant que leurs organisations professionnelles étaient reçues au ministère de la Culture… Sans résultat.
La France, si fière de son rayonnement culturel (littéraire, musical, cinématographique…), serait-elle en train de fragiliser ses auteurs et, in fine, la création artistique ? Jeudi 21 juin, environ deux cents artistes-auteurs manifestaient place Colette à Paris pendant que leurs organisations professionnelles (Société des gens de lettres, SNAA-FO, SNAP-CGT, SNAC…) étaient reçues au ministère de la Culture. Objet de leur inquiétude et de la réunion du jour : la présentation de la réforme issue de la loi de financement de la Sécurité sociale pour l'année 2018. Non seulement elle a été concoctée sans aucune concertation préalable avec les intéressés, mais elle remet entièrement en cause leur système de Sécurité sociale spécifique. Ce 21 juin, faute de ministre au rendez-vous, la délégation est repartie sans les engagements attendus mais avec la confirmation de l'impréparation technique de la réforme à six mois de sa mise en œuvre. L'inquiétude est à son comble et la colère monte parmi les artistes-auteurs.
Tout le monde au même régime
Ils sont plasticiens, scénaristes, photographes, écrivains, illustrateurs (littérature jeunesse…), dessinateurs de bande dessinée, compositeurs ou encore chorégraphes, etc. Pour leur protection sociale (assurance maladie, maternité, vieillesse, invalidité, décès) ces près de 270 000 artistes-auteurs relèvent actuellement d'un régime spécifique, rattaché au régime général de la Sécurité sociale. Deux organismes collecteurs encaissent leurs cotisations sur les revenus issus de ventes d'œuvres et de droits d'auteur : la Maison des artistes qui s'occupe des auteurs des arts graphiques et plastiques (peinture, sculpture, gravure, illustration…) et l'Association pour la gestion de la Sécurité sociale des auteurs (Agessa) à laquelle sont rattachés tous les autres (écrivains, photographes, musiciens, cinéastes…) Or, la dernière loi de financement de la Sécurité sociale prévoit de transférer le recouvrement de ces cotisations au réseau Urssaf, à compter du 1er janvier 2019 pour l'Agessa et du 1er janvier 2020 pour la Maison des artistes. À terme, ces deux organismes sont donc menacés de disparaître avec, en sus, des interrogations quant à l'avenir de leur centaine de salariés.
Décision unilatérale du gouvernement
Certes, l'Agessa et la Maison des artistes ne sont pas exemptes de tout reproche. Aucune élection n'a été organisée depuis quatre ans pour élire les représentants des artistes-auteurs au conseil d'administration, ils n'informent pas toujours suffisamment les artistes sur leurs droits (certains ont même découvert en fin de carrière qu'ils ne toucheraient que peu de retraite, voire pas du tout), etc. Alors, « simplifier et améliorer notre régime social : oui ! » clament les syndicats, mais « le déstructurer sans concertation : non ! » Car les artistes-auteurs ne veulent pas être « privés d'un guichet compétent à l'écoute de leurs spécificités professionnelles », précise la CGT. C'est tout l'enjeu des discussions que les artistes-auteurs réclament à leur ministre. Si la réforme de leur régime, avec l'unification des deux organismes, est bien annoncée depuis plusieurs années, ils n'ont eu de cesse de réclamer, sans succès, une concertation sur le sujet. Le gouvernement a tranché la question de façon unilatérale avec la loi de financement de la Sécurité sociale (suppression des élections et transfert aux Urssaf).
Des auteurs en voie de paupérisation
Et la réforme ne s'arrête pas là. Augmentation de la CSG qui n'est toujours pas compensée de façon pérenne, paiement par tous les auteurs d'une cotisation retraite de 7%, prélèvement de l'impôt à la source, menace sur l'Afdas (organisme collecteur des fonds pour la formation professionnelle)… La complexité administrative (et les éventuelles pénalités de retard) est pointée pour des artistes-auteurs qui, pour beaucoup d'entre eux, ne perçoivent que de très petits revenus : 41 % des auteurs gagnent moins que le Smic avec des à-valoir (avance sur les droits d'auteur) de plus en plus faibles ; si tous bénéficieront d'une retraite grâce à la réforme, la grande majorité ne gagne pas suffisamment pour pouvoir être affiliée au régime actuel et voit se profiler la cotisation obligatoire avec appréhension. Dans un tel contexte de paupérisation, comment le gouvernement entend-il mettre en œuvre ses réformes sans fragiliser davantage les artistes-auteurs ? Sans en menacer beaucoup de disparition ?
Mobilisation unitaire
Dans un courrier adressé le 22 juin au ministère de la Culture et à celui des Affaires sociales, les organisations professionnelles, dont les syndicats CGT, disent attendre « une intervention, pour éviter une catastrophe annoncée au 1er janvier 2019 ». « Techniquement, expliquent-elles, aucune solution n'étant prête, aucune information claire n'étant donnée aux artistes-auteurs sur les modalités de mise en œuvre, nous demandons un calendrier prévisionnel et le début de travaux communs, effectués dans une concertation réelle. » Dans son appel à la mobilisation, la CGT demandait par ailleurs le « maintien pérenne sur le site d'agents des organismes, reclassés Urssaf, dispensant un « service attentionné » pour les artistes-auteurs ; la création d'un « pôle ressources » spécialisé pour expertiser les demandes d'ouverture de droits […] des artistes-auteurs ; des élections professionnelles pour administrer le régime […] ; à conserver l'Afdas comme interlocuteur unique en matière de formation professionnelle […] ».
Et de conclure avec l'ensemble des organisations professionnelles : « La rénovation du régime des artistes-auteurs est un enjeu de la plus haute importance pour la vitalité créative et le rayonnement culturel de la France. Si la culture est véritablement un enjeu de civilisation pour notre gouvernement et notre pays, il est temps de le prouver ! » Car nul ne voudrait que l'histoire retienne que la lente disparition des artistes-auteurs français aura commencé alors que leur ministre de tutelle n'était autre qu'une éditrice en vue, Mme Nyssen.