IVG dans la Constitution, une victoire pour toutes les femmes
Le Parlement (réunion des députés et sénateurs) réuni à Versailles ce 4 mars 2024 a inscrit dans la Constitution « la liberté garantie » du droit à l’avortement. La... Lire la suite
Le 17 janvier dernier à Paris, une manifestation célébrait les 40 ans de la loi Veil légalisant l'avortement, tandis que la veille Marisol Touraine, ministre de la Santé, annonçait des mesures pour en faciliter l'accès. Si la loi de 1975 est encore dans les esprits, on connaît peu celles qu'elle a abolies. L'occasion de revenir sur les textes de 1920 et 1923 qui condamnaient l'IVG.
«Quiconque par aliments, breuvages, médicaments, violences, ou par tout autre moyen, aura procuré l'avortement d'une femme enceinte, sera puni de réclusion.» La même peine sera appliquée à l'avortée. L'article 317 du Code pénal de 1810 réprime clairement l'avortement. Si une nouvelle loi apparaît en 1920, c'est que tout au long du XIXe siècle, une bataille s'ouvre entre les néo-malthusiens et les natalistes. Les premiers réclamant l'abrogation de l'article 317, les autres, son renforcement, alors qu'on assiste à une généralisation de l'avortement due à un assouplissement de la tutelle religieuse sur les mœurs et à de nouveaux moyens abortifs comme les sondes intra-utérines.
Au lendemain de la guerre franco-prussienne de 1870, quand on constate un fléchissement des naissances en France et une hausse en Allemagne, les débats se durcissent. Dès lors, comme l'expliquent fort bien Jean-Yves Le Naour et Catherine Valenti dans leur «Histoire de l'avortement»(1), ce dernier devient un problème politique et pas seulement moral.
Sous le slogan «Assez de chair à plaisir! De chair à travail! De chair à canon! Femmes, faisons la grève des mères!», les néo-malthusiens prônent une limitation des naissances au sein du prolétariat. Celle-ci améliorera les conditions de vie, augmentera les salaires, du fait d'une baisse du nombre des travailleurs et, à plus long terme, ébranlera la société bourgeoise. Leurs thèses s'étalent dans les journaux, les tracts et lors de conférences publiques.
En 1896, le pédagogue libertaire Paul Robin fonde la Ligue pour la régénération humaine. La légalisation de l'avortement fait encore son chemin chez certains médecins qui ont montré qu'au premier stade de la gestation, l'embryon n'est pas encore un être humain. Pour le docteur Madeleine Pelletier, féministe et socialiste radicale, «la femme enceinte n'est pas deux personnes, elle n'en est qu'une et elle a le droit de se couper les cheveux, les ongles, de se faire maigrir ou engraisser.» Elle déclare: «Sur notre corps, notre droit est absolu puisqu'il va jusqu'au suicide.»
En face, les natalistes crient au crime antipatriotique et créent l'Alliance nationale contre la dépopulation. «Comment maintenir sur la terre la race française?» s'alarme le docteur Bertillon qui voit dans l'avortement un péril national. Les «repopulateurs», comme on les nomme, réclament un renforcement des sanctions. Il faut dire que l'article 317 du Code de 1810 est peu appliqué, les jurys d'assises sont plutôt cléments envers les avortées.
Le total des condamnations annuelles ne dépasse qu'exceptionnellement la trentaine. Les natalistes s'emparent alors de certains procès pour mener bataille. Ainsi, en 1891, éclate l'affaire Thomas. Clémence Thomas avoue avoir pratiqué des dizaines d'avortements depuis vingt ans. Lors de son procès, 49 femmes avortées comparaissent. Si la faiseuse d'anges écope de douze ans de travaux forcés, les 49 prévenues sont acquittées.
En 1891, le député Georges Trouillot dépose un projet de loi pour que les affaires d'avortement soient jugées en correctionnelle, afin d'éviter la clémence des jurys d'assises. En 1910, le garde des Sceaux Louis Barthou et le sénateur Odilon Lannelongue font de même.
La Première Guerre mondiale interrompt les discussions qui ne reprennent qu'en 1919. Par souci de faire passer le texte rapidement, on extrait les mesures les plus consensuelles du projet de loi, à savoir la provocation à l'avortement et la propagande anticonceptionnelle. L'avortement reste un crime. La loi est adoptée le 31 juillet 1920 à une très large majorité. Le conflit de 14-18 est passé par là. Pour beaucoup, il y a urgence à repeupler la France.
Emprisonnement de six mois à trois ans pour quiconque aura fait campagne pour l'avortement ou aura vendu des moyens abortifs. Un mois à six mois de prison envers ceux qui ont mené une propagande anticonceptionnelle. En fait, la loi de 1920 entrave toute forme d'information sexuelle. Malgré la loi, le nombre des avortements ne fléchit pas.
En 1923, une autre loi va tenter de renforcer la répression, en abaissant les peines et en faisant passer l'avortement du statut de crime à celui de délit, afin d'éviter les jurys populaires. Mais là encore, rien n'y fait, les avortements sont aussi nombreux et la baisse de la natalité continue. Les théories anglo-saxonnes sur le contrôle des naissances vont se répandre dans les années 1930, la fameuse méthode Ogino a le vent en poupe, comme quoi la répression ne sert pas à grand-chose… Il faudra attendre les lois Neuwirth de 1967 et Veil de 1975 pour que les textes de 1920 et 1923 soient abolis. Enfin, sur le territoire français, car elles restent applicables dans les anciennes colonies, comme actuellement au Burkina Faso et, jusqu'en 2006, au Togo.
(1) Jean-Yves Le Naour et Catherine Valenti, « Histoire de l'avortement, XIXe-XXe siècle », paru chez Aubier en 2003.