À venir
Votre identifiant correspond à l'email que vous avez renseigné lors de l'abonnement. Vous avez besoin d'aide ? Contactez-nous au 01.49.88.68.50 ou par email en cliquant ici.
HAUT
NUCLÉAIRE

Quel avenir pour Fessenheim?

1 juillet 2020 | Mise à jour le 1 juillet 2020
Par | Photo(s) : Éric DEXHEIMER / SIGNATURES
Quel avenir pour Fessenheim?

Le 22 février 2020, le réacteur no 1 de la centrale nucléaire a été définitivement mis à l'arrêt. Le réacteur no 2 l'a été hier, mardi 30 juin. Au-delà des questions liées au développement du mix énergétique, c'est tout un bassin d'emplois qui va souffrir.

Mix énergétique : répartition des différentes sources d'énergies primaires consommées dans une zone géographique donnée.

Mise en service en 1977, la centrale nucléaire de Fessenheim, dans le Haut-Rhin, a vu l'arrêt définitif de sa première tranche s’effectuer dans la nuit du 21 au 22 février 2020.

De son côté, la Fédération nationale des mines et de l'énergie (FNME-CGT) se positionne pour un mix énergétique incluant le nucléaire et milite pour la création d'une filière industrielle de démantèlement des installations nucléaires socialement et économiquement responsable.

La CGT, au niveau régional, a aussi planché sur un projet innovant de démantèlement pour Fessenheim. Explications.

Douze réacteurs voués à la fermeture avant 2035

Après l'annonce, à l'automne 2019, de l'arrêt du projet Astrid (création d'un prototype de réacteur de quatrième génération permettant de recycler les combustibles nucléaires usés), c'est un nouveau coup dur porté à la filière nucléaire française. La PPE (programmation pluriannuelle de l'énergie) prévoit de réduire la part du nucléaire, avec douze autres réacteurs fermés d'ici 2035.

Fessenheim a donc inauguré la série avec la fermeture de sa seconde tranche de 900 mégawatts le 30 juin. La FNME-CGT parle d'un « gâchis financier énorme, car ces deux réacteurs pouvaient fonctionner et répondre aux besoins en énergie pendant encore de nombreuses années ».

Héritière d'une France de la planification industrielle misant sur son avancée technologique pour s'émanciper de sa dépendance énergétique, la centrale nucléaire de Fessenheim est marquée par une histoire mouvementée. Sa construction donne lieu à des manifestations de protestation menées par le mouvement naissant des écologistes antinucléaires, notamment venus d'Outre-Rhin.

Et c'est pour honorer l'accord entre Europe Écologie Les Verts (EELV) et le PS porté par le candidat François Hollande durant sa campagne électorale de 2012, qu'Emmanuel Macron décide de sa fermeture huit ans plus tard. Sauf que le même Emmanuel Macron avait promis dans sa propre campagne présidentielle que tous les emplois seraient maintenus.

Or, le couperet s'abat tandis que rien n'a été décidé pour la reconversion d'un bassin d'emplois sinistré. Ainsi, en 2020, la fermeture de la centrale scandalise une forte proportion de la population régionale, qui le réalise avec stupeur. Le président Macron est pourtant venu rassurer dans la région fin 2018, avec une magnifique campagne de communication « Choose France Grand Est ».

Ne promettait-il pas aussi un « Airbus » des batteries électriques sur le territoire ? Mais le secteur automobile et le site de production d'Hambach, en Moselle, baptisé « Smartville », vacillent et une nouvelle usine de batteries sera bien implantée, mais par Telsa et en Allemagne.

Fessenheim poumon régional

Située en Alsace, région qui a perdu plus de 10 000 emplois au cours des dix dernières années, la centrale nucléaire emploie surtout des métiers manuels (chaudronniers, électriciens, chimistes etc.). Le site lui-même compte 850 salariés EDF et 250 prestataires (plus d'un millier de salariés), et près de 5 000 personnes seront impactées par sa fermeture.

La centrale représente encore un débouché pour la formation des jeunes du lycée professionnel d'Obernai (bac pro, BTS), de l'école d'ingénieurs Insa de Strasbourg ou de l'université de Haute Alsace (source : cabinet d’expertise 3E). C'est aussi une source importante de recettes fiscales pour les différentes collectivités territoriales (région, département, commune). Et pour remplacer les emplois perdus, on comprend la colère qui s'exprime quand sont évoqués des projets aussi inconsistants que celui de zones franches transfrontalières.

Au-delà de l'impact sur l'emploi, la fiscalité et les services publics, Fessenheim répond aussi à des besoins qui risquent de ne plus être couverts en matière de fourniture d'électricité pour les particuliers et les entreprises. Et lorsqu'il faudra compenser, ce sera probablement avec des centrales à charbon ou à gaz.

C'est en effet grâce à la centrale nucléaire qu'est garantie la stabilité de la tension et de la fréquence requise pour les autres industries, et notamment la chimie. L'hiver dernier, Fessenheim a permis d'éviter un épisode de rupture lors d'un pic de grand froid. Le soutien au réseau français par les importations d'électricité allemandes, d'origine éolienne ou photovoltaïque, avait alors montré ses limites en l'absence de soleil et de vent.

Depuis l'arrêt de la première tranche, le réseau est tendu et on a presque tous les jours des alertes réseau. Jean-Luc Cardoso, délégué CGT de la centrale

Quant à d'autres fournisseurs (notamment la Suisse), il n'est pas rare qu'ils pratiquent une bien rentable rétention, préférant mettre leur électricité sur le marché lorsque le mégawatt/heure atteint 500 € (au lieu d'un prix ordinaire d'environ 50 €). Fessenheim est encore, à ce jour, un atout pour tenir la stabilité de la tension électrique entre la France, l'Allemagne et la Suisse.

« Depuis la fermeture de la première tranche, nous avons des alertes qui montrent que nous sommes à la limite de nos capacités de fourniture pour la stabilité du réseau », se désole Jean-Luc Cardoso, délégué CGT de la centrale nucléaire de Fessenheim. Le syndicaliste est persuadé que le réseau électrique sautera au premier coup de froid après la fermeture de la deuxième tranche…

Un projet CGT

Au niveau national, la FNME-CGT se positionne, comme nous le disions, pour un mix énergétique incluant le nucléaire, et milite pour la création d'une filière industrielle de démantèlement des installations nucléaires socialement et économiquement responsable.

La fédération souhaite la placer sous maîtrise publique et sous le régime de la coopération, de sorte qu'elle ne soit pas livrée aux appétits financiers. À ce jour, il y a en France six sites de démantèlement nucléaires gérés par EDF. Il s'agit de Chooz (Ardennes), Brennilis (Finistère), Saint-Laurent A (Loir-et-Cher), Chinon A (Indre-et-Loire), Creys-Malville (Isère), Bugey 1 (Ain).

Ces chantiers s'étalent sur plusieurs décennies et concernent neuf réacteurs de technologies très différentes. Selon le cabinet d'expertise 3E, mandaté par la CGT Grand Est, les neuf réacteurs en cours de démantèlement ne sont pas représentatifs du parc exploité à Fessenheim.

C'est donc sur un projet de démantèlement innovant que la CGT a planché pour Fessenheim. Celui-ci comporte plusieurs volets : tout d'abord, la création d'un technocentre pour recycler sur place les matériaux, avec notamment une fonderie. « Le problème est que les politiques allemands n'en veulent pas et font pression. De plus, EDF vient d'annoncer qu'elle souhaite envoyer les six générateurs de vapeur de 300 tonnes pour être traités en Norvège », s'agace Jean-Luc Cardoso.

Le deuxième volet concerne la formation.  « Nous avons de grands locaux techniques, des bureaux équipés de liaisons informatiques, des matériels qui pourraient servir à l'apprentissage et à la formation pour toute sorte d'installations industrielles, leur exploitation, leur réparation, pour la R&D », poursuit le syndicaliste.

Outre le démantèlement et la formation, la CGT propose aussi de créer une Force d'action rapide technologique (Fart), avec des personnels formés pour intervenir et aider sur des sites en difficulté technologique.

La proximité des moyens de transport (aéroports, autoroutes, pistes pour hélicoptères) permettrait à ces spécialistes de se rendre rapidement sur n'importe quel site industriel en difficulté face à certains incidents. « La protection civile est vite débordée dans les accidents industriels. Dans une situation telle qu'on l'a connue pour Lubrizol, des équipes de spécialistes capables d'intervenir rapidement ne seraient pas inutiles. »

Dernier étage du projet CGT, la constitution de moyens supplémentaires de production d'électricité pour au moins alimenter la fonderie en projet de construction. Cela pourrait être par une centrale à gaz, mais aussi, pourquoi pas, par la construction d'un EPR de nouvelle génération qui serait « moins gourmand en équipements que celui de Flamanville ».