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Réforme des retraites

Retraités en activité : « Si j'avais le choix, j'arrêterais de travailler ! »

14 février 2023 | Mise à jour le 14 février 2023
Par | Photo(s) : Vincent Feuray / Hans Lucas via AFP
Retraités en activité : « Si j'avais le choix, j'arrêterais de travailler ! »

Pour faire passer la pilule de sa réforme, le gouvernement souhaite assouplir les dispositifs permettant de cumuler emploi et retraite. Alors que les débats autour de la réforme ont mis en lumière les difficultés auxquelles sont confrontés les seniors pour rester en emploi, la Vie Ouvrière a mené l’enquête sur ces personnes contraintes de continuer à travailler une fois arrivées en retraite.

Gendouz Hechemaoui a 79 ans. Dix heures par semaine, il travaille chez Mediapost, une filiale du groupe La Poste où il distribue des flyers publicitaires dans des boîtes aux lettres. Son salaire, d’environ 400 euros net par mois, lui permet de compléter sa retraite de 1050 euros. Arrivé en France en 1975, il commence à travailler à cette époque au gré des contrats qu’il trouve. Un temps ouvrier du bâtiment, il finira par intégrer Mediapost en 2004. « Le travail y est difficile, ça demande beaucoup de marche. On travaille quand il fait froid, quand il fait chaud. Si encore ça payait, mais ce n’est pas vraiment le cas… » souffle-t-il. Pour lui, continuer à travailler alors qu’il touche une pension de retraite n’est pas un choix. « Je dois aider mes enfants et ma pension ne me le permet pas… »

Comme lui, de nombreux retraités travaillent comme distributeurs chez la filiale du groupe la Poste. « Sur les 6000 distributeurs, environ 20 % sont des retraités, nous confie un représentant du personnel de l’entreprise. Ça va de 62 à 79 ans, la grande majorité ont des parcours cabossés, certains ont connu des périodes de chômage et cela les conduit à toucher des petites retraites. Beaucoup d’entre eux sont embauchés chez nous à temps partiel, mais nous avons aussi certains retraités à temps plein. »

Le secteur de la distribution publicitaire est particulièrement friand de travailleurs retraités. « C’est un secteur qui emploie à temps partiel des retraités qui n’arrivent pas à se faire embaucher ailleurs, explique le représentant du personnel de Mediapost. En grande distribution, ils préfèrent prendre des jeunes. » Dans l’entreprise concurrente, Milee – ex-Adrexo-, le taux d'emploi de retraités est également particulièrement élevé. « Sur les 11 000 salariés, 30 à 40 % sont des retraités, explique Sébastien Bernard, délégué syndical central CGT. Certains le font car ils s’ennuient, d’autres car ils n’ont pas le choix. »

C’est le cas de Glyn Evans. Aujourd’hui, il travaille à temps plein au SMIC chez Milee. À 68, il perçoit une retraite de 1300 euros, pour une carrière complète débutée à l’âge de 15 ans. Un montant qui ne lui permet pas de s’acquitter de ses charges, dû notamment à l'emprunt qu’il a contracté pour acheter son logement. « Je n’ai pas les moyens de vivre avec la retraite que je perçois, explique-t-il. Cet emploi me permet de payer ma maison sans m'empêcher de manger. Mais si j’avais le choix, j’arrêterais ! » Comme lui, plusieurs de ses collègues poursuivent leur activité par nécessité : « C’est un travail qui est dur et qui n’est pas adapté pour des personnes de plus de 65 ans. Moi j’ai de la chance d’être en bonne santé, mais je vois des collègues encore en poste à 80 ans, qui ont du mal à marcher… Ce sont des gens qui n’ont pas le choix. » Certains de ses collègues continuent par ailleurs à travailler afin de continuer à bénéficier d’une mutuelle, particulièrement coûteuse à partir d’un certain âge.

31 % des cumulants

Selon les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DRESS), en 2020, 495 000 assurés sont en situation de cumul emploi-retraite, soit 3,4 % des retraités de 55 ans ou plus résidant en France. Ce dispositif permet de reprendre ou de poursuivre une activité professionnelle après l’âge de la retraite et de cumuler ses revenus liés à une pension. Selon la situation des assurés, le cumul peut être total ou partiel. À ce jour, la reprise ou la poursuite d’une activité ne permet pas d'acquérir de nouveaux droits à retraite. C’est cette disposition que le gouvernement entend réformer en permettant que les périodes d’activité lors de la retraite puissent ouvrir de nouveaux droits. De son côté, la retraite progressive concernerait 24 000 nouveaux retraités en 2020.

La Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) a mis en lumière différents profils type de retraités actifs, sans pouvoir déterminer le nombre de retraités travaillant par nécessité. En effet, l’institution ne dispose pas d’une vue globale sur la situation des personnes ( sur le revenu du.de la conjoint.e, notamment. )

Selon ses chiffres de 2015, 24% des cumulants correspondent au profil type « Hommes partis avec un départ anticipé carrière longue ». Sur les 168 490 retraités correspondant à ce profil, 80% sont des hommes, et ils perçoivent une retraite annuelle tous régimes de 19 500 euros. Le deuxième profil-type, le plus important numériquement, est celui des cadres et représente 45 % des cumulants. Sur les 314 190 retraités de cette catégorie, 60 % sont des hommes, et ils perçoivent une retraite annuelle moyenne de 26 000 euros. Pour la majorité des cumulants, donc, superposer travail et retraite ne relève pas de la nécessité.

C’est dans le troisième profil type que l’on retrouve les retraités les plus précaires. Cette dernière catégorie, intitulée « Femmes-aléas de carrière » représente 220 170 personnes. Ces 31% cumulants se distinguent par un niveau d'emploi bien plus faible que dans les autres catégories. Sans surprise, ce profil est composé à 79% de femmes, dont les carrière ont souvent été interrompues par des naissances. Il concerne aussi des hommes ayant connu des périodes de chômage parfois importantes. Le montant de pension tous régimes de ce groupe est beaucoup plus faible que les autres catégories, 10 600 euros par an en moyenne. Les retraités de ce profil type travaillent souvent dans le service aux particuliers. Ce secteur d’activité recourt massivement à l'embauche de retraités : à lui tout seul, il concentre près d’un quart des situations de cumul emploi-retraites au régime général et il concentre 39 % des situations de cumul emploi-retraite des femmes.

Allonger le sas de précarité

De son côté, l’entreprise Milee freine actuellement le recrutement des retraités, dans un souci de « professionnalisation » de ses équipes : « On ne sait pas où les seniors vont trouver du boulot, puisqu’on ne veut d’eux nulle part » observe Sébastien Bernard. En effet, le cas des seniors embauchés chez Milee et Mediapost n’est pas représentative de la situation professionnelle des seniors, problème majeure soulevé par le débat autour de la réforme des retraites. Seuls 56% des 55-64 ans sont en emploi (contre 59,7% des 25-49 ans). Un chiffre bien en deçà des autres pays européens. « Toutes les personnes qui terminent leur carrière en inactivité, au RSA ou au chômage, sont très touchées par la réforme, explique par ailleurs Mickaël Zemmour, économiste à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Ces dernières vont connaître une période d’inactivité, plus longue du fait du décalage de l’âge de départ. Je crains donc une augmentation de cette poche de précarité pour 20 à 30 % de la population. »

En reportant de deux ans l’âge légal de départ à la retraite et en accélérant l’allongement de la durée de cotisations nécessaires pour partir à taux plein, le nombre de personnes cumulant emploi et retraite devrait mécaniquement diminuer. La volonté du gouvernement d’ouvrir de nouveaux droits pour les retraités actifs concernera, donc, très peu de monde, et majoritairement des cadres. Dans le même temps, la perte de droits causés par la réforme des retraites concerne des millions de Français, qui sont toujours fermement opposés à la réforme du gouvernement.