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DÉBATS

Roger Karoutchi/Lionel Thompson: quel avenir pour l'audiovisuel public après la suppression de la redevance ?

13 octobre 2022 | Mise à jour le 12 octobre 2022
Par | Photo(s) : Teresa SUAREZ/REA et Bapoushoo
Roger Karoutchi/Lionel Thompson: quel avenir pour l'audiovisuel public après la suppression de la redevance ?

Débat entre Roger Karoutchi et Lionnel Thomson sur l’audiovisuel public

Le sénateur LR et le délégué syndical SNJ-CGT à Radio France s'opposent sur la façon de gérer les médias de service public, après la décision, votée par le Parlement, de leur attribuer une partie de la TVA. Un mode de financement qu'il faudra revoir dès 2025, pour des raisons constitutionnelles.

Cet entretien a été publié dans l’édition d’octobre 2022 de la Vie Ouvrière Ensemble

Quelles doivent être, selon vous, les missions de l'audiovisuel public ?
Roger Karoutchi. Le service public audiovisuel, c'est d'abord une information contradictoire, libre, développée, crédible sur les sujets politiques, économiques, sociaux, sociétaux… C'est aussi une mission culturelle et éducative, mettant en avant le théâtre, le cinéma, des concerts de qualité, pour participer à la formation du citoyen de demain. Pendant la période du Covid, j'ai trouvé que France 4, par exemple, avait rempli des missions de connaissance, de culture et d'éducation. À l'inverse, MasterChef est-elle une émission de service public ? On sent bien qu'un certain nombre d'émissions ou de films, qui coûtent très cher, sont là pour faire de l'Audimat.
Lionel Thompson. L'audiovisuel privé est trop concentré aux mains de quelques propriétaires, dont certains, à l'instar de M. Bolloré, l'utilisent comme moyen d'influence sur l'opinion. Le service public doit être irréprochable de ce point de vue, il a un impératif de pluralisme et d'indépendance. Il doit jouer son rôle démocratique. Des études menées dans différents pays montrent qu'il existe un lien entre participation aux élections et présence d'un audiovisuel public fort et correctement financé. Le service public doit être pluraliste, divers et remplir un rôle culturel. Pour la production audiovisuelle, il est essentiel. Il doit remplir un rôle de divertissement également. Il faut donc se méfier d'une conception avec, d'un côté, les grands divertissements populaires au privé, parce que cela représente des recettes publicitaires et, de l'autre, un audiovisuel public cantonné à des programmes de qualité mais élitistes.

Considérez-vous que l'audiovisuel public a, de nos jours, les moyens financiers de ses missions ?
R.K. Aujourd'hui, le financement par les ressources publiques est de 3,7 milliards d'euros, plus la publicité et les recettes annexes. Est-ce trop ou pas assez ? Il faut d'abord que nous ayons un débat au Parlement, avec les syndicats et les acteurs de l'audiovisuel public, sur ses missions, son objectif pour la République, la nation… L'audiovisuel public a déjà fait des efforts, à hauteur de 190 millions d'euros [sur 2018-2022, NDLR]. Mais pendant la crise du Covid, le gouvernement a redonné un peu de moyens, notamment 70 millions d'euros dans le cadre du plan de relance. Le total réel du financement n'a donc pas beaucoup changé depuis quelques années.
L.T. Nous sommes en situation de sous-financement. On a supprimé des emplois alors que les nouvelles missions, comme le numérique, en auraient nécessité de nouveaux. À Radio France, on a supprimé environ 200 emplois sur 4 000 CDI. Notre propre direction reconnaît que nous sommes en tension. Nous faisons beaucoup moins de captations de concerts et le volume de production des documentaires radio a fortement baissé. À France Bleu, les moyens de remplacement sont de plus en plus comptés. Cela conduit certaines stations, comme récemment France Bleu Hérault, à supprimer des journaux du soir. Comparé au niveau de financement [de l'audiovisuel public] en Grande-Bretagne ou en Allemagne, nous ne sommes pas très bien placés en France.

La suppression de la redevance a été votée cet été. L'audiovisuel public sera financé par une partie de la TVA. Est-ce une bonne décision pour son avenir et son indépendance ?
R.K. Ce n'était pas ma position. D'ailleurs, à partir de 2025, au regard de la Constitution, il faudra trouver un mode de financement différent. Nous avons beaucoup auditionné, réfléchi à une taxe appuyée sur l'ensemble des supports – tablettes, téléphones portables… –, mais cela aurait augmenté leur prix d'environ 30 %, ce qui serait difficilement acceptable. Au Sénat, nous avons réfléchi à un secteur budgétaire protégé, un peu comme la participation française au budget européen, mais, constitutionnellement, cela ne tient pas. Nous avions finalement proposé que ce soit un chapitre budgétaire à part, avec des garanties pluriannuelles et une validation du budget par une autorité indépendante. Il faut noter que la redevance était votée par le Parlement, cela pouvait donc aussi être remis en cause par une majorité.
L.T. On a supprimé la redevance sans avoir de réel débat sur ce qui la remplace. La TVA est par ailleurs un impôt injuste, qui frappe plus lourdement les foyers les plus modestes. La redevance était obsolète, car basée uniquement sur la possession d'un poste de télévision et elle avait tendance à diminuer. Elle devait donc évoluer, mais on aurait dû avoir ce débat en amont. À la CGT de Radio France et de France Télévisions, après en avoir longuement débattu, nous nous sommes prononcés pour une taxe universelle, un peu à l'allemande, portant sur les foyers fiscaux. Elle pourrait être progressive, dynamique, et permettrait des exemptions pour les plus modestes. Cela reste le meilleur moyen de garantir une pérennité et une indépendance de l'audiovisuel public. L'autorité indépendante et la pluriannualité nous semblent représenter une garantie moindre. L'autorité en question subira-t-elle des pressions ? Comment sera-t-elle nommée ?

Le président de la République a récemment enjoint les ambassadeurs français à « utiliser le réseau France Médias Monde » [RFI et France 24] afin de contrer les discours russe, chinois et turc sur la politique française en Afrique. N'est-ce pas là symptomatique d'une volonté du pouvoir politique d'influer sur les médias publics ?
L.T. C'étaient d'abord des propos assez irresponsables, dénoncés par les syndicats, pouvant mettre en danger des journalistes dans des pays où France Médias Monde est justement accusé, par certains régimes ou opposants, d'être la voix de la France. On a parfois du mal à se départir d'une vision gaullienne. Nous ne sommes pas des médias d'État ou la voix de la France, ni, en région, « radio-préfets » ou « télé-préfets ». Le débat sur l'indépendance est important, il y va de notre légitimité et de notre crédibilité vis-à-vis des contribuables et citoyens qui nous financent.
R.K. Je n'ai pas suivi cet épisode, mais France Médias Monde n'est pas là pour véhiculer la parole du gouvernement français. J'ai reçu à plusieurs reprises sa présidente, Mme Saragosse, qui me disait que des émissions, notamment en Afrique de l'Ouest et en Afrique orientale, étaient arrêtées faute de crédits nécessaires pour la diffusion dans un certain nombre de langues. J'ai dit au gouvernement que c'était une mauvaise chose pour la présence française, francophone, pour l'influence, globalement, de la France. Nous savons bien que la Chine, la Russie ou les États-Unis mettent beaucoup plus de moyens dans leur audiovisuel national.

M. Karoutchi, en tant que corapporteur de la mission sénatoriale de contrôle sur le financement de l'audiovisuel public, vous avez préconisé dans un rapport rendu en juin dernier de créer une entreprise unique pour les médias publics, une « news-room » commune, de réunir France Bleu et France 3… Pourquoi ?
R.K. Nous avons volontairement forcé le trait. Le modèle britannique fonctionne plutôt bien, avec une seule entreprise, la BBC, qui regroupe les chaînes de radio et de télé. Avoir un PDG pour l'ensemble ne signifie pas que, d'un coup, l'identité de France 2, France Inter ou France Info disparaîtrait. Nous estimons que les journalistes de télévision ou de radio de l'audiovisuel public peuvent se regrouper, se parler, avoir des missions communes… Ce que je souhaite, c'est une capacité à travailler ensemble, à avancer, à faire en sorte que l'audiovisuel public soit un acteur fort dans le numérique. Il y a trois ou quatre ans, quand on m'a présenté le projet Salto [service de streaming français propriété de France Télévisions, TF1 et M6], j'avais prédit que ce serait un échec. Résultat, on ne sait plus comment s'en dépêtrer face à l'éventuelle fusion entre TF1 et M6 ( Interview réalisée le 14 septembre, soit deux jours avant que TF1 et M6 annoncent renoncer à la fusion). Par ailleurs, le rapprochement entre France Bleu et France 3 Régions est très poussif.
L.T. Sur les rapprochements et les fusions, nous avons l'impression que le problème est posé de façon financière, pour faire des économies. Sauf à toucher au périmètre [de l'audiovisuel public] ou à dégrader la qualité de production, on ne pourra pas faire des économies. Chaque média a ses besoins et sa propre écriture. On filme des matinales de France Bleu [diffusées sur France 3] qui donnent de la très mauvaise télévision. Et si un jour France 3 veut faire une matinale télé [diffusée sur France Bleu], ce sera de la très mauvaise radio. Nous sommes attachés au fait qu'il existe à Radio France des rédactions dédiées à chaque antenne, car leurs lignes éditoriales ne sont pas tout à fait les mêmes et participent d'une pluralité et d'une richesse de l'information. Les services « étranger » de France Culture, France Inter et France Info ont été regroupés, de même que les services des sports de France Info et France Inter. Cela génère des étages de hiérarchie supplémentaires pour une bonne coordination et une certaine unification du traitement de l'information sur nos antennes.
R.K. On sait très bien que le regroupement, au début, a un coût. Mais l'opinion publique et les parlementaires sont sensibles au fait que l'on réduit les moyens des collectivités locales et des grands services publics. On ne peut pas dire au service public audiovisuel : « Allez-y, si ça coûte plus cher, tant pis ! » C'est difficile à légitimer. Je pose le problème [du regroupement] en termes d'efficacité et de définition du périmètre, ainsi que de missions.
L.T. Nous sommes très réservés sur ces projets, car nous craignons qu'ils soient pilotés par l'objectif de faire des économies. Les journalistes de France Bleu sont à flux tendu, des rapports récents ont d'ailleurs dénoncé une charge de travail trop importante. Par ricochet, cela conduit souvent les antennes nationales à récupérer une information traitée de façon peu satisfaisante ou à faire des impasses. Je pense que nos confrères et consœurs de France Télévisions sont confrontés à une problématique similaire avec le projet Tempo [de suppression des journaux nationaux du 19-20 et du 12-13 sur France 3]. Il est présenté par la direction comme une façon de mettre les moyens sur une information de proximité, mais on a surtout l'impression que c'est du « low cost », avec des moyens faibles pour le reportage.