Apprentissage : un pognon de dingue
Une récente étude de l'OFCE, menée par le chercheur Bruno Coquet, confirme le coût exorbitant de la politique de soutien à l'apprentissage menée par Emmanuel Macron depuis... Lire la suite
Depuis le 1er janvier, France Travail remplace Pôle emploi en matière d’accompagnement des demandeurs d'emploi. La loi qui entérine la création de ce dispositif entraîne une transformation radicale du concept de minima sociaux, notamment avec la conditionnalité de l'attribution du RSA et l'obligation d'un contrat de travail de quinze à vingt heures. Incompréhensible pour les bénéficiaires, cette réforme provoque la colère et l'indignation des associations et des syndicats. Elle s'inscrit dans un parcours déjà largement semé d'embûches en y adjoignant une logique punitive. Un article paru dans la Vie Ouvrière#8.
« La nouvelle loi RSA 1, c'est une machine de guerre contre les pauvres, dans un dispositif déjà très anxiogène ! Elle est faite pour nous contrôler encore plus, nous culpabiliser et nous faire entrer dans un système qui broie les parcours cabossés, les plus faibles et les plus vulnérables ! », fulmine Béatrice Renaud, mère isolée de deux enfants, dont une est reconnue handicapée. Bénéficiaire du RSA depuis mars 2023, après une demande déposée quatre mois plus tôt, Béatrice a été contrainte de retourner vivre chez ses parents à Aix-en-Provence.
À 50 ans, elle s'estime, malgré de nombreux passages à vide, mieux lotie que d'autres, parce que ses parents lui permettent, ainsi qu'à ses filles, de manger chaque jour, et parce qu'elle est titulaire de deux masters, dont un en histoire : « La pression est plus grave sur les personnes qui ne peuvent pas se défendre. Moi, j'ai fait des études, je suis en capacité d'analyser des situations, même si c'est souvent très difficile. Par contre, mes journées sont ponctuées de rendez-vous avec l'assistante sociale, le pôle insertion du conseil départemental, l'école, les médecins, par les dossiers CAF, RSA, à justifier tous les trois mois et une série de paperasses. Et ma fille a besoin d'un accompagnement spécial que je suis seule à pouvoir lui donner. Je n'ai pas les moyens de prendre une nounou ! Donc, je ne sais pas, pour ma part, comment je peux faire pour trouver quinze heures hebdomadaires destinées à faire un travail gratuit dans ce système pourri qui fabrique de la soumission volontaire et qui nous met à poil ! Cette réforme m'angoisse encore plus, aujourd'hui. Mais bon, comme le dit ma conseillère, on survit, on ne vit pas avec le RSA. » Ce type de témoignage n'est pas isolé, bien au contraire. Toutes les personnes allocataires du RSA que nous avons croisées durant cette enquête évoquent un « parcours de combattant à tous les étages dans le dispositif d'accès au RSA », « une situation de précarité extrême », « l'impression d'être abandonné, fliqué et/ou infantilisé en permanence », etc. Dans cette situation d'extrême paupérisation, la nouvelle loi « pour le plein-emploi » tombe comme un couperet, accentuant la détresse de bénéficiaires comme Kévin, qui se sent marginal et déjà vieux, à 32 ans : « On n'a plus rien, mais eux, ils nous renvoient toujours à nous. Moi, je ne rentre dans aucun moule, j'ai pas envie de leur charité et, surtout, je ne rêve même plus ! »
Il faut remonter à la présidence Mitterrand, dans les années 1980, pour comprendre l'histoire de ce revenu social minimum, dont l'idée initiale avait été développée bien en amont, à Besançon, en 1973, avec une aide sociale destinée aux femmes, puis aux familles.
Ancêtre du RSA, le RMI (revenu minimum d'insertion) est instauré en 1988 par Michel Rocard, alors Premier ministre, sous l'impulsion de Jean-Michel Belorgey, député socialiste de l'Allier. Le dispositif – qui s'inspire des théories de l'économie redistributive de Jacques Duboin et du concept d'impôt négatif de Lionel Stoléru – voit le jour dans un contexte de crise et de chômage croissant. Il marque un tournant dans l'histoire sociale en France, où il est d'abord conjointement financé par l'État pour l'allocation et les conseils généraux pour le volet insertion jusqu'en 2003, date à laquelle le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin (UMP) décentralise le dispositif et l'associe au revenu minimum d'activité (RMA).
Parmi les économistes, Bernard Friot voit dans la création du RMI « le remplacement du droit au salaire des chômeurs ». La naissance des allocations dites de « solidarité » s'est faite dans un contexte marqué par une crise à l'Unédic, avec la séparation des régimes « assistance et assurance » et la signature d'une nouvelle convention, conditionnée par le patronat. « On a supprimé le droit au salaire pour les chômeurs, en créant le lien entre durée de cotisation et celle de prestation. Ce qui n'a jamais existé avant. Et en réduisant le nombre de chômeurs indemnisés avec la création de l'allocation spécifique de solidarité. Du coup, Michel Rocard avait le champ libre pour créer le RMI, comme revenu minimum se substituant au salaire », traduit Bernard Friot.
En 2009, sous la présidence Sarkozy, le RSA remplace le RMI et en supprime les effets de seuils, notamment en permettant aux travailleurs les plus précaires de compléter un revenu. Il relève de la seule responsabilité des départements. En 2010 un nouveau contrat d'insertion, le CUI-CIE 3, remplace le RMA dont le bilan est plutôt mitigé. Avec la loi pour le plein-emploi, et au-delà de sa réforme du RSA, le gouvernement Macron rompt d'abord avec sa promesse de campagne de ne pas toucher aux minima sociaux.
Définitivement adoptée le 14 novembre dernier, par 190 voix contre 147, après une première lecture à l'Assemblée nationale un mois plus tôt, par une majorité macroniste et de droite plutôt fébrile (310 voix contre 251 voix), la loi pour le plein-emploi vise un taux de chômage à 5 % d'ici 2027, la transformation de Pôle emploi en une nouvelle entité, France Travail, la généralisation de l'inscription à France Travail de toutes les personnes à la recherche d'un emploi, dans laquelle le gouvernement inclut les bénéficiaires du RSA, tenus à un contrat d'engagement les obligeant à effectuer de quinze à vingt heures de travail hebdomadaires, pour pouvoir prétendre à leurs minima sociaux.
« Droits et devoirs » sont ici apposés systématiquement pour justifier du fondement d'un texte de réforme brutal, fortement critiqué par la Défenseure des droits, Claire Hédon, décrié par les élus de l'opposition qui ont déposé un recours, en vain, au Conseil constitutionnel, mais aussi par divers économistes, collectifs de lutte contre la pauvreté, syndicats ou encore par les bénéficiaires eux-mêmes, désarmés aujourd'hui. C'est sans faire sourciller le ministre de l'Emploi et de l'Insertion, Olivier Dussopt, porteur de la loi, qui invoque dans son dossier de présentation la perspective de 700 000 nouveaux emplois avant d'annoncer l'objectif final du dispositif : « Le cas des allocataires du RSA est particulièrement parlant : 40 % seulement sont inscrits à Pôle emploi […]. Avec un meilleur équilibre des droits et des devoirs pour les personnes accompagnées, nous rénovons les règles de sanctions en cas de manquements au contrat d'engagement signé entre le bénéficiaire du RSA et l'organisme qui l'accompagne. Le système de sanctions sera plus progressif et plus effectif. » Toutes ces formulations de façade dévoilent un exécutif déterminé à en finir, non sans mépris, avec les bénéficiaires du RSA, qualifiés « d'assistés » par le président de la République, Emmanuel Macron, le 22 mars 2023 au cours d'une interview télévisée. Lequel compte automatiser, en 2025, le préremplissage des déclarations de ressources pour le RSA et la prime d'activité, en l'inscrivant dans une politique de « lutte contre la fraude », histoire de pouvoir sanctuariser ce dispositif impopulaire.
Fermement opposé à la conditionnalité du RSA, le collectif Alerte, qui agrège 34 fédérations et associations nationales, est indigné. « Nous refusons de faire porter la responsabilité de leurs conditions de vie aux personnes n'arrivant pas à trouver un emploi, car les inégalités de patrimoine, de parcours et de capital social sont déterminantes », communique l'ensemble des associations qui composent Alerte, avec l'appui de la CFDT, la CGT et l'Unsa.
Sur un autre plan, Marie, journaliste-pigiste à 29 ans, diplômée de Sciences Po Lille et d'une école de journalisme, et contrainte d'alterner périodes de piges et de RSA, manifeste aussi de l'inquiétude : « On va travailler gratuitement ? Mais une allocation n'est pas un salaire. Et puis cette réforme m'a vachement inquiétée, ça veut dire quoi ? Les mois où je ne travaille pas, je devrai faire du bénévolat ? »
Le nouveau dispositif RSA a été testé par dix-neuf départements pilotes depuis le début de l'année, sans évaluation publique à ce jour. Pour avoir participé à l'expérimentation, plusieurs territoires comme la métropole de Lyon, l'Ille-et-Vilaine et la Loire-Atlantique ont déjà exprimé leur refus catégorique de « créer un RSA sous condition ». Plus loin, dans les Bouches-du-Rhône, on pointe la politique du parti pris des départements qui n'hésiteront pas à infliger des sanctions pour faire des économies, mais aussi le manque de moyens concrets pour la mise en œuvre, comme l'explique Marie Serrano, assistante sociale qui parle de loi « antisociale » : « Je suis chargée du suivi de plusieurs bénéficiaires, dits “asociaux”, qui n'ont même pas de toit ! Comment vont fonctionner les exemptions au travail ? Quel budget aurons-nous ? Comment répondre aux bénéficiaires radiés ? Quel accompagnement prévoir, alors ? À partir du moment où les bénéficiaires sont inscrits à Pôle emploi, qui a la responsabilité de quoi ? »
Bien plus grave, les quinze à vingt heures de travail obligatoire, et non salarié, posent la question du « travail déguisé », fait remarquer Claire Hédon, qui compte redoubler de vigilance pour pouvoir réaliser un bilan des futures réclamations sur les entreprises profitant d'une manne gratuite. De son côté, Denis Gravouil, secrétaire confédéral de la CGT en charge du dossier, dénonce, d'une part, le démantèlement du service public Pôle emploi et, d'autre part, la perversion d'un dispositif qui conditionne l'aide sociale au travail : « Les sanctions prévues par cette loi permettront de suspendre les versements. Si le montant du RSA est très largement insuffisant, ces sanctions vont mettre les allocataires dans des situations dramatiques ! » Et de poursuivre : « Les activités réalisées pourront être de “tout type”, il est donc à craindre qu'elles se fassent uniquement au sein d'entreprises et de collectivités, sans offrir de réel accès à la formation pour les allocataires. Plutôt que d'embaucher des agents territoriaux, les collectivités concernées pourront donc se reposer sur le travail gratuit des allocataires du RSA ou, pire encore, des entreprises pourraient profiter du financement public du RSA, par l'impôt, afin de disposer d'une main-d'œuvre gratuite. »
Selon la Drees 2, le budget alloué aux différents minima sociaux, en baisse depuis 2021, était de 29,9 milliards d'euros en 2022 (1,2 % du PIB). Il concerne 4,34 millions de personnes, parmi lesquelles 1,89 million, seulement, perçoivent un RSA (54 % de femmes). Les allocations du RSA s'élèvent, elles, à 12,3 milliards d'euros, soit 0,5 % du PIB. Elles n'excèdent pas 608 euros par mois et par foyer bénéficiaire (911,63 euros pour un couple avec enfant). Après paiement des dépenses contraintes, il reste moins de 10 euros par jour à un quart des membres des ménages bénéficiaires du RSA. Certains foyers, comme celui de Halima, en surendettement, illustrent bien cet état de précarité. À 52 ans, cette mère de six enfants est allocataire. Elle s'occupe de son mari handicapé, suite à un accident de travail : « On n'a plus de RSA depuis deux mois, à la suite d'un contrôle aléatoire. On m'a demandé six mois de relevés bancaires que j'ai dû acheter, pour 120 euros, parce que mon mari n'avait pas installé l'espace numérique de la Banque postale. En attendant, on nous a coupé le RSA et ce ne sera pas rétroactif après régularisation. On a trois mois de loyers impayés, la CMU s'est arrêtée et je me retrouve toutes les semaines aux Restos du Cœur. »
À l'heure où les entreprises françaises du CAC 40 affichent 142 milliards de bénéfices (2022), cette loi pour le plein-emploi, qui nécessite de 300 à 500 millions d'euros pour le seul baptême de France Travail, semble ouvrir grand la porte au piétinement et à l'appauvrissement des plus démunis. Les travaux d'Esther Duflo, prix Nobel d'économie 2019, ne cessent d'alerter, comme dans son ouvrage Repenser la pauvreté 4, sur l'effet boomerang de cette fracture sociale qui devient béante : « Le besoin de réduire les pauvres à une série de clichés existe depuis aussi longtemps que la pauvreté elle-même […]. Les pauvres sont dépeints tantôt paresseux, tantôt entreprenants, tour à tour dignes ou voyous, virulents ou apathiques, impuissants ou ne comptant que sur eux-mêmes. Répéter que l'on ne peut rien leur donner, car cela les rendrait paresseux, et qu'il ne faut rien prendre aux riches parce que cela les démotiverait, en toutes circonstances, même quand il y a des superprofits, cela crée un conflit de classes, qui doit trouver une manière de s'exprimer. »
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