Le Rassemblement national, un programme xénophobe
Alors que le parti d'extrême droite sort vainqueur du premier tour des élections législatives du 30 juin, le pays retient son souffle. Rien n'est joué : un barrage ferme peut... Lire la suite
La patrie est en danger, le séparatisme menace la République, la nation est confrontée à un véritable ensauvagement. En pleine crise sanitaire et alors que se multiplient les plans sociaux et les chantages à l'emploi permettant au grand patronat d'imposer des accords dits de compétence collective, tel est donc le nouveau credo de l'exécutif, jouant la partition ressassée de la peur et de la nécessaire unité nationale face à un ennemi intérieur.
Emmanuel Macron avait déjà annoncé la couleur lors de son déplacement à Mulhouse le 18 février dernier, annonçant, en introduction d'une conférence de presse, qu'il fallait « Protéger les libertés en luttant contre le séparatisme islamiste », un objectif dont il a même alors fait le titre de son intervention. L'ennemi est donc désigné. Le locataire de l'Élysée précise qu'il préfère dénoncer le séparatisme plutôt que le communautarisme « Parce que nous pouvons avoir dans la République française des communautés. Selon le pays d'où on vient, chacun se revendique d'ailleurs selon la communauté à laquelle il appartient. Il y en a aussi selon les religions. »
Emmanuel Macron réitère le 4 septembre au Panthéon, prétendant célébrer à cette date l'anniversaire de la République, née en 1792, mais qu'il date, lui, de la naissance de la Troisième République, dont le premier Président, Adolphe Thiers, affirmait dans son discours de rentrée parlementaire, le 13 novembre 1872 : « La République sera conservatrice ou elle ne sera pas. ».
L'insécurité est au menu du séminaire gouvernemental du 9 septembre et un projet de loi contre le séparatisme doit être présenté au conseil des ministres « à l'automne », puis discuté au Parlement « début 2021 ». Le Président veut notamment la fin des imams étrangers, de l'accueil des quelque 300 « psalmodieurs » reçus chaque année durant le ramadan, le contrôle du financement des mosquées et la création d'une charte d'engagement sur la laïcité que devront signer les associations est également au programme avec la fin des subventions en cas de non-respect. L'élaboration en a été confiée à Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, en charge de la citoyenneté.
Tandis que le ministre de l'Éducation nationale Jean-Michel Blanquer affirmait en février sur France Info que la loi islamique aurait pris le pas sur celle de la République dans les quartiers de certaines villes comme Roubaix ou Maubeuge, suscitant l'indignation des maires concernés, Gérald Darmanin relance la polémique cet été. Et il ne mâche pas davantage ses mots. « Un séparatiste est quelqu'un qui veut renverser la République, se séparer d'elle », affirme-t-il en août, sans s'embarrasser de la contradiction entre ces deux assertions. Mais il reprend aussi à son compte l'expression de l'extrême droite sur un « ensauvagement de la société », critiquée par le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti.
Il va jusqu'à affirmer dans La Voix du Nord le 17 juillet que l'urgence est « d'éviter la guerre civile. Et la pire de toutes : celle née des religions ». En dépit de la demande du Premier ministre de « fermer le ban », le ministre de l'Intérieur répète sa thèse à l'envi.
Une telle surenchère se justifierait-elle par une augmentation de l'insécurité ? Début septembre, le nouveau Premier ministre Jean Castex appelle les forces de l'ordre et la justice à se « mobiliser face à la montée de l'insécurité ». Le 3, dans Le Figaro, il avoue pourtant qu'il n'y a pas d'explosion de la violence à l'été 2020 si on compare les chiffres à ceux de 2018 ou 2019. En fait, la sortie du confinement a connu une hausse, réelle, du nombre d'actes de délinquance et de violence par rapport aux mois de confinement. Les chiffres sont en revanche stables par rapport aux années précédentes. Le gouvernement prétend-il dès lors répondre au « sentiment d'insécurité » que ne cessent d'évoquer certains éditorialistes ?
Difficile de soutenir cette thèse : comme le confirment les sondages, pour la majorité de la population, ce sont l'emploi et la lutte contre le chômage qui constituent l'urgence prioritaire, devant le maintien ou le développement du système de soins et le pouvoir d'achat. Quant au « sentiment d'insécurité », il concerne d'abord pour la majorité l'insécurité sanitaire et le risque d'une deuxième vague d'épidémie de Covid-19…
Quant à la grande délinquance, difficile d'imaginer une lutte efficace contre ses réseaux quand Gérald Darmanin appelle de facto — tout en s'en défendant — à une politique du chiffre, chère à Nicolas Sarkozy, qui peut amener à privilégier la multiplication du contrôle des petits sur les enquêtes de fond contre les gros trafiquants. Au-delà, la France aurait-elle besoin de moyens supplémentaires pour lutter contre les effets de la « radicalisation » ? En réalité, les moyens notamment législatifs existent et se sont même renforcés ces dernières années. Ainsi des nombreuses lois antiterroristes comme des pouvoirs étendus attribués aux préfets.
Par exemple, les contrôles des services publics (dans l'Éducation nationale, notamment) se sont renforcés et, depuis la loi Silt en 2017, les préfets peuvent décider de la fermeture de lieux de culte si les propos qui y sont tenus ou les activités qui s'y déroulent génèrent la violence, la haine, la discrimination, voire font l'apologie d'actes de terrorisme. Des cellules départementales de lutte contre l'islamisme et le repli communautaire (CLIR) ont été mises en place, également dirigées par les préfets.
Alors, d'où vient cette surenchère gouvernementale sur un séparatisme qui menacerait la République, surenchère qui développe l'idée de dissidence territoriale et identitaire, de liens avec des puissances étrangères et de danger grave et imminent ?
Séparatisme : le terme a pu désigner, dans une histoire récente, les mouvements régionalistes ou autonomistes bretons, basques, corses… Dans l'histoire moderne, le général de Gaulle en fait un double usage. D'abord, à l'encontre des communistes et aussi des militants de la CGT, dès 1947, alors que, dans le contexte de la guerre froide, Ramadier s'est séparé, en mai, des ministres communistes qui participaient au gouvernement depuis la Libération. Il désigne les militants comme une cinquième colonne au service d'une puissance extérieure, l'Union soviétique.
Dans un discours prononcé à Rennes le 27 juillet 1947, il affirme « À la Libération, j'avais, avec la Résistance tout entière, jugé qu'il fallait offrir à ces “séparatistes” l'occasion de s'intégrer dans la communauté nationale (…) Mais, aujourd'hui, tout donne à penser que ceux à qui fut ouverte toute grande la voie du service national ont choisi d'en suivre une autre. » Face aux mouvements de grève, il fustige quelques mois plus tard, le 5 octobre, « les séparatistes exploitant les misères et attisant les colères ».
Ensuite, contre les mouvements anticolonialistes, ou ceux qui revendiquent, comme dans les Antilles, le droit au minimum à l'autonomie. Après les attentats de 2015, la thématique resurgit, cette fois contre « l'islamisme ». En 2018, une centaine d'« intellectuels » signent dans Le Figaro un appel « contre le séparatisme islamiste ». Parmi eux, Pascal Bruckner, Luc Ferry, Alain Finkielkraut, ou encore Élisabeth Lévy. Contre l'islamisme, mais aussi pour certains contre l'islam tout court : en avril 2018, Valeurs actuelles — à qui Emmanuel Macron accorde un long entretien en octobre de l'année suivante — fait sa Une sur le thème : « Mosquées, les temples du séparatisme ».
En fait, la droite extrême ainsi que l'extrême droite qui, de longue date, fait l'amalgame entre immigration et insécurité et fait de l'islam — et non seulement de « l'islamisme » — une menace pour « l'identité » d'une France en danger de « grand remplacement », se sont emparées de cette thèse. Avec des relents de revanche sur les luttes anticoloniales, elle permet de désigner un ennemi intérieur.
Le 3 septembre dernier, Marine Le Pen annonce, dans un message vidéo, vouloir « faire triompher » la nation face aux « forces de division », évoquant « des tentations de sécession, territoriale, morale ou identitaire ». Elle dénonce un « débat volontairement et artificiellement racialisé par des semeurs de discorde et jeteurs de haine, au risque d'une guerre civile froide, comme aux États-Unis » : ces États-Unis où se développent les mobilisations antiracistes à l'initiative du mouvement « Black Lives Mater » après le meurtre raciste de George Floyd par un policier et les sept balles dans le dos tirées par un autre policier sur Jacob Blake. Et elle en appelle à « l'unité autour d'une histoire que conte l'unifiant roman national ». Un conte et un roman : les mots sont révélateurs…
Quant au terme « ensauvagement », on en connait aussi la généalogie. Gérald Darmanin et Marlène Schiappa n'hésitent pas à l'emprunter à l'extrême droite. Comme le rappelle Julie Le Mest dans Arrêt sur images, la maison d'édition Ring (qui publie notamment le rédacteur en chef de Valeurs actuelles ou le « dessinateur favori de la fachosphère Marsault ») publie en janvier 2013 le pamphlet de Laurent Obertone intitulé La France Orange mécanique. Le livre, qui prétend contre toute vérité que le niveau de violence n'a jamais été aussi élevé en France et défend la thèse d'un « ensauvagement de la société » est préfacé par Xavier Raufer, un ancien des groupes d'extrême droite Occident et Ordre nouveau.
De quoi donner du grain à moudre à Marine Le Pen, qui reprend très vite et la thèse et le mot, qui permet de suggérer un processus dangereux pour la civilisation elle-même.
Des syndicats policiers le récupèrent à leur tour, de même qu'Éric Ciotti qui parle d'« ensauvagement en milieu scolaire », tandis que Xavier Bertrand évoque, lui, en août, sur BFM, un « été Orange mécanique ».
Le président de la République s'est fait élire en se présentant comme un barrage à un seul adversaire désigné : le Front national rebaptisé Rassemblement national. C'est pourtant en récupérant les thèses sécuritaires et en assumant la surenchère qu'il prépare les prochaines élections.
La recette n'est pas neuve, chère à la droite qui n'a jamais hésité à recourir aux fantasmes identitaires pour alimenter les peurs et espérer en tirer profit électoral. Responsable d'une politique qui nourrit la crise, sociale, écologique, démocratique et faisant face à la colère de travailleurs ou privés d'emploi qui en paient la facture en termes d'emploi ou de pouvoir d'achat, Emmanuel Macron reprend donc la recette à son compte.
De quoi éviter de poser les vraies questions de la déliquescence du rôle de la République dans certains quartiers en souffrance avec la disparition des services publics qui s'ajoute au chômage, au mal-logement, aux discriminations quotidiennes, notamment racistes, à la montée de la pauvreté et des inégalités. De quoi, tout en désignant le non-respect (réel) de l'égalité entre les femmes et les hommes par certains milieux, que lui nomme « séparatistes », éviter de poser la question des inégalités de genre massives dans l'emploi, en termes de salaires, ou l'absence de moyens pour le planning familial ou les associations de lutte contre les violences à l'encontre des femmes. De quoi, en parlant de séparatisme, éviter de parler de ces gros actionnaires qui investissent des millions d'euros dans les paradis fiscaux au détriment de l'intérêt national…
Pas sûr que la recette fonctionne encore. Mais l'original en général est toujours préféré à la copie et la surenchère appelle la surenchère. À moins de mener le débat, de front, tout en resituant les luttes là où les travailleurs considèrent qu'elles sont urgentes…
Alors que le parti d'extrême droite sort vainqueur du premier tour des élections législatives du 30 juin, le pays retient son souffle. Rien n'est joué : un barrage ferme peut... Lire la suite
Les groupuscules d’extrême droite multiplient les actions coup de poing et font de la violence un outil de lutte contre toute forme d’opposition, notamment face aux militants... Lire la suite