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Stages, entre loi et décrets

17 juillet 2014 | Mise à jour le 25 avril 2017
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Stages, entre loi et décrets

Pour la première fois, une loi concernant spécifiquement les stages en entreprise a été adoptée le 26 juin dernier. Son application dépend sur certains points de décrets. La CGT sera vigilante quant à leur publication effective et urgente.

Jeudi 26 juin, le Parlement a définitivement adopté la proposition de loi « tendant au développement, à l'encadrement des stages et à l'amélioration du statut des stagiaires ». Cette loi vise, d'une part, à réaffirmer que le stage doit être un outil à part entière au service du cursus de formation et, d'autre part, à protéger les droits des stagiaires.

Elle entrera en application dès la rentrée 2014.Mais l'augmentation de la gratification, elle, est repoussée à septembre 2015, officiellement pour permettre aux « petites structures » de s'adapter à la nouvelle législation.

1. GÉNÉRATION STAGIAIRE

Il existe aujourd'hui ce qui s'apparente dans certains cas à un véritable sous-salariat toujours disponible, sans cesse renouvelé et quasiment sans aucun droit – y compris à un salaire : les 1,6 million de stagiaires. Souvent jeunes, actifs et diplômés, ils enchaînent les stages en entreprise parfois pendant plusieurs années avant d'accéder à un premier emploi. Car du travail, il y en a bien pour eux, mais pas sous la forme d'un emploi salarié.

 

Ni rémunérés, ni protégés
Les deux tiers des stages (70 %) ne sont pas rémunérés ; la rémunération des stagiaires, fixée actuellement à 436 euros mensuels, n'étant obligatoire qu'à partir du troisième mois de stage. Les autres « avantages », tels les tickets-restaurant ou la prise en charge partielle des frais de transport, sont à la discrétion de l'employeur. Le temps et la durée du travail ne sont pas limités, les cotisations sociales et les congés payés inexistants.

L'adhésion à une organisation syndicale n'est pas prévue, d'ailleurs les stages ne sont pas régis par le Code du travail, mais par des conventions tripartites pas toujours très claires (ou minimalistes) entre l'employeur, l'organisme de formation et la personne. Ainsi, en cas de harcèlement, par exemple, il faut d'abord recourir aux prud'hommes pour faire requalifier un stage en contrat de travail avant de pouvoir porter plainte.

 

De nombreux abus
Idéalement et en théorie, le stage en entreprise a pour objectif d'offrir au jeune qui sort de l'école un tremplin pour démarrer dans la vie professionnelle. Ce qui suppose un encadrement pédagogique qui fait d'ailleurs très souvent défaut. En échange, il est supposé rendre des services sans que jamais son activité dans l'entreprise puisse être considérée comme un emploi.

Dans les faits, le stage est trop souvent une sorte de pis-aller pour le stagiaire – en réalité privé d'emploi –, quand pour l'employeur il peut se révéler une véritable aubaine. À telle enseigne que l'offre de stages ne cesse d'augmenter : en 2006, il y avait environ 600 000 stagiaires ; le chiffre a triplé en huit ans, selon un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE). La principale raison évoquée pour expliquer ce « succès » est la généralisation du dispositif « stage » dans l'enseignement secondaire et supérieur, où l'on fait de plus en plus souvent valider une formation par ce biais, notamment dans le secteur des services : banques, finance et assurances, cabinets d'avocats, communication, presse, milieu associatif, immobilier, culture, luxe pour ne citer que les principaux.
La crise économique a aussi servi d'argument à certains employeurs pour remplacer des emplois réels par des stages. Le CESE considère pour sa part que 100 000 emplois sont détruits chaque année à cause d'offres de stages abusives, dans un pays où les jeunes constituent le quart des demandeurs d'emploi.

L'abus essentiel de la part de certaines entreprises consiste en effet – et cela recouvre des réalités diverses – à utiliser un stagiaire là où il devrait y avoir un contrat salarié. Parfois le stage précède une embauche, et sert alors en quelque sorte de « pré-période d'essai » non rémunérée avant une embauche qui comprend à nouveau une période d'essai, légale cette fois. Mais on trouve aussi des cas de remplacement d'autres salariés malades ou en congés ; et même de véritables emplois qualifiés maquillés en offres de stage.

Certaines entreprises ont un nombre de stagiaires important, parfois la moitié des effectifs, voire plus dans les très petites entreprises ou le secteur associatif. Les stages sont alors reconduits plusieurs fois, des postes – y compris à responsabilité – essentiellement occupés par des stagiaires successifs. Enfin, les horaires de travail abusifs sont hors de contrôle, comme toutes les conditions de travail, évidemment.

 

Retour sur huit années de législation

Depuis 2006 et la loi sur l'égalité des chances, le statut des stagiaires a fait l'objet de réglementations successives et partielles, mais qui énoncent en creux la nature des abus constatés, dans la mesure où elles tentent de légiférer sur la nature et le statut des stages, l'indemnisation, la durée et, dernièrement, la prise en compte (relative) des stages pour le calcul de la retraite.
Ainsi, en 2006, la loi énonce qu'un stagiaire ne peut pas remplacer un salarié. Une convention tripartite devient obligatoire, comme la gratification pour les stages de plus de trois mois dans le privé. Mais aucun montant minimum n'est prévu – la loi s'en remet aux branches – et l'indemnisation ne s'applique pas au secteur public.

Le 31 janvier 2008, un décret prévoit qu'« à défaut de convention de branche ou accord professionnel, le montant horaire de la gratification due au stagiaire est fixé à 12,5 % du plafond horaire de la Sécurité sociale ».

Le 21 juillet 2009, un autre décret rend aussi obligatoire l'indemnisation des stages de plus de trois mois dans la fonction publique d'État, mais pas dans la fonction publique hospitalière ni territoriale. En novembre de la même année, la loi relative à l'orientation et la formation tout au long de la vie abaisse à deux mois la durée minimale pour indemniser les stagiaires, contre trois auparavant.
Puis, la « loi Cherpion » du 28 juillet 2011, sur la sécurisation des parcours professionnels, promettait une limitation de la durée des stages à six mois par an et un délai de carence entre deux stagiaires sur un même « poste », mais les décrets d'application n'ont jamais été publiés.

La loi sur l'enseignement supérieur du 22 juillet 2013 étend enfin l'obligation d'une indemnisation aux fonctions publiques territoriale et hospitalière. La même année, la réforme des retraites prévoit que les jeunes pourront demander la validation des stages dans le calcul de leur pension, moyennant une cotisation fixée par décret, mais dans la limite de deux trimestres.

2. UNE LOI SPÉCIFIQUE POUR ENCADRER LES STAGES

Cet ensemble de dispositions est éparpillé dans diverses lois, mais jusqu'ici aucune n'était dédiée spécifiquement à l'encadrement des stages en entreprise. C'est à présent chose faite, avec cette nouvelle loi qui vise à réaffirmer que « le stage est un outil au service du cursus de formation et non une fin en soi ». Elle prévoit ainsi de préciser les missions de l'établissement d'enseignement en appui de l'élève ou de l'étudiant, de limiter la durée des stages et le nombre de stagiaires dans l'entreprise, d'améliorer les conditions de travail et les droits des stagiaires et de confier à l'inspection du travail le contrôle de certaines des dispositions du stage. Se dessine une vision plus claire de ce qu'est un stage : à la fois un outil de formation ou de complément de formation, mais également un travail, qui doit être reconnu comme tel par l'entreprise pour que les stagiaires puissent faire valoir des droits.

 

Les droits des stagiaires

Tout stage devra désormais être associé à une formation comportant un minimum de 400 heures d'enseignement. L'établissement d'enseignement sera tenu de trouver un lieu de stage lorsque celui-ci est obligatoire et le nombre de stagiaires encadrés par enseignant référent et par tuteur sera limité.
Les stages de plus de six mois consécutifs dans la même entreprise seront désormais illégaux, sans aucune dérogation possible. Le temps de travail sera limité : « Le temps de présence du stagiaire fixé par la convention de stage ne peut excéder la durée de travail des salariés de l'organisme d'accueil. » Cela revient donc, dans la majorité des cas, à 35 ou 39 heures par semaine. En cas de grossesse, de paternité ou d'adoption, le stagiaire pourra bénéficier de congés et d'autorisations d'absence d'une durée équivalente à celles prévues pour les salariés.

La nouvelle loi impose aussi clairement la rémunération du stagiaire dès le premier jour concernant les stages de plus de deux mois. La « gratification » minimale d'un stagiaire passe de 436 à 523 euros (+ 87 euros) d'ici 2015. Les stagiaires ne seront plus imposés sur leurs indemnités de stages dans la limite du montant annuel du Smic.

Si l'entreprise en propose à ses salariés, le stagiaire pourra obtenir des tickets restaurant sans devoir y cotiser, ainsi qu'une compensation partielle pour ses frais de transports (en commun).
Enfin, « il est interdit d'employer le stagiaire à des tâches dangereuses pour sa santé ou sa sécurité ». Si la notion de « danger » reste à définir, le but est de responsabiliser l'entreprise sur la nature des tâches confiées aux stagiaires.

 

De nouvelles obligations pour les entreprises

En plus de ces dispositions qui concernent directement les stagiaires, d'autres points relèvent des obligations des entreprises : l'« instauration d'un plafond maximum de stagiaires en fonction des effectifs salariés adapté à la taille des entreprises » ; l'inscription des stagiaires dans le registre du personnel ; la mise en place d'un double suivi des stagiaires par les établissements d'enseignement et par un tuteur désigné à cet effet.

Les compétences de l'inspection du travail seront élargies, afin qu'elle puisse contrôler les abus.
Le non-respect de ces règles pourra être sanctionné par une amende, dit encore la loi.

3. DES DÉCRETS D'APPLICATION ATTENDUS

Il s'agit d'une priorité de longue date pour la CGT et son Ugict, laquelle a élaboré avec l'Union nationale des étudiants de France (Unef) un projet de réglementation des stages dès 2004. Elle accueille donc favorablement un texte de loi qui reprend certaines de ses propositions, notamment l'interdiction des stages hors cursus de formation, la limitation du nombre de stagiaires par entreprise ou encore leur inscription sur le registre unique du personnel.

La CGT a cependant regretté que le gouvernement ait demandé aux parlementaires de revenir sur les avancées votées par les sénateurs sur la gratification – qu'ils voulaient rendre obligatoire pour l'ensemble des stages de plus de un mois. De la même manière, les sénateurs n'ont pas voté l'amendement adopté par la commission des affaires sociales du Sénat limitant le temps de présence du stagiaire dans l'entreprise à 35 heures.
L'obligation de gratification des stages de plus de deux mois ne concerne toujours pas les étudiants du secteur de la santé.

Mais surtout, des dispositions sont renvoyées à des décrets d'application. Or, l'histoire de la bataille juridique l'a montré, ils ne sont pas toujours publiés. La CGT et son Ugict ont exprimé le souhait de participer à leur rédaction et resteront vigilantes sur les points à définir par décret, notamment le plafond maximum de stagiaires accueillis simultanément et la limitation du nombre de stagiaires suivis par enseignant référent et par tuteur dans l'entreprise. Les stagiaires ont attendu dix ans pour avoir une loi, la publication des décrets est donc particulièrement importante et urgente.