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ÉVASION FISCALE

Stéphanie Gibaud, en lutte contre l'évasion fiscale

2 mars 2015 | Mise à jour le 7 novembre 2017
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Stéphanie Gibaud, en lutte contre l'évasion fiscale

Salariée de la banque suisse UBS, puis licenciée, Stéphanie Gibaud se bat aujourd'hui contre son ex-employeur pour faire reconnaître 4 années de harcèlement moral. Son tort ? Avoir dénoncé l'évasion fiscale pratiquée par l'établissement bancaire et refusé d'y participer. Récit de sa violente prise de conscience et de son combat contre l'impunité.

«J'ai tiré un fil, sans le savoir, et j'ai pris la bobine sur la tête». Dans un café de quartier du 16e arrondissement de Paris, à deux pas de son domicile, Stéphanie Gibaud, élégante et dynamique quarantenaire, déroule son histoire. Embauchée en 1999 comme responsable communication et marketing de la nouvelle filiale française d'UBS (Union des banques suisses, numéro 1 mondial de la gestion de fortune), elle organise de prestigieux événements durant les années 2000. Tournois de golf, loges à Roland-Garros, opéras, avant-premières de film, restaurants 4 étoiles… rien n'est trop beau pour appâter le gotha dans «la Rolls Royce des banques», raconte-elle dans son livre «La femme qui en savait vraiment trop». Un job de rêve, «de strass, stress et nicotine» qu'elle exercera jusqu'en 2008.

L'ÈRE DU SOUPÇON

Cette année-là, tout bascule. Tout d'abord, sa nouvelle chef lui demande d'effacer son disque dur, sans explications: calendriers des événements, numéros de téléphone de clients français et de chargés d'affaires UBS parmi lesquels de nombreux Suisses, tout doit disparaître. Quelques jours auparavant, c'est le bureau du directeur général de la banque qui est perquisitionné. Chez UBS, c'est le choc. Les langues se délient. Stéphanie entend parler pour la première fois de bureaux offshore à Miami et New York, de «carnets du lait», ce système de double comptabilité enregistrant les rémunérations des chargés d'affaires qui font passer illégalement des comptes en Suisse. Progressivement, d'autres éléments lui reviennent en mémoire.

En 2006, un manuel étrange intitulé «Security Risk Governance» avait été envoyé aux chargés d'affaires d'UBS. Il indiquait la marche à suivre lors de leurs déplacements à l'étranger: «Ne pas voyager avec les noms de clients sous forme papier ou dans l'ordinateur», «Tout détruire en passant la frontière» ,«Être le plus imprévisible possible, changer de restaurant, de taxis, de lieux de rendez-vous avec les clients». Un an après, l'affaire Birkenfeld éclate. Ce banquier américain d'UBS révèle avoir écumé les États-Unis de 2001 à 2007 avec des méthodes d'espion pour attirer les fonds non déclarés au fisc de milliers de riches Américains. Le scandale UBS éclate au grand jour. Pour Stéphanie Gibaud, ça commence à faire beaucoup. Lentement, elle reconstitue le puzzle et s'affole. «Au début, je découvre que les chargés d'affaires suisses avec qui on travaille n'ont pas le droit d'être en France. Ensuite que non seulement ils n'ont pas le droit d'être là mais qu'en plus c'est illégal. Ensuite, que c'est un risque pénal pour les commerciaux de travailler avec eux, alors que c'est le métier de base de la banque! Et puis je découvre une comptabilité parallèle: les fameux “carnets du lait”… Et ça n'arrête pas, ça n'arrête pas! Mais c'est un film… Je vais me réveiller, c'est pas possible.»

«TOMBÉE DE L'ARMOIRE»

Attablée au café, Stéphanie Gibaud manie le jargon franglais de la finance et du marketing comme une seconde langue, tapote nerveusement sur son smartphone et parle vite, très vite. Comme saisie de l'urgence de dire ce qu'elle sait, ce qu'elle a appris, ce que dont les autres, «les 99%» ne se doutent pas ou ne veulent pas savoir. Des slogans d'Indignés dans la bouche d'une ex-responsable événementiels d'une grande banque internationale, voilà qui surprend. C'est que la chute fut rude. Née d'un père ingénieur et d'une mère enseignante, Stéphanie ne manque de rien durant son enfance. La famille possède une grande maison dans le nord de la France, «un jardin immense», fait travailler une nounou, des ouvriers, part en vacances dans leur maison de la Côte d'Azur. On lui enseigne la politesse, le respect, la remise en cause personnelle avant celle des autres, la valeur du travail et de l'éducation, «ne jamais faire de bruit, ne pas se révolter».

Alors quand elle interroge ses collègues d'UBS sur ses doutes, qu'elle alerte le responsable de la déontologie de la banque, le comité d'entreprise, le syndicat national de la banque, et qu'on lui répond par le silence, elle déchante d'autant plus durement. «Je pensais naïvement qu'ils allaient me féliciter pour ce que j'ai découvert. Et bien non. Ce fut “Courage, fuyons”. J'ai découvert que l'être humain va vers le plus fort et pas celui qui a raison. J'ai fait une erreur monstrueuse d'appréciation. C'est pour ça que je suis tombée à ce point de l'armoire.»

L'opacité, le cloisonnement entre les différents secteurs sont bien implantés dans son milieu professionnel. Tout semble être fait pour que personne ne questionne le système. «J'organisais cent événements par an dans toute la France, c'était dingue! Vous n'avez pas le temps de penser. Je bossais du matin au soir. Du coup, on ne voit pas le truc le plus évident, alors qu'il est là, devant vos yeux. On vous prend le jus, puis la peau et ensuite on vous dégage parce que vous êtes trop vieux ou que vous n'allez pas assez vite. Chez nous, le turnover c'est tous les trois, quatre ans. C'est une vraie stratégie de management.» Stéphanie compare sa prise de conscience à un viol. «Le fait qu'on m'ait menti, trahi, trompé, c'est pire qu'une relation de couple qui s'étiole. Je suis quelqu'un de confiance. Quand on me donne les clés de la maison, on me les donne. Et à l'inverse, ma confiance a été brisée. Je me sens encore sale de ça.»

«SE TAIRE, C'EST ÊTRE COMPLICE»

Elle décide de se rebeller. «Soit je couvre UBS et me rends complice, soit je mets un coup de pied dans la fourmilière et il y aura des représailles», écrit-elle dans son livre. Elle choisira la deuxième option. «J'ai fait ce qu'il y avait à faire. C'est pas légal, voilà. Vous êtes témoin d'un assassinat, d'un viol, vous parlez, non? Se taire, c'est être complice». Soutenue par son avocat, elle dépose en 2009 une plainte au tribunal de Paris pour «évasion fiscale en bande organisée». S'ensuivent alors quatre années de harcèlement, de mise au placard et de brimades en tout genre. L'inspection du travail lui conseille de porter plainte pour harcèlement aux prud'hommes, ce qu'elle fera. Membre du CHSCT avant les révélations, elle va se présenter au comité d'entreprise et est élue. Deux cent cinquante salariés lui affirment discrètement leur soutien. Tant qu'à y être, autant y être jusqu'au cou. Blacklistée, elle tombe en dépression mais s'accrochera pour ne pas être mise en faute. Son calvaire durera jusqu'en février 2012 où elle sera licenciée pour de bon dans le cadre d’un PSE.

LANCEUSE D'ALERTE

Aujourd'hui, Stéphanie Gibaud vit du RSA et grâce au soutien financier de ses parents. Elle n'a toujours pas retrouvé de poste malgré les 600 CV envoyés et son trilinguisme. «J'ai plus de boulot, j'ai plus de carrière, plus d'argent, plus de mutuelle, plus de sécu, plus de chômage, plus de retraite. Rien.» Elle balaie tout cela du revers de sa grande main manucurée. Ses traits durcissent.Ne pas laisser la fragilité remonter. Elle doit être forte pour ce qui l'attend. Son audience aux prud'hommes se tient le 5 mars prochain. Elle le redoute plus que tout, consciente de la portée politique de son dossier. Elle doit affronter aussi la plainte pour diffamation non publique d'UBS et les foudres de son ancien employeur à propos de son livre «La femme qui en savait vraiment trop», publié en 2014 par le Cherche Midi, le récit de son naufrage professionnel au cœur d'un scandale d'État. Longtemps seule contre tous, elle avoue savourer sa nouvelle exposition médiatique, qui la protège, même si «passer de la cave à la lumière est très violent».

Son quotidien ? Répondre à la presse internationale, collaborer avec la justice française et internationale (brigade financière, douanes judiciaires…), témoigner pour ses collègues UBS licenciés, préparer ses prud'hommes mais surtout s'occuper de PILA, la Plateforme internationale de lanceurs d'alerte qu'elle a lancée avec Hervé Falciani, l'homme qui a dénoncé les pratiques d'évasion fiscale de HSBC vers la Suisse et provoquera le tsunami mondial de Swiss Leaks. Lui et Stéphanie Gibaud ne peuvent plus se taire. «Le problème, c'est que les 1% ne paient rien et ne sont pas punis. Il y a une véritable trahison, un mensonge organisé. Il faut dénoncer le mariage incestueux entre les banques et les politiques. Vous, si vous ne payez pas vos impôts, vous prenez 10% de pénalité, n'est-ce pas ? Si demain je ne peux plus nourrir mes enfants et que je vole un paquet de riz, je pars en garde à vue, non ? Hervé Falciani, qui a livré à la justice 130 000 évadés fiscaux au nom de l'intérêt général, a fait, lui, 6 mois de détention et risque 7 ans. Mon collègue d'UBS Bradley Birkenfeld, 30 mois de prison, l'ancien banquier Rudolph Elmer (banque Julius Baer), risque lui aussi faire de la prison pour violation du secret bancaire. C'est toujours sur nous les petits qu'on tape.» PILA, ils l'imaginent comme une plateforme web globale dédiée à la transparence, où les lanceurs d'alerte pourraient y déposer sans être inquiétés des informations conformes à l'intérêt général. Un mouvement 100% «bottom-up» comme elle dit: du bas vers le haut. «C'est nous la société civile.» Elle qui rêvait de devenir interprète à l'ONU, sa mission est toute trouvée.


 

EN SAVOIR PLUS

  • Stéphanie Gibaud témoignera ce soir, mardi 3 mars, à 18h30 à la bourse du travail de Paris avec d'autres lanceurs d'alerte. Ils parleront de la directive européenne du secret des affaires qui doit être soumis au vote des députés européens en avril. Une soirée organisée par l'UGICT CGT. Venez nombreux!  Plus d’infos
  • Rassemblement de soutien à Stéphanie Gibaud pour son audience aux prud’hommes. Jeudi 5 mars à 9 heures devant le Conseil des Prudhommes de Paris. 27, rue Louis-Blanc, métro Louis-Blanc

 


 

UBS SE DEFEND

Concernant les accusations de Stéphanie Gibaud, UBS France se défend par la voix de son président Jean-Frédéric de Leusse. « Pour nous, elle a transformé son dossier des prudhommal en roman policier. Ce sont des mensonges. Ne s’entendant pas avec sa nouvelle supérieure hiérarchique, elle a décidé de partir de notre établissement dans les meilleures conditions possibles. Il n’y a aucune preuve de harcèlement avéré. Sur l’évasion fiscale? Je n’en pense que du mal. Ces gens-là doivent être punis.»

 


 

L’AFFAIRE UBS

Depuis les révélations de Stéphanie Gibaud et d’autres anciens salariés d’UBS, le numéro 1 mondial de la gestion de fortune est dans le collimateur de la justice française. En janvier dernier, les juges Serge Tournaire et Guillaume Daïeff chargés de l’instruction délivraient des mandats d’arrêt à trois anciens cadres d’UBS AG, la maison-mère suisse. Jusqu’à la fin des années 2000, ils étaient chargés de la gestion de fortune pour l’Europe de l’Ouest pour l’un d’entre eux et pour la France pour les deux autres. L’année dernière, la banque a été mise en examen pour « blanchiment aggravé de fraude fiscale » pour la période 2004 – 2012 et sommée de payer une caution record d’1,1 milliard d’euros. En 2013, elle avait déjà été mise en examen pour «démarchage illicite». Sa filiale française, quant à elle, a été condamnée à payer une amende de 10 millions d’euros pour «laxisme» dans le contrôle de pratiques commerciales susceptibles de relever du blanchiment de fraude fiscale.