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Télétravail

Télétravail : oui, mais pas sans nouveaux droits !

26 octobre 2021 | Mise à jour le 28 octobre 2021
Par | Photo(s) : Clarisse Rebotier/Divergence
Télétravail : oui, mais pas sans nouveaux droits !

Très peu encadré par des accords d'entreprise, le télétravail s'est imposé durant la pandémie dans l'improvisation et sur un mode dégradé pour des dizaines de milliers de salariés, cadres ou non. Si beaucoup y ont trouvé avantage, ils ont également pu appréhender les inconvénients d'un mode d'organisation qui va durablement bouleverser le travail et qui appelle de nouvelles garanties pour sortir de la zone grise.

Le travail à distance, installé au départ dans la panique et l'urgence, s'est d'abord apparenté à une délocalisation du travail au domicile du salarié qui a pu en expérimenter les avantages certains : plus d'autonomie dans l'organisation du temps de travail, gain de temps de trajet ­entre le domicile et le bureau, meilleure concentration, etc. Mais au cours d'un an et demi de grand renfermement, les télétravailleurs ont également pu appréhender les inconvénients immédiats – et à venir –inhérents à cette reconfiguration inédite : augmentation significative du temps, de la charge et de l'intensité du travail ; explosion des maladies professionnelles (troubles ­musculo-squelettiques, dépressions, bouleversement du cycle circadien) ; isolement, perte de repères spatio-temporels ; impossible déconnexion, brouillage des frontières entre vie professionnelle et vie privée…

Autant d'impacts avérés et démontrés par plusieurs études réalisées durant les deux confinements : celle de l'Ined (Institut national d'études démographiques) de 2020 et celles de l'Ugict-CGT (Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens) de 2020 et de 2021. Leurs conclusions et résultats convergent. Et posent, sous un éclairage nouveau, non seulement la question des dangers liés au télétravail, mais aussi celles du rapport au travail et de son sens.

Une rupture d'ampleur

Ce qui fait dire au sociologue Michel Lallement que nous assistons à une « rupture d'ampleur ». Car « bien plus qu'une simple modalité d'ajustement conjoncturel face à la crise sanitaire, le télétravail, dans sa forme contemporaine qui lie technologie de la communication et activités effectuées hors de l'entreprise », est appelé à s'installer dans la durée, voire à devenir la nouvelle norme de l'organisation du travail.

De ce même avis, Benoît Serre (vice-­président délégué de l'Association nationale des DRH (ANDRH), précise que le rapport entre le salarié et l'entreprise s'en trouvera totalement modifié, sur beaucoup de plans : celui du temps de travail, qui se répartirait différemment ; celui du lieu de travail, qui évoluerait vers un lieu où l'on vient coopérer et non s'enfermer dans un bureau. Mais aussi celui de la liberté dans le travail qui, à terme, requestionnera inévitablement le lien de subordination auquel, selon lui, pourrait se substituer, demain, « un lien de coopération » susceptible d'entraîner ce qu'il considère « non souhaitable » : la disparition du salariat et des protections et sécurités intrinsèques au statut du travail salarié.

Un risque de la « soilitude »

Pour la sociologue Danièle Linhart, la généralisation du télétravail qui s'annonce doit passer par une redéfinition du rôle des salariés. Et poser la question de leur influence sur les objectifs et la finalité du travail qui continueront de leur être assignés sans qu'ils puissent les discuter, dans un encadrement des tâches qui risque de demeurer taylorien, avec un travail prescrit qui le rend abstrait. Or, « seul face à son écran et en l'absence d'interactions avec le collectif, la dimension abstraite risque de se démultiplier jusqu'à faire perdre de vue pour qui et pour quoi on travaille », prévient la sociologue, en qualifiant ce phénomène de « soilitude ».

Elle en veut pour marqueur l'expérience tirée de la mouvance des entreprises dites « libérées » où l'employeur supprime les hiérarchies intermédiaires. Résultat : chacun s'organise en petite équipe pour atteindre les objectifs assignés. « Une configuration où l'entreprise se résumerait à un leader et les salariés à des « followers » ayant parfaitement intériorisé la vision du patron, au point de se rendre capables, et de façon autonome, de relayer les manières de travailler nécessaires pour atteindre les objectifs assignés. »

Entretien – Un cadre légal européen pour le télétravail

Lutter contre l'ubérisation dans un cadre légal européen

Ces mutations de fond, aussi prévisibles qu'inquiétantes rien qu'à ce stade embryonnaire du télétravail généralisé, ne manquent pas d'interroger les organisations syndicales qui redoutent, à juste titre, une « ubérisation » accélérée du salariat. Et ses effets « boomerang » que les aspirants télétravailleurs ne voient pas venir, notamment l'importation au domicile de tous les désavantages du « présentiel », ou encore les délocalisations de postes en France ou à l'étranger.

Certains employeurs ne s'y sont pas trompés et ont profité du confinement pour basculer en mode « flex office » sans demander leur avis aux représentants du personnel. Il va sans dire que la perspective de généraliser le télétravail leur offre des avantages considérables. À commencer par des économies de surface et les gains de productivité liés au surtravail. Mais c'est aussi une aubaine pour accélérer le processus de « dé-salarisation » au profit d'un modèle de travail fondé sur la coopération.

Autrement dit, sur la fourniture de prestations « ad hoc » par des travailleurs autoentrepreneurs seuls responsables de leur capacité à vendre leurs services à des ­« entreprises-clientes ». Forte de ses deux études, où ces enjeux sont très nettement identifiés, l'Ugict-CGT a fait du télétravail sa priorité syndicale. Favorable à sa limitation au mi-temps et farouchement opposée aux dérives de l'ubérisation, elle revendique un cadre légal renforcé qu'elle compte gagner à l'­échelon européen, avec le concours de la Confédération européenne des syndicats (CES) et du Conseil des cadres européens (Eurocadres).

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