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« Timbuktu » et « Désintégration »

23 janvier 2015 | Mise à jour le 3 avril 2017
Par | Photo(s) : DR
« Timbuktu » et « Désintégration »

Le Djihadisme est un sujet qui a déjà inspiré le cinéma. Situés dans les rues d'une ville africaine ou au cœur des banlieues françaises, deux long-métrages s'imposent dans l'actualité.

Après avoir été salué au Festival de Cannes en mai dernier, Timbuktu, film franco-mauritanien d’Abderrahmane Sissako était nominé le 15 janvier à l’Oscar du meilleur film étranger. Le fait est inédit. « C'est la reconnaissance d'un travail accompli avec la passion et l'engagement de femmes et d'hommes de différents pays unis pour défendre nos valeurs universelles d'amour, de paix et de justice », confiait le cinéaste au Parisien.

TIMBUKTU

Or, voilà que le lendemain, cette évocation de la vie quotidienne dans la ville de Tombouctou occupée par les islamistes, était déprogrammée du cinéma municipal Le Casino de Villiers sur Marne. Le maire UMP de la ville, Jacques-Alain Bénisti, bien que n’ayant pas vu le film, a craint qu’il ne fasse « l’apologie du terrorisme ». « Compte tenu des événements, et du fait que Hayat Boumeddiene [la compagne d'Amedy Coulibaly, le responsable de la tuerie de l'Hyper Casher et de l'assassinat de la policière de Montrouge, NLDR] soit originaire de Villiers, je ne voulais pas que le sujet du film soit dévoyé et que les jeunes puissent prendre comme modèle les djihadistes ». Et de préciser dans la foulée – sous la pression du tollé provoqué – que le film serait reprogrammé la semaine prochaine lors d’une projection suivie d’un débat…

Que dire ? Qu’il aurait déjà fallu voir le film pour apprécier son regard humaniste, son positionnement en faveur de la liberté – des jeunes chantant en secret la nuit, une femme refusant d'enfiler des gants pour vendre son poisson, une marginale dansant dans les rues, tignasse au vent. Qu'il aurait fallu pouvoir mesurer toute la distinction qu’il fait entre Islam et Djihad.

JE SUIS CHARLIE

Les plus sévères diront même que le propos est un tantinet démonstratif et que les Djihadistes sont presque dépeints comme « des demeurés ». Que c’est prendre les spectateurs – qui sont déjà plus de 500 000 à l'avoir vu depuis sa sortie en décembre dernier – pour des crétins incapables de déchiffrer cette fiction ou d'aller, le cas échéant, la visionner dans la ville d’à côté… Qu'il faut, enfin et surtout, se garder de faire du zèle contre la liberté exprimée dans toute œuvre d’art quand justement on prétend défendre la liberté d’expression au nom du « Je suis Charlie ».

LA DÉSINTÉGRATION

A ce titre, la tragédie des attentats survenus en ce début d’année, nous renvoie à un autre film sorti en février 2012: « La Désintégration », de Philippe Faucon. Portrait d’une génération de jeunes français musulmans en quête d’intégration, d’une place dans la société et qui faute de ne pas la trouver se laissent séduire par le discours manipulateur du radicalisme. Scénario implacable, filmage à hauteur d’homme, mise en scène sèche et elliptique, cette chronique au réalisme clinique évoque davantage la faille du modèle d'intégration républicain que l’islamisme et le terrorisme, pourtant au bout du chemin.

Se gardant de tout schématisme, Philippe Faucon – cinéaste reconnu qui avait déjà ausculté les rapports entre le monde musulman et la France dans « Samia » (2000), « La Trahison » (2006), « Dans la vie » (2007) (1) – livre une œuvre solide, digne d’être revisitée. Car au-delà de leurs qualités cinématographiques indéniables, ces longs métrages de fiction sont des sources de réflexions nuancées, intellectuellement honnêtes et justes.

Sans ménagement ni excuses, le cinéaste assume son point de vue à travers la trajectoire de ses personnages et nous invite à regarder le réel, à en saisir l'urgence. « La Désintégration » voulait être une alerte, c'est devenu un film prémonitoire. Qu'il n'est pas trop tard pour voir.

(1) Tous ces films sont disponibles en DVD/Blu-Ray