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CONDITIONS DE TRAVAIL

Travail durant la canicule : « j'ai vu des gars s'évanouir sur les chantiers ! »

25 août 2023 | Mise à jour le 25 août 2023
Par | Photo(s) : Nicolas Guyonnet / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Travail durant la canicule : « j'ai vu des gars s'évanouir sur les chantiers ! »

Alors que le réchauffement climatique engendre des vagues de chaleur de plus en plus fréquentes et extrêmes, la législation sur le travail durant les épisodes caniculaires est toujours à la traîne en France. Les premiers à en payer le prix, ce sont les travailleurs les plus exposés.

43,2 °C à Carcassonne, 42,4 °C à Toulouse-Blagnac, 42,3 °C à Auch ou Albi… Ce mercredi 23 août 2023, le mercure a pulvérisé « plus de 100 records absolus » en France, selon l’association Infoclimat. 2003, 2019, 2022, 2023 : les canicules s’enchaînent, à des fréquences de plus en plus rapprochées, engendrant des conditions de travail toujours plus insoutenables pour certains salariés. Travailleurs du BTP, de l’agriculture, des espaces verts, du traitement des déchets… Selon l’enquête SUMER 2017, menée par la Direction de la recherche du ministère du Travail, plus de 1,5 millions de salariés sont exposés à une chaleur supérieur à 24°C dans le cadre de leur profession. Une note plus récente de France Stratégie relève que 36% des travailleurs de l’hexagone, soit 9,7 millions de personnes, déclarent être incommodés par les fortes chaleurs.

Accidents mortels

Au-delà du désagrément, travailler sous de hautes températures représente un risque avéré pour la santé. « Fatigue, sueurs abondantes, nausées, maux de tête, vertiges, crampes… Ces symptômes courants liés à la chaleur peuvent être précurseurs de troubles plus importants, voire mortels : déshydratation, coup de chaleur » écrit l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) sur son site internet. Du fait de la fatigue, la chaleur engendre des somnolences, réduisant ainsi la vigilance des travailleurs et augmentant les risques d’accidents. « Avec la chaleur, on ne récupère pas bien la nuit. J’ai vu des gars s’évanouir devant moi sur les chantiers ! raconte Bachir, chef d’équipe chez  le géant du BTP Fayat, également délégué syndical central CGT. » À l’été 2020, 12 accidents du travail mortels en lien possible avec la chaleur ont été notifiés par l'Inspection médicale du travail avance prudemment Santé Publique France. À l’été 2022, 7 accidents mortels en lien possible avec la chaleur ont été recensés par l’organisme. Pour l’été 2023, on en décompte deux. 

Au-delà des risques immédiats, le travail durant les fortes chaleurs peut par ailleurs représenter des risques à long terme. Un documentaire édifiant diffusé sur Arte, (disponible en accès libre jusqu’au 16/12/2023) raconte, entre autres, une épidémies d’insuffisances rénales chroniques touchant à la fois des travailleurs agricoles du Nicaragua et du Salvador mais également les livreurs UPS aux États-Unis. Tous ont en commun de subir à la fois une activité physique intense au travail et d’être exposés à de très fortes températures.

Une législation peu contraignante

En dépit de ces drames, la législation française est à la traîne. En France, l’article L4121-1 du Code du travail prévoit que « l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». D’autres obligations incombent à l'employeur en matière de prévention, comme l’identification et l’évaluation des risques professionnels en fonction du poste de travail, de la tâche à accomplir ou encore de l'organisation du travail. Au-delà de dispositions générales, seules quelques mesures spécifiques existent sur les fortes chaleurs, dans le secteur du BTP par exemple. Ainsi, les employeurs du secteur doivent mettre à disposition au moins trois litres d’eau par jour et par personne et aménager un local pour protéger de la chaleur. À défaut de local, un aménagement des horaires doit être envisagé. « Il y a des choses qui existent, comme les bases vie climatisées sauf qu’elles ne sont pas généralisées, analyse Frédéric Mau, secrétaire de la Fédération nationale des salariés de la construction, bois et ameublement CGT. Sur les chantiers mobiles, la base avec climatisation, quand elle fonctionne, se trouve parfois à plusieurs centaines de mètres des ouvriers, ils ne peuvent pas s’y rendre si facilement. D’une manière générale, il n’existe rien de contraignant pour les employeurs, seulement des recommandations. »

En France, il n’existe pas de température limite au-delà de laquelle les salariés cessent de travailler. Pourtant, selon l’INRS, « au-delà de 30°C pour une activité sédentaire, et 28°C pour un travail nécessitant une activité physique, la chaleur peut constituer un risque pour les salariés. » C’est sur la base de ces données que l’Union Départementale CGT de Paris a lancé une campagne estivale intitulée Arrêt du boulot quand il fait trop chaud ! « Nous pensons qu’on ne peut pas toujours aménager le travail, au-delà d’une certaine température, il faut tout simplement s’arrêter », explique Adèle Tellez, jardinière à la ville de Paris et secrétaire générale de l’UL de Paris 19e, s’exprimant au nom de l’Union départementale. L’UD milite également pour le retour des CHSCT et pour la réduction du temps de travail : « le refus des employeurs de diminuer le temps de travail des salariés va à l’encontre du modèle de société que l’on défend à la CGT, à savoir moins de travail, une production plus centrée sur nos besoins essentiels et du travail pour tout le monde ! »

Sécurité VS  Productivité

De son côté, l’Organisation International du Travail définit le stress thermique comme une situation où il fait trop chaud pour travailler à un rythme normal. Pour l’OIT, le stress thermique dépend de la température, de l’humidité, du rayonnement du soleil et du vent et se fait ressentir de manière plus importante avec l’intensité de l’effort physique du travailleur. « Une défense naturelle du travailleur pour lutter contre le stress thermique, c’est de ralentir le travail, prendre plus de pauses ou limiter le nombre d’heures de travail. Toutes ces mesures réduisent la productivité. Or, selon les estimations, la productivité commence à être perdue à des températures supérieures à 24 ou 26 degrés » explique Nicolas Maître, économiste au département de la recherche sur le site de l’organisation internationale. En d’autres termes, dès 24 ou 26 degrés, il conviendrait de ralentir la production pour veiller à la sécurité des travailleurs.

Confronté à une forte chaleur, les salariés peuvent toujours exercer leur droit de retrait. « En pratique, c’est très rarement utilisé car le salarié doit prouver qu’il est exposé à un danger grave et imminent, déplore Frédéric Mau. Mais le syndicaliste a trouvé la parade : « Dès une alerte canicule orange, il faut que les syndicats déclenchent un droit d’alerte pour danger grave et imminent. C’est une démarche collective qui protège tous les salariés. C’était ce que faisait autrefois les CHSCT… » Pour Adèle Tellez, « c’est une question de justice sociale : les travailleurs et les travailleuses ne sont pas responsables du réchauffement climatique mais ils en sont les premières victimes. Poser la question de l’arrêt du travail, c’est faire passer la santé des salariés avant les profits. »