Intérimaires, saisonniers ou chômeurs, ils ont été les perdants du confinement et sont les oubliés du déconfinement. Faute de mesures de soutien par les pouvoirs publics, ils risquent de basculer dans la grande précarité, voire la misère.
Cet été, la NVO vous propose de redécouvrir en ligne certains des articles parus dans votre magazine papier.
Pour les travailleurs sous contrat précaire, c'est la double peine : s'être d'abord retrouvés sans travail en raison de l'arrêt brutal des activités saisonnières et des missions d'intérim, puis sans ressources, faute de remplir les conditions requises par Pôle emploi pour l'ouverture de droits au chômage.
« Ça va être dramatique, beaucoup de saisonniers de mon secteur qui n'ont pas cumulé six mois d'activité ou qui ont utilisé leurs droits pendant le confinement vont rester sur le carreau », s'inquiète Audrey, responsable d'animation en village de vacances.
Membre du collectif #JeSuisSaisonnier, Audrey est signataire d'une lettre ouverte intitulée « Nous, les 8 % de la richesse nationale », adressée au Premier ministre pour revendiquer des mesures de soutien aux saisonniers : la levée du décompte des jours d'indemnisation Pôle emploi consommés depuis la date du confinement jusqu'à la signature d'un prochain contrat ; la remise en place du rechargement automatique des droits Pôle emploi pour tous les saisonniers (tourisme et agriculture), dispositif supprimé par la réforme de 2019.
18 milliards pour le tourisme, rien pour les saisonniers
Le 14 mai, Édouard Philippe a annoncé un plan de 18 milliards d'euros destiné au secteur du tourisme. Des mesures non négligeables ont aussi été prises, telles que la prolongation d'un mois du chômage partiel, l'exonération de cotisations sociales patronales et l'accès à un fonds de solidarité pour les entreprises. Mais pour les saisonniers qui n'ont pas pu souscrire de contrat de travail à cause de cette crise sanitaire, « aucune mesure annoncée à ce jour ! », souligne le collectif #JeSuisSaisonnier.
La question se pose avec d'autant plus d'acuité que la saison estivale s'annonce « très incertaine », selon Patrice Bossart du collectif CGT des saisonniers. Basé en Corse-du-Sud, Patrice siège aussi à l'assemblée régionale du tourisme qui s'efforce de résoudre une improbable équation : sauver la saison estivale dans des conditions sanitaires aléatoires et pour une saisonnalité de quatre mois tout au mieux – contre les six mois habituels –, ce qui ne permettra pas aux saisonniers d'ouvrir des droits au chômage. « La quadrature du cercle », selon Patrice Bossart.
Saison blanche pour l'hôtellerie haut de gamme
Dans le secteur HCR (hôtels, cafés, restaurants), l'activité redémarre, certes, mais avec d'importantes restrictions : afflux de touristes limité ; taux d'occupation des hébergements restreint afin de respecter les mesures de distanciation ; structures hôtelières équipées de moyens afin de confiner les clients en cas de contamination, etc.
Autant de contraintes insoutenables pour nombre d'acteurs, au premier rang desquels les hôtels haut de gamme pour qui le ratio « investissements-bénéfices » est si négatif que la plupart ont décidé de ne pas rouvrir leurs portes et de se placer en « saison blanche ».
Conséquence : les saisonniers qui avaient des promesses d'embauche se retrouvent sans travail cet été et bientôt, ou déjà, en fin de droits à l'assurance-chômage. D'où cette revendication phare de la CGT, qui fait l'unanimité parmi les syndicats, d'abroger la réforme de l'assurance-chômage de 2019, dont la mise en œuvre du dernier volet, prévue en avril 2020, n'a été que reportée à septembre, en dépit de la catastrophe qui s'annonce.
Vers une explosion du nombre de chômeurs
Ce combat contre cette réforme, Pierre Garnodier, secrétaire général du Comité national des travailleurs privés d'emploi et précaires (CNTPEP) de la CGT, le porte à bout de bras depuis plus d'un an, sans succès jusqu'ici. Mais cette crise, inédite par son ampleur et désastreuse par ses conséquences économiques et sociales, pourrait lui donner un second souffle. Ne serait-ce qu'au regard de l'hécatombe de chômeurs qui s'annonce : « Rien qu'en mars, la Corse enregistrait + 4,5 % de chômeurs supplémentaires », indique Patrice Bossart.
À l'échelle nationale, sur le même mois, l'augmentation était de 7,1 % selon Pôle emploi. « Et ce ne sont là que les prémices d'une explosion à venir », prévient Pierre Garnodier. Au 1er mars, 410 000 travailleurs précaires n'ont pas pu ouvrir ou recharger leurs droits. À commencer par les plus précaires d'entre eux, saisonniers, intérimaires ou CDD, qui ont vu leur saison, ou leur mission, amputée et leurs contrats annulés en raison du confinement.
Élu au CSE et délégué syndical CGT d'Adecco Intérim Île-de-France, Ibrahima Tall en témoigne : « Même si les contrats intérimaires en CDD qui ont été suspendus ont pu être rémunérés durant le confinement, leur avenir est incertain, et c'est pire encore pour ceux qui n'avaient pas cumulé six mois de travail pour ouvrir des droits au chômage. »
Des intérimaires rendus au caritatif
Sectoriellement, la situation est contrastée : les chantiers du bâtiment arrêtés en mars ont repris du service dès le 11 mai. Mais la demande de main-d'œuvre reste très faible. Idem dans l'automobile ou l'activité redémarre, mais pas pour tous. Exemple à l'usine Renault de Flins, dans les Yvelines, où le gel des échanges commerciaux a laissé les intérimaires en pénurie d'activité faute d'approvisionnement en pièces détachées dont la fabrication a été délocalisée en Chine.
Ces oubliés du déconfinement qui ne peuvent plus payer leur loyer ni se nourrir n'ont pas d'autre choix que de s'adresser aux associations caritatives. Ibrahima Tall, élu au CSE et délégué syndical CGT d'Adecco Intérim Ile-de-France.
Autres oubliés de l'intérim, les salariés de la restauration collective, avec ce cas d'école au Technocentre de Guyancourt (Yvelines) où un seul des cinq restaurants du site a rouvert ses portes, mais avec des restrictions d'afflux de clientèle et, par ricochet, une baisse drastique des contrats de mission pour les intérimaires qui y travaillaient. « Ces oubliés du déconfinement qui ne peuvent plus payer leur loyer ni se nourrir n'ont pas d'autre choix que de s'adresser aux associations caritatives », s'indigne Ibrahima.
Quant aux « premiers de corvée », intérimaires du nettoyage à l'hôpital, du commerce alimentaire (sécurité, mise en rayon) ou du transport-logistique qui ont assuré les activités essentielles pendant le confinement, ils ne verront pas la couleur de la prime que les employeurs réservent aux seuls salariés en CDI, et qu'ils refusent de verser aux intérimaires, alors qu'ils ont été exposés aux mêmes risques sanitaires.
Du reste, le patronat de l'intérim ne fait aucun mystère de l'état de santé du marché du travail temporaire : « Une crise d'ampleur sans précédent » ; « Un choc quatre à cinq fois supérieur à celui de 2008 », dixit Prism'emploi – qui regroupe plus de 600 entreprises de travail temporaire et leurs 10 000 agences –, à l'appui d'une étude ad hoc.
Études aux révélations plus qu'inquiétantes : une baisse de 70 % d'activité entre les 15 et 20 mars a engendré la destruction de près de 500 000 équivalents temps plein. Idem, ou presque, en avril, avec – 61 % d'heures de travail temporaire correspondant à une perte de 475 000 ETP (équivalents temps plein) par rapport à 2019. Secteur le plus touché, le BTP, en baisse d'activité à plus de 80 %, suivi du commerce et services qui enregistre – 50 %, et du transport-logistique, – 30 %.
Des saisonniers agricoles surexploités
Mais il y a pire, du côté des saisonniers de l'agroalimentaire. L'appel du ministre de l'Agriculture à rejoindre « la grande armée de l'agriculture française », afin de permettre de transférer des chômeurs de longue durée vers ces emplois essentiels, a abouti à un fiasco. « Ils étaient si mal payés que les producteurs ont dû recourir à de la main-d'œuvre étrangère », explique Diane Grandchamp de la Fnaf-CGT.
« En région Paca, par exemple, les cueilleurs de fraises et d'asperges ont été importés via Terra Fecundis [une coopérative agricole espagnole, NDLR] qui les a recrutés en Amérique du Sud, et non au Maroc, devenu trop cher pour les exploitants », poursuit Fabien Trujillo de la Fnaf-CGT 13.
Le saviez-vous ? Le statut des travailleur détaché est défini par la directive européenne du 16 décembre 1996 permettant à un employé travaillant dans un État membre de l'Union européenne d'être détaché pour aller travailler dans un autre État membre.
Entrés sur le territoire français par dérogation spéciale accordée par le ministère de l'Agriculture, ces saisonniers étaient rémunérés au salaire minimum de leur pays, à l'instar des travailleurs détachés.
Problèmes : « Des conditions de travail et d'hébergement proches de l'esclavage et des protections sanitaires si lacunaires que l'on recensait, fin mai, 200 cas de contamination sur deux domaines arboricoles. »
D'où cette revendication portée par la Fnaf-CGT pour interpeller le ministre de tutelle et les préfets de la région Paca : « Maintien et contrôle des mesures sanitaires anti-Covid ; dépistage systématique des saisonniers ; rémunération au Smic pour tous et protection sociale du niveau de la MSA. » Le fameux « monde d'après » ne fait que commencer.