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« Prof bashing » : un crime qui profite aux fossoyeurs de l’éducation

Matthieu Brabant
15 juin 2020 | Mise à jour le 15 juin 2020
Par | Professeur de lycée professionnel - Membre du bureau fédéral de la FERC-CGT

J'avais bien entendu Dupont-Aignan, celui qui rêvait d'être Premier ministre d'une présidente d'extrême droite, parler des « termites » qui « pourrissent la charpente d'une maison » où « des hussards rouges ont remplacé les noirs » dans « la haine de notre civilisation ». J'avais bien entendu les médias en concurrence de populisme comme RMC ou BFM parler des milliers « d'enseignants décrocheurs ».

Sur LCI, Pujadas précise même, avec sa rigueur statistique légendaire, qu'« un enseignant sur deux n'est pas retourné en classe », alors que « les raisons de santé sont loin d'expliquer ce chiffre ». L'Opinion, dont l'institut de recherche dépasse largement celui de LCI, précise que « la moitié d'entre eux, encore aujourd'hui, n'a pas repris le chemin de l'école, dont une part non négligeable serait à ranger dans la catégorie des tire-au-flanc ». Bref, du très classique.

Ça a commencé à m'inquiéter lorsqu'a fuité sur France Inter – avec toute la science que constitue une fuite venant du grand spécialiste de l'Éducation nationale qu'est Dominique Seux –, le fait qu'un ministre « en première ligne dit: “Si les salariés de la grande distribution avaient été aussi courageux que ceux de l'Éducation nationale, les Français n'auraient rien eu à manger.” » Le clou dans la charpente pourrie par les termites est enfoncé par France 2 et ses « milliers de profs [qui] n'ont pas assuré leurs propres cours pendant le confinement ». Ayant un institut de recherche bien plus sérieux que celui de L'Opinion, France 2 précise que 5 à 6 % des profs sont « décrocheurs ». Nous apprécions la fourchette, entre 5 et 6 %, signe de sérieux.

N'entendant que son courage, Jean-Michel Blanquer annonce sur RTL que ces profs sont « sanctionnables ». Quand le journaliste lui dit que les professeurs reviennent sur la base du volontariat et lui demande s'il compte passer à l'obligation, Blanquer ne dément pas, mais au contraire dit que « Oui, ça faisait partie des étapes du déconfinement. »

Devant une telle unanimité, est-il utile d'être rationnel ? De rappeler que les vraies raisons du retour partiel en présentiel est un protocole sanitaire qui conduit à limiter fortement les capacités d'accueil ? Blanquer, l'homme aux multiples injonctions contradictoires, mais très réfléchies, annonce que tous les élèves vont être accueillis à l'école alors que le protocole l'interdit – ce qu'il ne précise pas dans les médias, un homme aux multiples contradictions fait attention à ne pas se piéger tout seul. Résultats : les parents ne savent plus qui croire, du ministre, des profs, des médias ou de la mairie ; eux qui se trouvent coincés entre l'obligation de garder leurs enfants et l'impératif — de plus en plus pressant — de retourner sur leur lieu de travail.

Éclate au grand jour cette terre inconnue qu'est le travail enseignant. En temps « normal », on peut quantifier le temps de présence devant les élèves, on suit les évaluations ou notes sur les livrets, etc. Mais avec la crise sanitaire, tous les repères ont sauté. Mais le très gros mensonge de la « continuité pédagogique » reste. Pas de continuité, en réalité, puisque la fermeture des écoles et établissements scolaires n'avaient pas été anticipée.

Le ministre affirmait que la fermeture était exclue quelques heures avant l'annonce… de la fermeture. Les profs, les élèves, les familles n'étaient pas prêts. Pas de formation, pas de consignes pédagogiques, pas d'outils fonctionnels. Tous ont travaillé avec leurs outils personnels, l'institution n'ayant rien prévu là aussi.

Attaquer les profs, c'est vouloir entériner le mythe de la « continuité pédagogique » et du « tout est prêt » ministériel. Et ce mythe est global puisqu'avec les « 2S2C », que Blanquer affirme avoir toujours voulu, les enseignements artistiques et sportifs sont refilés à des associations. Preuve que les profs – de sports et d'arts, au minimum – ne foutent rien.

Le crime profite à un ministre qui cherche à faire oublier son impréparation et son incurie, qui cherche à masquer sa transformation radicale et précipitée de l'Éducation nationale en marché. Blanquer ne dit pas autre chose dans le Midi Libre du 14 juin, en considérant que les « absentéistes » sont celles et ceux qui étaient en grève en juin 2019 contre le nouveau bac, un nouveau bac qui trie socialement. Le crime profite aux fossoyeurs de l'Éducation nationale. Aux fossoyeurs de l'école émancipatrice.