Les enseignements du procès France Télécom
Le procès en appel de France Télécom, aujourd'hui Orange, s'est terminé en juillet 2022, mais c'est en 2019, après dix années d'instruction qui ont suivi les faits, que c'était tenu le procès initial à la suite de la crise sociale majeure qui a conduit, notamment de nombreux salariés à mettre fin à leurs jours entre 2005 et 2010. La justice avait condamné l'entreprise Orange et 7 de ses dirigeants à des amendes et des peines d'emprisonnement, pour harcèlement moral institutionnalisé. Six des 7 premiers dirigeants de l'époque qui continuent d'affirmer qu'ils ont fait cela pour le bien de l'entreprise, ont fait appel de la décision refusant d'accepter leur condamnation. Le jugement en appel sera rendu le 30 septembre 2022. La condamnation de l'entreprise est acquise puisqu'elle n'a pour sa part pas fait appel.
Il s’agissait du premier procès du genre, d’une telle ampleur, sur la qualification de harcèlement moral institutionnel dont le jugement ajoute un nouveau sens à l'incrimination de harcèlement moral déjà réprimé par le code pénal.
Les éléments ayant permis la tenue de ce procès sont multifactoriels.
Cette affaire résulte en effet de la conjugaison de nombreux paramètres et de multiples interventions, à savoir :
– Une similitude de faits détectés en grand nombre sur tout le territoire;
– L’intervention et les enquêtes de multiples instances représentatives du personnel en interne (CHSCT, comité d’entreprises et syndicats notamment);
– Une enquête poussée et une grande implication – personnelle – de l’inspectrice du travail;
– Une enquête menée par un organisme extérieur;
– Des signalements de la médecine du travail;
– Une plainte qui a abouti à l’ouverture d’une information, avec l’intervention d’un juge
d’instruction qui a poursuivi le travail d’enquête, avec des moyens dont personne auparavant ne pouvait disposer (interrogatoire, saisies, perquisitions, expertises, etc.).
Si tous ces éléments n’avaient pas été réunis, il y a fort à parier que le procès n’aurait pu avoir lieu.
Le jugement, primordial pour les victimes, leur famille et pour les salariés de l'entreprise qui restent à jamais marqué par cette période noire, revêt une importance qui dépasse la seule entreprise concernée.
Les agissements retenus qui ont conduit la juge à prononcer les peines méritent en ce sens d'être portés à la connaissance du plus grand nombre. Les magistrats ont ainsi retenus les réorganisations multiples et désordonnées, les incitations répétées au départ, les mobilités géographiques et/ou fonctionnelles forcées, la surcharge de travail, la pression des résultats, ou à l'inverse, l'absence de travail, le contrôle excessif et intrusif, l’attribution de missions dévalorisantes, l’absence d'accompagnement et de soutien adaptés des ressources humaines, les formations insuffisantes, voire inexistantes, l’isolement des personnels, les manœuvres d'intimidation, voire des menaces et les diminutions de rémunérations.
Plusieurs facteurs ont été pointés comme de nature à favoriser les dérives dont :
L'abandon de la notion de service public et le passage à une logique de société privée qui a déstabilisé les salariés, créé l'anxiété et par là même la souffrance. Un découpage des IRP particulièrement complexe, en raison, notamment, de l’organisation matricielle de l’entreprise France Télécom.
Réfugié dans le déni permanent la direction s'est évertuée à faire fi des organisations syndicales, et de leur rôle dans l'entreprise, en les éloignant de plus en plus des salariés notamment en agrandissant les périmètres, en supprimant des mandats, en faisant perdre le sens du collectif…
Ainsi, même si en la matière rien n'est jamais acquis définitivement, l'un des enseignements fort du procès est la reconnaissance de la place centrale des organisations syndicales dans l'entreprise, et le besoin de proximité avec les salariés.
Le rôle reconnu comme déterminant des CHSCT renforce également l'exigence de la CGT d'un retour aux CHSCT de plein exercice dans toutes les entreprises.
Si c'est l'addition de ces méfaits qui a permis la condamnation, ces derniers représentent tous une réalité à laquelle des milliers de salariés sont confrontés dans leurs entreprises respectives.
Le procès « France Télécom » représente à ce titre un véritable point d'appui pour tous les salariés confrontés au mal-travail, qui contestent la stratégie managériale de leur direction, et revendiquent le respect de leur dignité, la reconnaissance de leur travail, de lui redonner du sens et une autre finalité.
Organisée sur l'ensemble des sites la CGT première organisation syndicale au moment des faits a joué un rôle premier dans cette période pour gagner la réhumanisation de France Télécom en appelant à la lutte sur tout le territoire, en imposant l'ouverture de négociations et en se portant partie civile dans le procès qui a suivi.
C'est la mise en œuvre de la démarche de la CGT qui a permis aux salariés de relever la tête. En effet, elle a su allier :
-la contestation de la stratégie de l'entreprise en se basant sur des faits précis et à partir du vécu;
-l'expression des salariés avec des centaines de cahiers revendicatifs qui ont été noircis dans les services;
-le rassemblement à partir des salariés qui ont conduit l'ensemble des OS à s'inscrire dans l'action;
-la lutte avec de très nombreux débrayages sur l'ensemble des lieux de travail de manières concertées ou spontanées;
-la négociation avec l'ouverture de chantiers de négociations à partir des revendications des salariés sur l'emploi, les compétences, le développement professionnel, la formation et mobilité, l’organisation du travail, les conditions de travail, l’équilibre vie professionnelle-vie privée, les organisations syndicales et instances représentatives du personnel.
À l'heure où les entreprises et l'Etat semblent ignorer un procès qui les concerne toutes, Orange en tête, qui recrée les conditions d'une nouvelle crise sociale, (plan d'économie, objectifs de départs, mobilités forcées…), la CGT réaffirme la légitimité de la contestation des stratégies financières. Portons nos propositions pour le travail bien fait, le respect de la dignité, l'arrêt des restructurations incessantes, le respect de l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Ce procès et ses enseignements doivent contribuer à tous les salariés de relever la tête et ensemble de lutter pour porter haut et fort leurs revendications. Il démontre que personne ne peut agir en toutes impunités et que les choix individuels et collectifs peuvent avoir des conséquences.
La période vécue par les salariés dans l'entreprise met également en avant que c'est l'action des salariés qui a été déterminante pour sortir de cette crise. C'est aussi une activité sur le lieu de travail et la présence de la CGT partout qui a crée la dynamique de mobilisation à partir de la construction collective de perspectives. Réaffirmons la nécessité de se syndiquer nombreux à la CGT pour se défendre efficacement, et pour gagner sur les revendications.