Royaume-Uni : les législatives remportées par la gauche
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La victoire de Trump n'est pas vraiment une surprise mais son ampleur, oui. Depuis un certain temps, il y avait des signes annonciateurs d’une vague de mécontentement social et politique profond dans le pays, que Trump réussissait à cristalliser et canaliser. Les sondages montraient qu'il restait dans la course en dépit de tous les scandales et du côté erratique du personnage. La véritable surprise, c’est l’ampleur de cette victoire, assez large, dans laquelle il remporte à la fois la plupart des États clés (« swing states »), qui étaient les enjeux cruciaux, mais aussi le Sénat et l’électorat populaire dans son ensemble. Il est probable qu'il remporte aussi la Chambre, avec pour conséquence une concentration du pouvoir inédit entre ses mains. Ce résultat est le signe de l'approfondissement des fractures idéologiques et socio-économiques qui travaillent depuis longtemps la société. Trump à l'évidence n’est pas une « aberration passagère » [comme l'avait déclaré Biden,NDLR]. Sa première élection était le symptôme d’un profond malaise populaire et de la déstructuration du collectif induit par des décennies de politiques néolibérales. De symptôme, il est devenu une cause, c’est-à-dire une force agissante de la réaction ethno-nationaliste qu'il incarne.
On peut identifier de nombreux facteurs pour expliquer les résultats : En attendant des études sociologiques fines, on sait qu'une large majorité de la population blanche peu diplômée, surtout masculine mais aussi féminine, a voté pour Trump. Ces populations – classe moyenne, petite classe moyenne et classes ouvrières – ont été marginalisées au cours des 40 dernières années et ont vu leur niveau de vie décliner par rapport aux autres couches sociales américaines au cours de cette période. On constate aussi une hausse du vote hispanique pour Trump, les démocrates ayant largement sous-estimé le conservatisme social et sociétal d’une partie de cette population qui, sur les questions identitaires, ne se reconnait pas en eux. La stratégie de mobilisation autour des identités segmentées adoptée par le parti démocrate ces dernières années n'a pas fonctionné. Plus généralement, on peut parler d'une évolution anomique de la société, c’est-à-dire une perte générale des normes unificatrices de celle-ci, en l’occurrence les normes démocratiques et le sentiment d'appartenance à une communauté de destin égalitaire qui fonde la cohésion sociale.
Oui. C'est l'expression d'une réaction à un sentiment de déclassement de couches entières de la population qui s'instille de façon intragénérationnelle, conduisant à la stagnation des conditions et une mobilité économique et sociale descendante. Cela se traduit par un vote de rejet de la classe politique traditionnelle, notamment démocrate qui, selon eux, incarne les « élites ». En 1980, les ouvriers et employés peu qualifiés blancs disposaient de salaires supérieurs de 7% au-dessus du revenu médian. Sans diplôme universitaire, ils avaient un niveau de vie correct, ce qui leur permettait de se loger décemment et d'assurer l'avenir de leurs enfants, souvent de financer leurs études supérieures. Aujourd’hui, comme le montrent les études sociologiques longitudinales, ces mêmes couches ont un revenu moyen de 12% en dessous de la médiane nationale. Sans que leurs revenus aient décliné dans l'absolu, leur position relative dans la société a chuté au profit de couches sociales « supérieures » de professionnels des services (informatique, santé, finance, etc.) qui ont su bénéficier des 40 années de transformation technologique et économique marquées par une forte insertion dans l’économie des savoirs, souvent internationalisée. En réaction, les perdants de ces transformations liées à la mondialisation et aux politiques néolibérales des quarante dernières années se sont détournés du parti démocrate, qui a effectivement abandonné les classes populaires depuis les années 1980. Ils ont voté pour une figure charismatique, un démagogue autoritaire, qui réussit, en dépit de sa fortune qui pourrait le faire passer pour partie de l'élite, à se faire entendre et soutenir par des couches de la population dont il combattra objectivement les intérêts.
Il faut distinguer la démocratie formelle, qui repose sur des institutions, des pouvoirs transférés pacifiquement à l’issue d’élections universelles régulières, et la séparation des pouvoirs, et la substance démocratique qui suppose l’inclusion et l'accès égalitaire aux biens symboliques et matériels que peut offrir la société. Au plan formel, nous allons assister sans doute à une extrême concentration des pouvoirs aux mains de l'exécutif du fait de la domination probablement sans partage des institutions par les Républicains. Le Sénat leur est acquis, la Chambre des représentants pourrait bien rester entre leurs mains, et la Cour suprême qui vient de donner des pouvoirs quasiment illimités en proclamant l’impunité des présidents en exercice leur est acquise. Le président pourra donc faire à peu près ce qu’il veut sans contraintes institutionnelles ou politiques internes au niveau fédéral. Cela est d'autant plus problématique que nous avons affaire à une figure autoritaire avec des aspirations dictatoriales, qui rassemble autour de lui des oligarques d'extrême droite tels qu'Elon Musk, des cénacles libertariens pour qui le concept de bien public n'existe pas. Le péril démocratique est donc très important.
*retrouvez l’intégralité de cet entretien dans le numéro de décembre de la Vie Ouvrière-Ensemble, à paraitre le 30 novembre.
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