Présenté le 22 avril en Conseil des ministres par François Rebsamen, le projet de loi « relatif au dialogue social et à l'emploi » entend, sous couvert d'efficacité, étouffer les instances représentatives du personnel.
Dialoguer, c'est bien. Quand on est d'égal à égal. Dialoguer, la belle affaire, lorsque l'une des parties (l'employeur) est en position de force face à l'autre (le salarié). Prenant acte de ce déséquilibre, le droit du travail a, conquête après conquête, acté la mise en place d'institutions représentatives du personnel (IRP) dont les champs de compétences varient et se complètent. DP, DS, CE, CHSCT, autant de sigles qui sont familiers aux militants syndicaux. Et autant de salariés syndiqués qui défendent les droits de l'ensemble des salariés. Pour ce faire, le droit du travail leur reconnaît des prérogatives: heures de délégation, statut protecteur, formation syndicale…
MÉCONNAISSANCE DES PRINCIPES FONDATEURS DU DROIT DU TRAVAIL
L'actuel ministre du Travail ne s'embarrasse plus de tels principes. N'a-t-il pas déclaré devant le Sénat en mars : «Le contrat de travail n'impose pas toujours un rapport de subordination entre employeur et salarié : il est signé par deux personnes libres qui s'engagent mutuellement» ? Une telle méconnaissance des principes fondateurs du droit du travail de la part du ministre éponyme laisse présager du pire.
De fait, le projet de loi qu'il présentait, mercredi 22 avril en Conseil des ministres, relatif au «dialogue social et à l'emploi» est dans la même veine. En janvier, devant «l'échec» des négociations entre les syndicats de salariés et les organisations patronales, le gouvernement a repris la main, comme il l'avait annoncé, pour légiférer. Difficile, à lire les mesures qui y sont préconisées, de ne pas y voir la patte de l'organisation patronale. «Le gouvernement prétend améliorer le dialogue social alors qu'avec ce projet de loi, les conditions de travail, la prévention des risques professionnels sont malmenées. Le CHSCT voit ses capacités d'intervention sur ces sujets affaiblies. L'aspiration des salariés à mieux travailler est proprement ignorée», note la CGT qui dénonce l'emprise du dogme patronal sur ce projet de loi. La centrale reconnaît quelques avancées en matière de formation des élus et des délégués syndicaux ou encore pour les salariés des TPE, au sein de commissions paritaires régionales interprofessionnelles, «premier pas pour la représentation collective de ces 4,6 millions de salariés jusqu'alors privés de représentation syndicale», le seul point positif de la loi, qui résulte d’une proposition des organisations syndicales.
Le projet Rebsamen comporte de nombreuses dispositions qui, si elles aboutissent, entraîneront un bouleversement des relations collectives du travail. Parmi les mesures les plus incriminées : la délégation unique du personnel (la fameuse DUP), étendue désormais aux entreprises employant jusqu'à 300 salariés. La fusion des instances, par accord d'entreprise majoritaire, dans les entreprises de plus de 300 salariés est une mesure qui «répond à une revendication forte du Medef», analyse la CGT.
DES IRP VOUÉES À UNE LOGIQUE DE RATIONALISATION
D'autres préconisations sont tout aussi inquiétantes : réduction du nombre de réunions obligatoires avec les élus du personnel, regroupement des questions à traiter lors de ces réunions, distorsion des négociations annuelles obligatoires qui pourraient devenir triennales ! Dans les entreprises de 50 salariés et plus, les IRP «sont vouées à une logique de rationalisation qui ne peut que nuire à la qualité du dialogue social», résume la CGT.
Le gouvernement s'apprête à compléter ce projet de loi par des dispositions prises par décret, comme le note le quotidien Les Échos (1), puisque ce projet n'est pas «adossé à un accord, il est susceptible d'évoluer pendant la discussion parlementaire. Les syndicats y comptent bien et le patronat le craint fort mais aborde la discussion affaiblie par l'absence d'accord…». Cette brèche, les salariés doivent s'en emparer pour défendre leurs IRP.
Le texte doit passer devant le Parlement en procédure accélérée, pour un vote avant la fin de la session extraordinaire de juillet. Malgré ce calendrier serré et la volonté du gouvernement de ne pas discuter le texte, la CGT se mobilise pour réaffirme la nécessité d'une démocratie sociale au sein de l'entreprise. Une démocratie sociale posant, enfin, le principe d'une vraie citoyenneté au travail et affirmant de nouveaux droits pour les salariés.
1. Les Échos du 22 avril 2015.
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Les propositions de la CGT
• Pas un salarié sans représentant du personnel, car les salariés, quel que soit leur statut dans l'entreprise doivent avoir les mêmes droits
• Des IRP au plus près de la réalité de l'entreprise et la création de CHSCT de site pour être au plus près de la réalité du travail
• Des droits d'expression nouveaux pour les salariés sur le contenu et l'organisation du travail
• L'amélioration de l'information et de la consultation des salariés sur la stratégie de l'entreprise
• Le contrôle et l'évaluation des aides publiques aux entreprises
• Des droits pour les salariés syndiqués, notamment pour se réunir
• La modification des règles de négociation interprofessionnelle qui ne doivent se dérouler sous l'emprise du Medef
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Dialogue social ou joute verbale
Rendons à Claude Cheysson ce qui appartient à Claude Cheysson : le dialogue social ! En 1984, l'homme est ministre des Relations extérieures.
A Strasbourg, devant le Parlement européen, il prononce un discours qui acte l'entrée dans le lexique politique du «dialogue social» : «La présidence française prendra les initiatives nécessaires pour chercher, avec les partenaires sociaux, le moyen de renforcer le dialogue social au niveau européen.»
Depuis l'expression a fait florès. Repris par les acteurs du monde politique et syndical, son usage se généralise pour caractériser des relations socioprofessionnelles.
Mais voilà, les mots ne sont pas neutres. C'est ce que rappelait, fort à propos, René Mouriaux, spécialiste reconnu du mouvement social et syndical : «Traditionnellement le syndicalisme parle de conquêtes, de luttes, de rapports sociaux, d'affrontements et de classes sociales», détaillait l'historien et politologue lors d'une conférence intitulée «syndicalisme, démocratie sociale et dialogue social», organisée par l'UD de Bobigny (Seine-Saint-Denis) en avril 2015.
En évoquant le «dialogue social», les gouvernants aimeraient laisser à penser que les relations du travail sont désormais consensuelles, pacifiées, apaisées. Et tout ça sans consentir aux revendications salariales.
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