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SYNDICALISATION

Un syndicat de rue ?

14 avril 2014 | Mise à jour le 3 mai 2017
Par | Photo(s) : DR
Un syndicat de rue ?

Il est de bon ton dans une certaine presse de souligner le faible taux de syndicalisation des salariés Français, tout en se plaignant de leur combativité…Dans un quartier de Paris, la CGT innove en créant un syndicat de rue. Nous sommes allés voir.

Il est des unions locales qui, n'organisant plus les syndicats, faute de salariés syndiqués à la ronde, n'ont plus de raison d'être. Il est des unions locales qui, en l'absence de syndicats et de syndiqués dans les parages, assurent une autre activité : faire éclore le syndicalisme là où il prend tout son sens natif et définitif, en plein cœur d'un conflit du travail entre des salariés malmenés et leur employeur qui les maltraite.

Ainsi en va-t-il du rôle tenu par l'union locale CGT du Xe arrondissement de Paris, dans l'affaire de l'onglerie du boulevard de Strasbourg et de ses sept travailleurs migrants sans papiers, sans permis de séjour, sans ressources et sans droits. Le patron, qui a étrangement disparu, les a laissés sans salaire et sans nouvelles depuis trois mois. L'affaire a beaucoup ému.

Tout à sa surprise de découvrir en son cœur parisien « boboïsé » l'infortune du tiers-monde-mondialisé prospérant dans les venelles de son pittoresque Xe, la presse locale et même nationale n'a pas ménagé ses claviers pour faire éclater le scandale et spéculer sur ses suites : « Un nouveau Lip », s'emballaient les idéalistes ; « La révolte des chinois sans papiers », tonitruaient les sensationnalistes ; ou encore, « Des sans-papiers occupent une boutique », assuraient les idéologues…

Bref, autant d'éloges à la gloire de la seule dimension « révolte » des exploités ; mais qui ont dit bien peu, voire rien de la nature particulière de ce combat : une lutte syndicale façonnée par la CGT, organisée quotidiennement, étape par étape, par l'union locale du Xe.

SANS RÈGLES ET SANS ENTRAVES

Le fond de l'affaire est plus complexe et ne se résume pas à une simple révolte qui fait boom-pschitt. Sept travailleurs migrants, dont cinq femmes et deux hommes, chinois et chinoises pour les ongles et africaines pour le capillaire, ont soudainement été abandonnés par leur patron dans l'une de ces nombreuses boutiques de beauté qui jalonnent les rues du quartier.

Volatilisé au moment de verser les salaires de janvier, le gérant de la boutique les employait tranquillement au black, les rémunérait très en dessous des minima légaux, les faisait chanter quelque peu pour obtenir toujours plus de travail en contrepartie de rien, bref, un classique du genre « exploitation de l'homme par l'homme » sans règles et sans entraves. Telle est même l'une des caractéristiques saillantes de la micro-économie locale.

Or, contraints de manger pour vivre – hélas ! – les sept, qui ne parlent pas un français académique et n'avaient jamais conversé entre eux à la pause thé, ont fini par échanger ; puis, nécessité faisant loi, par se comprendre et enfin par s'entendre pour demander de l'aide. Mais à qui ? Pas à la police, cela va de soi. Plutôt à une autorité capable d'appréhender toutes les dimensions de leur problématique et qui, en les tirant d'affaire, ne mettrait pas en péril leur gagne-pain. Direction la CGT.

MILITANTE LOCALE

« Ce premier pas, s'adresser à la CGT, n'avait rien d'évident pour les travailleurs de ce quartier, majoritairement en situation plus ou moins irrégulière et qui, pour la plupart d'entre eux, associent l'arrivée de la CGT au débarquement de la police », explique Pascale Herteux, la « militante locale » de l'UL-CGT, ainsi qu'elle est joliment présentée dans un article du magazine Grazia.

Pour surmonter ce premier obstacle, Pascale Herteux aura pour première préoccupation de convaincre les employés en détresse d'accepter une présence militante permanente, de jour comme de nuit, sur le lieu de travail. C'est ainsi que s'organise la fameuse « occupation de la boutique », en toute discrétion et sans le moindre affichage de logos CGT, « dans un premier temps, pour ne pas effrayer les clients et les gens du quartier ».

Deuxième étape : leur faire comprendre et les rassurer sur le but de l'opération : empêcher le gérant de revenir fermer la boutique, auquel cas les employés auraient perdu leur travail et leur salaire. Il a fallu alors les impliquer concrètement dans l'organisation de l'occupation des lieux, pour « tenir dans la durée afin de pouvoir relancer l'activité et permettre à chacune et à chacun de s'assurer un revenu de survie tiré du partage des fruits de leur travail, le temps de demander et d'obtenir la régularisation de leur situation civile et professionnelle ».

Pour ce faire, la CGT a mobilisé tous ses réseaux militants locaux – l'association Femmes et Égalité qui les visite régulièrement pour les familiariser à la pratique du français ; le collectif CGT des sans-papiers qui intervient auprès du maire et de la préfecture afin de décrocher les régularisations ; et les militants du Front de Gauche du Xe – qui ont apporté un soutien conséquent en se relayant jour et nuit dans le magasin.

Sollicitée dès les premières heures par l'UL, l'inspection du travail intervient également sur des aspects cruciaux : l'enquête sur l'employeur disparu, la mise en règle de l'activité auprès des caisses de la protection sociale, les conseils juridiques prodigués, notamment en matière de santé au travail : « Nous avons bénéficié de l'expertise d'une équipe de CHSCT qui a passé une journée en boutique pour expliquer l'importance de se protéger lors de la manipulation des produits chimiques, et la nécessité du port d'un masque adapté ». La boutique ne disposant pas d'un tel équipement, c'est au final la mairie du Xe, sollicitée par l'UL, qui en a financé l'acquisition.

 

« La CGT, c'est le bon dieu »…

Très vite, les clientes contactées par les employés reviennent. Les affaires de la boutique reprennent, une caisse de solidarité est ouverte lors d'une journée d'action au siège de Montreuil – qui permet de récolter 450 euros en un jour. Dans la foulée, cinq des sept régularisations demandées sont délivrées. « Aujourd'hui, lorsqu'on parle de la CGT, c'est le bon dieu », s'amuse Pascale Herteux en posant fièrement sous la belle banderole « la CGT » qui surplombe désormais la vitrine.

Certes, tout n'a pas été gagné : « Nous avions proposé au maire de préempter le bail des locaux afin que les employés le reprennent à leur compte et poursuivent l'activité en autogestion, mais en l'absence du bailleur officiel et du gérant, cela s'avère très compliqué. »

Reste que les acquis de ces ex-travailleurs de l'ombre ne sont pas moindres : « À travers cette lutte, ils ont compris plusieurs choses : le rôle pédagogique du militantisme CGT qui a permis d'élever le degré de conscience de chacun sur sa condition de travailleur exploité, mais pas sans droits ni condamné à le rester ». Autres marques d'émancipation, la reconnaissance du sens de l'action collective, l'importance de parler un bon français et la nécessité de décrocher le sésame de la régularisation, première étape pour accéder à la protection sociale ; enfin, l'élément clé, « la solidarité, cette chaîne qui fait que tous les maillons de l'action se tiennent de bout en bout ».

 

L'expérience fait tache d'huile

Depuis, leur expérience syndicale a fait des petits : « Nous voyons arriver à l'UL d'autres catégories de salariés du quartier qui sollicitent notre aide pour la première fois. » Par ailleurs, la présence de la CGT, désormais affichée en toutes lettres, diffuse un signal positif, voire prophylactique dans tout le quartier : « Les employeurs habitués des impayés de salaires sont incités au respect des règles, ils savent que nous veillons et que les salariés en difficulté peuvent compter sur la CGT pour les organiser. » De cette expérience de l'onglerie, Pascale Herteux tire un bilan positif – « c'est un travail de proximité passionnant » – mais lucide : « Il est impératif de faire prendre conscience aux salariés de l'intérêt de s'unir pour porter collectivement leurs revendications. »

 

Première manifestation

Les sept précaires de l'onglerie l'ont bien compris : tous syndiqués et fiers de l'être à la CGT, ils participaient le 8 mars à leur première manifestation de rue pour revendiquer l'égalité femmes/hommes au travail. Passés de l'ombre à la lumière, de l'exploitation à l'autodétermination, ils ne craignent plus la fermeture de la boutique, qui interviendra fatalement. « Le retour des clientes et la venue de nouvelles sont la meilleure des reconnaissances professionnelles, qui les encourage à s'envisager ailleurs, dans d'autres boutiques et, pour certains d'entre eux, de lancer la leur ».

Quant à l'union locale CGT, elle peut elle aussi s'enorgueillir de quelques acquis significatifs : la reconnaissance très concrète de son efficacité ; l'importance cruciale de son militantisme de proximité, qui est une spécificité du syndicalisme CGT. « Les gens du quartier garderont à l'esprit cette image : avec la CGT arrive, ces sans-papiers sans patron et sans argent ont pu, du jour au lendemain, subvenir à leurs besoins ». Cerise sur le gâteau, contrairement aux craintes exprimées, la police n'a jamais débarqué.