13 décembre 2016 | Mise à jour le 14 décembre 2016
Depuis vingt ans, la « méthode Clerc » – qui établit des comparatifs de déroulement de carrière entre les militants et les autres – a permis à des milliers de syndicalistes discriminés d'être rétablis dans leurs droits. Son inventeur, François Clerc, en charge du dossier sur ces discriminations à la CGT, revient sur le récent succès remporté chez Dassault.
NVO. 1,1 million de dédommagement pour sept militants de Dassault : peut-on parler d'une nouvelle démonstration de la pertinence de la « méthode Clerc » ?
François Clerc. La méthode est de plus en plus retenue par les juridictions. Elle est même parfois prise en compte dans les négociations. On peut donc dire que c'est maintenant bien installé en ce qui concerne l'évaluation des différents préjudices. Il y a des succès quasiment chaque mois. Mais ces succès sont souvent individuels.
En vingt ans – j'ai peut-être eu le tort de ne pas les recenser –, on peut dire que par voie de condamnation ou de réparation, c'est par milliers qu'on peut compter les militants CGT rétablis dans leurs droits. Peugeot avait ouvert le bal, mais tous les grands secteurs de l'industrie, que ce soit Michelin, Dassault, Air Liquide, etc., qui ont pratiqué de la discrimination ont dû prendre des mesures, notamment réparatrices.
NVO. C'est-à-dire des dispositifs anti-discrimination ?
François Clerc. Oui, et les plus avisés ont mis en place des dispositifs censés les prémunir contre ce genre de dérive. C'est pour cela que Dassault déclare aujourd'hui à la presse que c'est de l'histoire ancienne. Des directions se targuent d'avoir mis en place des dispositifs, pas toujours satisfaisants, mais doivent quand même maintenant faire plus attention…
NVO. Ce n'est pas la première fois que la justice se prononce sur la discrimination syndicale chez Dassault…
François Clerc. En effet, en 2012, nous avions gagné une première fois devant la cour d'appel, mais Dassault a contesté la décision. La Cour de cassation ne les a pas suivis, disant que la discrimination était avérée. En revanche, elle a cassé l'arrêt de la cour d'appel en ce qu'il avait limité les dédommagements. Le premier juge avait bien confirmé qu'il y avait discrimination, mais peut-être avait-il été impressionné par les montants et avait, selon sa libre appréciation, décidé de diviser les montants que nous demandions par deux. Par rapport à la décision de 2012, les montants sont quasiment doublés.
NVO. Qu'est-ce que cette affaire apporte de nouveau par rapport aux précédentes ?
François Clerc. Jusqu'à présent, la Cour de cassation disait qu'elle n'avait pas à se prononcer sur les montants des dommages et intérêts, cela relevant exclusivement du juge du fond.
C'est ici la première fois que la Cour de cassation se prononce sur la limitation des dommages et intérêts attribués par une cour d'appel. La cour d'appel nous donnait raison sur la discrimination et accordait des dommages et intérêts, mais elle limitait les montants et ne repositionnait pas les salariés. La Cassation donne tort au juge de la cour d'appel lorsqu'il affirme qu'il ne peut pas intervenir dans le domaine qui relève du pouvoir de direction de l'employeur et que nous n'apportons pas la preuve que le salarié pouvait être cadre.
La Cour de cassation affirme qu'il appartenait au juge de rechercher à quelle qualification et à quelle classification les salariés seraient parvenus s'ils avaient bénéficié d'un déroulement de carrière normal et que le juge se devait d'ordonner le cas échéant leur repositionnement. La Cour de cassation a remarqué que par rapport à la demande qui était formulée et évaluée selon et avec la rationalité de la méthode, le juge avait pris la liberté d'attribuer des dommages et intérêts selon son pouvoir souverain.
Mais visiblement, ces dommages ne correspondaient pas à la loi de 2008 et à l'article L. 1134-5 du Code du travail, selon lesquels, en matière de discrimination il faut une réparation intégrale du préjudice subi dans la durée.
NVO. L'arrêt est tombé le 4 octobre 2016, mais vous venez seulement de communiquer sur ce succès. Pourquoi ?
François Clerc. Nous souhaitions attendre que les délais de recours soient passés pour être certains que la décision est définitive…
NVO. Et dans quel état d'esprit avez-vous trouvé les militants ?
François Clerc. À la CGT, on sait gagner et on gagne. Bien sûr, les gens sont sensibles aux sommes obtenues et aux requalifications. Mais ce qu'on ressent très fort chez les militants, c'est d'avoir réussi à gagner contre l'injustice et à retrouver une dignité. Parce que ces mesures de discrimination ont un fort pouvoir d'humiliation.
Ce combat contre les discriminations vaut aussi pour l'égalité de traitement et pour l'interdiction de discriminer.