19 juillet 2018 | Mise à jour le 19 juillet 2018
Le rapport commandé par Édouard Philippe, l'automne dernier, à une quarantaine de personnalités — le Comité action publique Cap 2022 — a fuité dans les médias après avoir été remis au gouvernement la semaine dernière. Son contenu est explosif :
30 milliards d'économies sont notamment préconisées dans les dépenses publiques. Déjà largement éreinté, l'hôpital est encore ciblé ; le statut des fonctionnaires, lui, est dans la ligne de mire… Entretien avec Jean-Marc Canon, secrétaire général de l'UFSE CGT.
NVO : Quelle est votre première réaction au contenu de ce rapport ?
Jean-Marc Canon : D'abord, il faut revenir sur la composition de ce comité CAP 2022 qui se targue d'être un comité d'experts, un comité de sages, etc., mais qui n'en a que le nom. L'écrasante majorité de ceux qui le composent sont des grands patrons ou des personnes qui ont fait leur parcours dans le secteur marchand et qui n'ont une vision de la fonction que du point de vue du profit et de la loi du marché. Ils ne connaissent par ailleurs pas grand-chose de la chose publique. La CGT a dès lors refusé de les rencontrer.
Ce qui a fuité dans la presse, organisé ou non, ne nous surprend malheureusement pas au vu de la composition de cet aréopage. Nous ne nous attendions pas à ce qu'ils fassent des propositions de progrès social et de développement du service public. C'est dans la logique de la composition de ce CAP 2022. Ils ont été mandatés pour réduire à tout crin les dépenses publiques et mettre les services publics au service du capital avant tout et notamment des citoyens. De ce que nous avons pu lire, ces propositions sont choquantes et inacceptables.
Le comité jugerait possible d'assouplir le statut de fonctionnaire, afin de « faciliter les évolutions entre les trois fonctions publiques : État, territoriale et hospitalière »…
C'est déjà un casus belli. Cette formulation montre leur conception. Pour eux, il y aurait déjà trois fonctions publiques, des entités bien distinctes, alors que pour nous il y a une fonction publique avec ses trois versants. Ce n'est pas que de la sémantique.
Ensuite, quand le comité parle d'assouplir le statut, chacun sait ce qu'il en est. Ils ne sont pas les seuls à en parler, cela dure depuis longtemps. Quand ils prônent plus de fluidité, d'agilité, ils préconisent en fait le démantèlement du statut de fonctionnaire. Ils ne le disent pas dans ces termes-là, mais c'est bien de cela qu'il est question. C'est inacceptable, nous y sommes frontalement opposés. Rappelons que le statut est la garantie pour le citoyen et l'usager d'avoir face à lui un agent public neutre et impartial dans l'exercice de ses fonctions.
Le rapport propose également 5 milliards d'euros d'économie en réformant le système de soins en développant une offre de soins locale et en renforçant l'innovation…
Cette proposition qu'ils appellent « désengorger l'hôpital » est un scandale. Elle consiste à regarder comment on peut encore réaliser 5 milliards d'économies sur l'hôpital public. Or, on ne peut pas avoir une vision comptable sur ce sujet alors qu'actuellement les besoins en matière de santé augmentent et deviennent vitaux tant les établissements fonctionnent dans un état de dénuement et de pénurie insupportables. C'est déjà intolérable pour les patients comme pour les salariés.
On pourrait continuer à lister les exemples qui montrent que nous sommes face à une vision entièrement libérale de la situation actuelle et que les préconisations des « sages » vont toutes dans le même sens.
Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de défendre le pré carré des fonctionnaires, déjà montrés du doigt comme des privilégiés dans la période ?
La CGT ne défend pas le statut pour le statut. Mais parce qu'il permet à l'agent public qui est fonctionnaire d'avoir les moyens de s'opposer à des ordres manifestement illégaux ou à des malversations, etc. Nous ne sommes par exemple pas contre les non-titulaires, nous les syndiquons, nous les défendons. Mais lorsqu'on est contractuel et qu'une partie importante de sa carrière, de son pouvoir d'achat ou de son travail dépendent d'un employeur public — qu'il soit maire ou directeur d'un hôpital, responsable de service — et que celui-ci donne un ordre manifestement illégal, il ne s'y opposera pas au risque parce qu'il n'en aura pas les moyens et qu'il risque d'aller d'emblée pointer au chômage s'il le faisait.
Le risque est de voir le retour du clientélisme. Je note que ceux qui prônent le recrutement massif de contractuels et la fin du statut ne précisent pas comment ils prétendent garantir l'égalité d'accès aux emplois publics que permet aujourd'hui le statut grâce au recrutement par concours…
Quelle est la réalité des conditions de travail et de salaire d'un fonctionnaire aujourd'hui ? Ce statut fait-il rêver ?
Pas du tout. Les chiffres officiels le montrent : la valeur du point, c'est-à-dire le socle général qui sert à la revalorisation des salaires de fonctionnaires n'a connu que 1,2 % d'augmentation ces dix dernières années. Il y a donc un décrochage massif par rapport à l'inflation et une perte de pouvoir d'achat considérable, les qualifications sont très mal reconnues et de plus en plus des procédures de recrutement n'aboutissent pas par manque de candidats. La forme de stabilité d'emploi que permet le fonctionnariat n'est plus suffisante à attirer du monde parce que le déroulement de carrière proposé est simplement insignifiant. Les différentes réformes — RGPP (révision générale des politiques publiques), REATE (réforme de l'administration territoriale), MAP (Modernisation de l'action publique) — ont en outre énormément dégradé les conditions de travail. Les personnels se sentent au mieux spectateurs, au pire, complètement dépossédés malgré leur envie de s'engager pour l'intérêt général.
Des mobilisations sont-elles prévues à la rentrée ?
Les neuf organisations syndicales de fonctionnaires (CGT, CFDT, FO, Unsa, FSU, Solidaires, CFTC, CFE-CGC, FA-FP) ont prévu de se rencontrer dès septembre pour envisager des initiatives unitaires et des propositions alternatives.