À venir
Votre identifiant correspond à l'email que vous avez renseigné lors de l'abonnement. Vous avez besoin d'aide ? Contactez-nous au 01.49.88.68.50 ou par email en cliquant ici.
HAUT
PRESSE

Mondadori France refuse d’être vampirisé par Reworld Media

19 octobre 2018 | Mise à jour le 23 octobre 2018
Par | Photo(s) : DR
Mondadori France refuse d’être vampirisé par Reworld Media

Rassemblement des salariés du groupe Mondadori devant le ministère de la culture à Paris le 18 octobre 2018.

Pour le très controversé groupe Reworld Media, acheter Mondadori France serait un coup financier lui permettant de faire main basse sur trente titres de presse pour les transformer en supports publicitaires. Mais les 700 salariés concernés n'entendent pas laisser vampiriser leurs magazines. Ils ont manifesté à Paris le 18 octobre.
Vous êtes peut-être lectrice ou lecteur de Science et Vie, Télé Star, Grazia, L'Auto-Journal », L'Ami des jardins, ou d'un des trente titres de presse magazine du groupe Mondadori France, troisième éditeur de presse du pays et propriété de la famille Berlusconi ?

Dans ce cas, vous intéressez beaucoup le groupe Reworld Media. Mais pas en tant que lecteur. Non, parce qu'un lecteur risquerait de réfléchir… Vous, ou plutôt vos données personnelles, intéressent ce requin de la presse uniquement en tant que « prospect » c'est-à-dire cible publicitaire potentielle, bref, comme consommateur des marques que Reworld Media entend vous vendre dans des magazines le plus souvent numériques, fonctionnant sans professionnels de l'information, puisque d'information il n'y aura plus…

 

Confusion des genres

Poussant jusqu'au bout la logique de confusion entre information et communication, qui tue la première pour nourrir la seconde, ce groupe aux dents longues menace aujourd'hui, si ce rachat (en négociation depuis le 27 septembre) aboutit, de vider les rédactions et de monétiser la réputation de ces titres de presse – dont certains ont presque 150 ans – pour vendre des produits.

C'est, bien sûr, la mort de ces titres à brève échéance, et les salariés du groupe en sont conscients. Yves Corteville, secrétaire de rédaction du mensuel Pleine Vie et délégué syndical SNJ-CGT, explique : « Tous les services des titres du groupe Mondadori en France sont mobilisés. Nous sommes très conscients que la vente à Reworld Media signifie que nos magazines ne seront plus des fabricants d'information, mais des vendeurs de marques. Il n'y aurait quasiment plus de rédactions in situ, c'est du travail hors-sol, et nous partageons l'inquiétude et la colère de nos collègues italiens. »
Raffaele Lorusso, secrétaire de la Fédération nationale des journalistes italiens était d'ailleurs présent, venu soutenir ce rassemblement parisien, place du Palais-Royal, où une délégation de l'intersyndicale CGT-CFDT-CGC-FO-SNJ de Mondadori France avait demandé à être reçue par Franck Riester, le ministre de la Culture nouvellement nommé.

Nous voulons informer, pas vendre des marques

L'inquiétude et la colère des salariés de Mondadori France et de leurs représentants s'appuient sur des précédents, comme le rappelle le tract unitaire : « En 2014, Reworld a repris 8 magazines dont Lagardère voulait se séparer. Un an après, 90 % des salariés transférés avaient été poussés dehors. Et depuis, ce sont des sous-traitants qui conçoivent et réalisent au rabais ces magazines devenus par ailleurs de simples vitrines commerciales sur Internet, quand ils n'ont pas disparu. Les services transversaux, indispensables au fonctionnement d'une entreprise de presse sont, eux aussi, largement externalisés. »
On pourrait citer beaucoup d'autres exemples, ainsi qu'en témoigne un ancien journaliste du groupe néerlandais Wolters Kluwer qui prend brièvement la parole pour rappeler que ce groupe a subi le même type d'hécatombe… D'autres soutiens interviennent, tel Patrick Kamenka pour le SNJ-CGT AFP, Pierre Laurent, sénateur PCF – et journaliste de métier –, qui souligne que « l'indépendance de la presse est une grande question démocratique ».

Défendre l’information contre la marchandisation

Le président de la Fédération internationale des journalistes, le Belge Philippe Leruth, est également venu soutenir la mobilisation : « Il faut défendre la bonne information contre cette marchandisation, refuser la banalisation des contenus. L'information de qualité est un produit culturel rare et qui a un prix. La vente des magazines ne doit pas signifier la destruction de l'emploi et nous continuerons à nous battre aux côtés des journalistes et salariés de Mondadori France » .

« Le cabinet du ministre n'étant pas encore constitué, un conseiller “presse-média” va être nommé prochainement », indique Emmanuel Vire, secrétaire général du SNJ-CGT au sortir du rendez-vous au ministère. « Nous avons voulu maintenir ce rendez-vous car nous voulions alerter le ministre non seulement sur Mondadori France, mais sur toute la filière, notamment la distribution de la presse. Ce qui se passe chez Mondadori est ce qui se passe dans nos groupes de presse depuis des années : Lagardère, Mondadori, Prisma, nous sommes tous dans le même bateau ! Ces groupes, en bonne santé financière, sacrifient la filière presse. Nous avions certes en face de nous quelqu'un qui connaissait ses dossiers, ce qui nous change de la précédente ministre… mais ce qui nous intéresse, c'est comment le ministère compte intervenir, d'où l'importance de maintenir la pression. Parce que si la filière s'écroule, ce sont des milliers d'emplois, et aussi les messageries, Presstalis-NMPP, qui vont se casser la gueule.»

Rassemblement des salariés de Mondadori devant le ministère de la Culture à Paris le 18 octobre 2018.

L'information pluraliste, pilier de toute démocratie

Dominique Carlier, du SNJ-CGT Mondadori, rappelle comment, « lors de précédentes ventes de titres de presse, nombre de journalistes se sont retrouvés contraints, sous pression quotidienne, d'opter pour la clause de cession (qui normalement devrait être un choix du journaliste, NDLR) »

C'est bien l'ensemble de la filière presse, des imprimeurs (la FILPAC-CGT était également présente) aux kiosquiers, en passant par les salariés des journaux, quel que soit le type de support, qui est une fois de plus gravement menacée par une transaction financière qui s'étend au-delà de nos frontières.

En effet, l'appétit d'ogre de Reworld, société cotée en Bourse, touche aussi sa filiale suédoise Tradedoubler sur laquelle le groupe pourrait lancer une OPA. Comme le rappellent Les Échos du 15 octobre 2018, Tradedoubler est une « plate-forme d'affiliation dont le rôle est de proposer aux marques de les mettre en contact avec un réseau de milliers de sites pour toucher des clients prospects et leur faire remplir des formulaires. Elle pèse une vingtaine de millions d'euros en Bourse ».

Dans ses pages France Médias du 12 octobre, Libération publiait un excellent article sur Reworld Media qui, outre qu'il s'agit d'un groupe de communication ne visant aucunement à faire de l'information, est coutumier de pratiques très douteuses… Déontologie journalistique, qualité de l'information sont pour ce groupe, le cadet de ses soucis. Il s'agit là uniquement de commerce.

Aujourd'hui encore, ces articles de presse écrite ou web décryptent les dessous de ces juteux marchés, mais demain, qu'en sera-t-il sans journaux et sans journalistes ?

Rapport Schwartz, une menace sur le pluralisme et la liberté de la presse

Secret des affaires ou bâillon sur l’information ?