À venir
Votre identifiant correspond à l'email que vous avez renseigné lors de l'abonnement. Vous avez besoin d'aide ? Contactez-nous au 01.49.88.68.50 ou par email en cliquant ici.
HAUT
LIVRE

Ce que les chasses aux sorcières ont laissé dans nos sociétés contemporaines

8 mars 2019 | Mise à jour le 8 mars 2019
Par | Photo(s) : DR
Ce que les chasses aux sorcières ont laissé dans nos sociétés contemporaines

Après Beauté fatale, Les nouveaux visages d'une aliénation féminine, où elle étudiait comment le corps féminin est sommé de devenir un produit conforme à des normes inaccessibles, Mona Chollet s'intéresse cette fois, dans Sorcières, la puissance invaincue des femmes, à la façon dont les chasses aux sorcières ont marqué la place des femmes dans nos sociétés, jusqu'à aujourd'hui.

Dans son dernier livre, Sorcières, la puissance invaincue des femmes, Mona Chollet, journaliste au Monde Diplomatique, a cherché à « explorer la postérité des chasses aux sorcières en Europe et aux États-Unis ».

Dans un ouvrage très documenté qui se veut à la fois historique et politique, elle ne se contente pas de dire ces crimes de masse, qui se sont développés bien davantage dès la Renaissance et dans l'époque moderne qu'au Moyen-âge contrairement aux idées reçues. Mais elle explique comment les accusations de « sorcières » subies par les femmes — suivies de tortures, de viols, de mises à mort — et les discours qui les ont accompagnées « ont à la fois traduit et amplifié les préjugés à l'égard des femmes, l'opprobre qui frappait certaines d'entre elles. Elles ont réprimé certains comportements, certaines manières d'être ».

Multiples échos contemporains

Pour Mona Chollet, ces chasses aux sorcières « illustrent d'abord l'entêtement des sociétés à désigner régulièrement un bouc émissaire à leurs malheurs, et à s'enfermer dans une spirale d'irrationalité, inaccessibles à toute argumentation sensée, jusqu'à ce que l'accumulation des discours de haine et une hostilité devenue obsessionnelle justifient le passage à la violence physique, perçue comme une légitime défense du corps social ».

En scrutant l'histoire et l'évolution du regard sur l'histoire, l'autrice parle donc aussi de nos sociétés actuelles. Car elle décrypte à la fois la nature des préjugés sur ou contre les femmes qui s'y sont construits, les raisons et les modalités de leur enracinement, et ce qui pousse ces sociétés à désigner des victimes expiatoires aux difficultés ou aux crises qu'elles subissent en en dédouanant les véritables responsables. Et à les persécuter en toute bonne conscience.

Elle décode ainsi, notamment, le rôle de la peur dans le façonnage des stéréotypes et des haines, face à l'évolution de la place et du rôle pris ou revendiqués par les femmes au cours de l'histoire. Elle éclaire les divers avatars de la dénonciation de l'esprit malin attribué à celles dont le diable aurait capté les esprits et les corps, avec leurs prolongements plus récents lorsque des femmes revendiquent leur indépendance, la maîtrise de leur corps, de leur maternité ou non, de leurs désirs…

Violence et mise en danger

Ne pas rester à leur place assignée relèverait de comportements déviants, fourbes, affabulateurs, dangereux, maléfiques… Ce sont pourtant les femmes qui sont mises alors en danger. Et même par la médecine ou prétendue telle, lorsqu'elle s'acharne sur les corps de celles décrites comme hystériques ou quand, du fait de « la soif de profit » et du « cynisme des laboratoires pharmaceutiques », elles subissent les effets, parfois meurtriers, de scandales sanitaires spécifiques.

Lente et difficile émergence d'une approche de genre

Pourtant, l'approche de genre de ces crimes misogynes de masse a été « ignorée, banalisée ou indirectement contestée », analyse Mona Chollet. Jusqu'à ce que des femmes revisitent leur histoire. La nôtre. Et que des féministes détournent l'accusation de sorcellerie, la renversent, et fassent des sorcières des héroïnes.

« Votre monde ne convient pas »

Dans un précédent ouvrage, Beauté fatale, Les nouveaux visages d'une aliénation féminine, Mona Chollet étudiait comment le corps des femmes « est sommé de devenir un produit, de se perfectionner pour mieux se vendre » en se conformant à des normes, de « l'obsession de la minceur » à la « prescription insistante du port de la jupe comme symbole de libération », des normes dont l'inaccessibilité nourrit l'auto-dévalorisation et ses conséquences ravageuses.

De nouveau elle le souligne ici : Comme l'« explique l'écrivaine écoféministe Carol P. Christ, les religions patriarcales ont façonné notre culture, nos valeurs et nos représentations et nous restons imprégnés d'un modèle d'autorité masculin qui en est directement issu ».

Il s'agit donc d'en sortir, de contester fondamentalement ces représentations. Pas facile, admet-elle, de « remettre le monde sens dessus dessous ». Mais, ajoute-t-elle « il peut y avoir une immense volupté — la volupté de l'audace, de l'insolence, de l'affirmation vitale, du défi à l'autorité — à laisser notre pensée et notre imagination suivre les chemins sur lesquels nous entraînent les chuchotements des sorcières ». Ceux d'une puissance invaincue.

Sorcières, la puissance invaincue des femmesMona Chollet, Zones, 2018. 240 pages, 18 euros.

À lire aussi, Beauté fatale, Les nouveaux visages d'une aliénation féminine, La Découverte Poche/Essais, 2015