Le fascisme ne passera pas ?
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Il y a des lectures qui provoquent le frisson, tant elles nous rapprochent de tragédies qui pourraient sembler aussi lointaines qu'anonymes. Un journaliste et un auteur de bande dessinée italiens se sont embarqués en 2017 à bord de l'Aquarius, ce bateau affrété par Médecin du Monde et SOS Méditerranée pour secourir en mer des migrants en perdition sur leurs canots de fortune.
Ils livrent à partir de leur passage à bord un récit édifiant, nourri par les témoignages de ceux qui ont traversé des épreuves insoutenables avant de s'échouer en mer. Une BD-documentaire profondément humaine, où les deux auteurs n'hésitent pas à se mettre en scène pour partager une expérience qui leur a ouvert les yeux sur la réalité migratoire.
Rackets, torture dans des centres de détention pour extorquer de l'argent à leur famille, viols des femmes non accompagnées, trafics d'esclaves… Aucun traumatisme n'est épargné aux migrants sur le chemin de l'exil, au cours d'un périple qui peut s'étirer sur plusieurs années. Jusqu'à l'épreuve de la traversée en mer, terrifiante pour qui n'a jamais été confronté à si vaste étendue d'eau et ne sait pas nager. D'autant que le cynisme pousse les passeurs à vendre aux candidats au passage de faux gilets de sauvetage.
L'album À bord de l'Aquarius s'ouvre par le récit d'un sauvetage. Un navire militaire espagnol demande assistance à l'Aquarius pour secourir un pneumatique au bord du naufrage. Comme souvent, l'embarcation est surchargée. Pour éviter qu'elle ne chavire durant l'opération, des gilets de sauvetage orange sont distribués aux occupants. La couleur de l'espoir ! 171 personnes seront secourues ce jour-là, dont 47 enfants et 57 femmes. En découvrant leurs visages sous le trait généreux du dessinateur Lelio Bonaccorso, on ne peut s'empêcher de penser à tous les autres, ceux qui ont sombré dans l'anonymat.
Mais l'un des aspects les plus forts de cet album surgit avec les témoignages que les migrants livrent aux auteurs à propos de leurs conditions de détention en Libye. « Ils nous frappaient, ils nous torturaient. On ne mangeait que du pain, une fois par jour. Ils nous traitaient comme des animaux ! Les Libyens nous détestent », racontent-ils à propos de leur enfermement dans les centres de rétention libyens.
Une situation dénoncée depuis longtemps par les ONG, qui remettent en question les accords de collaboration passés depuis 2017 par l'Italie et l'UE avec la Libye. Accords selon lesquels ils fournissent entraînement et équipements aux gardes-côtes libyens, en contrepartie de la surveillance de la zone frontière maritime et de la gestion des flux migratoires.
À bord de l'Aquarius, les occupants assistent avec effroi au « sauvetage » d'un pneumatique en difficulté par un navire de guerre libyen. Quelques heures plus tôt, Tripoli avait refusé que le navire affrété par SOS Méditerranée, pourtant arrivé le premier, n'intervienne. Plus de trente migrants se noieront sous les yeux effarés des occupants de l'Aquarius. Un récit corroborant les nombreuses accusations de violence portées par les ONG lors des sauvetages menés par les gardes-côtes libyens.
En 2014, l'Union européenne a mis fin à l'opération de secours en mer Mare Nostrum — habilitée à intervenir jusqu'aux côtes libyennes —, pour la remplacer par une simple mission de surveillance des frontières. C'est en réaction à cette décision que le capitaine Klaus Vogel a décidé de lancer le projet « Aquarius ». En deux ans et demi sur les mers, le navire portera secours à près de 30 000 personnes en détresse.
Financé à 93 % par des dons privés, l'Aquarius a dû cesser son affrètement fin 2018, suite à une vaste campagne de diffamation et à la perte de son pavillon panaméen. L'arrivée au pouvoir de l'extrême droite en Italie, avec la fermeture de ses ports aux navires humanitaires, a compliqué un peu plus les opérations de sauvetage en mer, encore opérées par quelques ONG.
En février 2019, c'est le navire Sea-Watch 3 qui a ainsi été bloqué dans le port sicilien de Catane, suite à une enquête lancée par la justice italienne pour « association criminelle destinée à faciliter l'immigration illégale ». Le 29 juin 2019, après dix-sept jours d'errance en mer avec à son bord une quarantaine de naufragés, Carola Rackete, la capitaine du Sea-Watch 3, a pris la décision de forcer l'entrée dans les eaux italiennes afin de débarquer à Lampedusa les migrants secourus.
Son arrestation a déclenché une vague d'indignation, ainsi qu'une intense mobilisation internationale. Après quatre jours d'enquête, la juge a décidé de donner raison à la capitaine et de la relâcher, estimant que la Libye et la Tunisie n'étaient pas considérées comme des « ports sûrs » au regard du droit de la mer.
Pia Klemp, l'ancienne capitaine du Sea-Watch 3, dont le procès va débuter en Italie, risque quant à elle jusqu'à vingt ans de prison. Poursuivie pour le crime « d'aide et de complicité à l'immigration illégale » pour ses activités de sauvetage de 2016 à 2017, celle qui a sauvé d'innombrables vies en mer renvoie la balle à l'Union européenne, l'estimant « coupable » d'avoir causé la mort de milliers de migrants en confiant la gestion des sauvetages aux gardes-côtes libyens.
En France, en déclarant « que les ONG ont pu se faire complices des passeurs », le ministre de l'Intérieur Castaner s'est fait le relais des campagnes de diffamation qui affaiblissent l'action des derniers navires humanitaires agissant en Méditerranée. Des propos qui ont profondément choqué à gauche. Et qui nous rappellent que la France, en 2019, a livré six navires militaires aux gardes-côtes libyens pour lutter contre l'immigration clandestine. Se rendant, de fait, complice des exactions commises contre les personnes candidates à l'exil sur le territoire et les eaux libyennes.
Comme le rappelle la dernière page d'À bord de l'Aquarius, plus de 30 000 personnes ont péri en tentant de traverser la Méditerranée ces quinze dernières années. Des chiffres imprécis, sûrement bien en dessous de la réalité. Mais pour les auteurs de cette BD, comme pour nous, il est crucial, pour ne pas dire vital, que l'histoire de ces hommes, femmes et enfants abandonnés de (presque) tous au milieu des flots soit racontée. Et ce, afin qu'« à la différence d'autres carnages, nous ne [puissions] pas dire “Nous ne savions pas”, ni regarder ailleurs ».
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