Malgré les camouflets du Conseil d'État et deux mois et demi de mobilisation sociale, le gouvernement s'entête à vouloir imposer son projet de réforme des retraites. Une nouvelle journée de grève et de manifestations interprofessionnelles. Analyse alors que le débat parlementaire vient de commencer et au lendemain de l'ouverture de la conférence dite de financement des retraites.
Deux mois et demi de mobilisation sociale, une majorité de la population comme des organisations syndicales toujours opposées à la contre réforme gouvernementale de notre système de retraite, et pourtant Emmanuel Macron continue de déployer son calendrier comme si de rien n'était. Ainsi se sont ouverts lundi 17 le débat à l'Assemblée nationale et mardi 18 la conférence de financement.
Camouflets du Conseil d'État
L'exécutif vient pourtant d'essuyer coup sur coup plusieurs camouflets du Conseil d'État lui-même. Le 24 janvier dernier, le jour de la présentation du projet en Conseil des ministres, les magistrats indiquent : « Le Conseil d'État constate que les projections financières transmises restent lacunaires et que, dans certains cas, cette étude reste en deçà de ce qu'elle devrait être ».
Ils insistent : « Il incombe au gouvernement de l'améliorer encore avant le dépôt du projet de loi au Parlement, en particulier sur les différences qu'entraînent les changements législatifs sur la situation individuelle des assurés et des employeurs, l'impact de l'âge moyen plus avancé de départ à la retraite […] sur le taux d'emploi des séniors, les dépenses d'assurance-chômage et celles liées aux minima sociaux. ».
Et le gouvernement a reçu une autre gifle du même Conseil d'État sur l'un des aspects du projet : l'annonce de Jean-Michel Blanquer à la fois d'une revalorisation salariale — au mérite… — des enseignants, mais aussi de dispositions leur assurant une retraite de même niveau que celle des fonctionnaires de catégories équivalentes.
Le ministre indiquait un montant de l'ordre de 400 à 500 millions d'euros par an jusqu'en 2037 pour un montant total de 10 milliards. De quoi compenser, avançait-il, les bas salaires de ces enseignants (parmi les plus mal rémunérés de l'UE) et le passage du calcul de leurs pensions sur leurs six derniers mois de salaire à un système par points accumulés sur l'ensemble de leurs carrières.
Mais cela supposerait une loi de programmation dont le gouvernement entend soumettre le projet au Parlement ultérieurement. Or ce procédé pourrait, souligne le Conseil d'État, s'avérer inconstitutionnel. De quoi confirmer les craintes des enseignants et de leurs syndicats et renforcer leur mobilisation.
L'hypothèse du 49.3
Peu importe les avis du Conseil d'État, Emmanuel Macron nourrit une conception toute personnelle de la démocratie. Et rien ne doit permettre quelque inflexion ni de son projet, ni de sa méthode, ni du calendrier qu'il a fixé.
L'Assemblée nationale a donc débuté ce lundi 17 mars l'examen du projet de loi, bien que se tienne en même temps une « conférence de financement » réunissant les organisations syndicales et patronales, chargées de formuler d'ici à avril des propositions répondant à l'injonction gouvernementale d'un équilibre financier d'ici à 2027, faute de quoi le gouvernement reprendra la main.
Dans un tel contexte, quelque 41 000 amendements ont été déposés à l'Assemblée.
Pour couper court au débat, Richard Ferrand (LREM), président de l'Assemblée nationale, a souhaité que ne s'exprime qu'un seul orateur par groupe sur les amendements identiques.
La majorité voulant une adoption en première lecture avant les municipales des 15 et 22 mars, et définitive d'ici l'été, l'hypothèse de l'utilisation du 49.3 est même toujours à l'ordre du jour.
Financement : le patronat veut augmenter l'âge de départ
Parallèlement s'est donc ouverte, mardi 18, la conférence de financement des retraites.
Pour le gouvernement, il s'agit d'aboutir à un équilibre financier selon des prévisions chiffrées qu'il n'a toujours pas réussi à justifier, et en bloquant le niveau des dépenses à 14 % du produit intérieur brut. Mais il rejette par avance toute augmentation de ce qu'il nomme le « coût du travail » c'est-à-dire à la fois les salaires et les cotisations patronales (ou salaires différés).
Dans un entretien au quotidien Les Echos paru ce mercredi 18, Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, annonce que « sans équilibre financier, [il] [s'opposera] à la réforme des retraites » dont il rappelle ne pas avoir été demandeur. Rejetant une « étatisation » du système, il souhaite interdire le déficit annuel ou imposer un niveau de réserves obligatoires, et prône par ailleurs une réintégration des cadres supérieurs dans le système actuel, jusqu'au plafond de l'Agirc-Arrco.
Mais pour lui « Il faut que le décalage de l'âge de départ soit la mesure principale, sinon exclusive ». Il ajoute : « Pourquoi ne pas combiner une montée en charge de l'âge pivôt au-delà de 2027, et une accélération de la réforme Touraine, qui allonge la durée de cotisation à 43 ans ? (…) Au moins 90 % de l'effort financier doit porter sur l'âge ».
Quant à la pénibilité, le patron des patrons n'évoque ni prévention ni réparation, mais réclame que « l'augmentation des départs anticipés pour pénibilité soit compensée par moins de départs pour carrières longues ».
Pour la CGT : financer l'amélioration du système actuel
La CGT, qui considère qu'il y a « peu de chance » que cette conférence de financement « débouche sur des changements profonds au vu du cadre fixé par le gouvernement », a cependant décidé d'y participer « bien décidée à faire entendre une autre voix ».
Rejetant le système par points que le gouvernement veut mettre en place, elle propose au contraire d'améliorer le système solidaire par répartition qui est le nôtre et formule pour cela des propositions concrètes (telles qu'un départ en retraite à 60 ans pour toutes et tous, un retour au calcul sur les dix meilleures années dans le privé et six derniers mois dans le public, la prise en compte des années d'études, la reconnaissance de la pénibilité par grands corps de métiers, un taux de remplacement minimum à 75 % et pas inférieur au SMIC…) et des modalités précises de financement.
Celles-ci supposent non pas de réduire les droits des pensionnés, mais d'augmenter les recettes du régime, à la fois « par une politique salariale et de l'emploi », par une hausse des « cotisations sociales pour stabiliser le système à long terme » et par une mise à contribution du capital.
Au lendemain de cette première journée, la confédération indique qu'elle « attend désormais une prise en compte de ses propositions de la part de ce même gouvernement » et précise : « En l'absence de réponse, elle posera dès la semaine prochaine à ses instances dirigeantes, la question de la pertinence de maintenir sa présence à une conférence qui n'aurait dès lors comme seul objectif que de discuter autour d'un déficit budgétaire créé de toutes pièces. »
Nouvelle mobilisation jeudi 20 février
L'intersyndicale en tout cas (CFE-CGC ; CGT ; FO ; FSU ; Solidaires ; FIDL ; MNL ; UNEF ; UNL) le rappelle : « largement majoritaire et de plus en plus confortée, [elle] renouvelle son exigence du retrait du projet de réforme des retraites ».
Rappelant la diversité des initiatives des salariés et du public pour rejeter cette contre-réforme, elle appelle à « poursuivre la mobilisation tout le temps nécessaire sur l'ensemble du territoire et parallèlement de renforcer l'information pour rétablir la vérité jusqu'au retrait de ce projet inutile et dangereux ».
Prochain rendez-vous de grève interprofessionnel et de manifestation, pour une dixième journée nationale d'action : ce jeudi 20 février.