Université et recherche : dangereuse opération diversion
En accusant les universités d’être gangrénées par « l’islamo-gauchisme », plusieurs ministres tentent de faire diversion face à la crise et à sa gestion. Mais... Lire la suite
Ce mardi 17 novembre, l'héritage étudiant de mai 1968 paraît avoir été balayé, symboliquement, d'un revers de main par le gouvernement à l'Assemblée Nationale. Ce jour, a été votée la Loi de Programmation de la Recherche (LPR). Déjà décriée par la communauté universitaire et une majorité d'organisations syndicales (Unef, Snesup-FSU, CGT, Sgen-CFDT, etc.), parce qu'elle ne tient pas ses engagements budgétaires et qu'elle précarise encore davantage les enseignants-chercheurs, la proposition s'est vu augmentée, le 9 novembre, de deux articles pour le moins dangereux et problématiques. D'autant plus contestables que ceux-ci n'ont pas été soumis au débat démocratique ni à la consultation universitaire. Le premier remet en cause le traditionnel recrutement des professeurs par le Conseil National des Universités. Le second porte sur la « judiciarisation des mobilisations étudiantes ». L'article stipule : « Le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l'enceinte d'un établissement d'enseignement supérieur sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l'établissement, est passible de sanctions. » Lesdites sanctions peuvent s'élever à trois ans de prison et 45 000 euros d'amende… De quoi dissuader tout embryon de mobilisation.
Hervé Christofol, du Syndicat National de l'Enseignement Supérieur-FSU, décode : « L''ordre, la tranquillité : voici deux notions aux contours juridiques flous, soumis à libre interprétation, qui peuvent donner lieu à des dérives autoritaires. Il s'agit pour nous d'un vrai recul démocratique… ». Et puis, note-t-il, cet article de loi interdit aussi, en théorie, d'accueillir dans l'enceinte de l'Université, supposée « lieu d'émancipation culturelle », d'autres mobilisations de travailleurs – cheminots, salariés contre la réforme des retraites, etc. Or, « tout cela relève d'une éducation politique et populaire », argue-t-il. Atterrée, l'Unef s'est aussi fendue d'une lettre ouverte à la Ministre de l'Enseignement Supérieur, Frédérique Vidal. « Ce que vous allez interdire, c'est l'envahissement d'un CA pour dénoncer un budget trop faible et empêcher que le vote ait lieu, l'occupation d'une université pour dénoncer une réforme. (…). Non content.e.s de ne pas avoir écouté les jeunes, vous souhaitez maintenant nous interdire de dire non'? », s'émeut la présidente Mélanie Luce, au nom de son syndicat. La vice-présidente Maryam Pougetoux, invoque, elle, l'histoire : « De mai 1968 aux soulèvements contre le CPE en 2006, en passant par les mouvements contre la loi Devaquet en 1986, les mobilisations étudiantes ont toujours été des leviers, qui ont initié de vraies mutations sociétales. »
Une lettre ouverte intersyndicale a été envoyée à Jean Castex, pour l'alerter de la dangerosité de ces articles. Secrétaire générale de la Syndicat National des Travailleurs de la Recherche Scientifique CGT, Josiane Tack s'insurge : « Auparavant, le préfet pouvait demander l'intervention des forces de l'ordre dans l'enceinte de l'Université, lors de mobilisations. Désormais, celles-ci peuvent intervenir sans requête. Sacrée nuance, qui veut mettre un coup d'arrêt aux manifestations et aux revendications étudiantes. Or, un gouvernement qui ne souhaite plus la moindre rébellion, dérive lentement vers le totalitarisme. » Au sujet de cette loi, le verdict sera rendu vendredi 20 novembre au Sénat. En cas de validation, il ne restera plus que le recours au Conseil Constitutionnel pour tenter d'empêcher cet article liberticide.