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ASSURANCE CHÔMAGE

« Une réforme qui fera environ 1 million de perdants »

30 novembre 2022 | Mise à jour le 30 novembre 2022
Par | Photo(s) : Bertrand GUAY / AFP
« Une réforme qui fera environ 1 million de perdants »

. (Photo by Bertrand GUAY / AFP)

La baisse de la durée d'indemnisation quand le taux de chômage est, comme actuellement, en dessous de 9% représente une coupe de 11% des dépenses de l'Unedic. Premières victimes : les personnes en fin de droits. Entretien avec Denis Gravouil, dirigeant de la CGT responsable du dossier assurance chômage.

 

Comment se caractérise cette nouvelle réforme de l'assurance chômage ?

C'est la poursuite de la destruction de ce qu'est l'essence même de l'assurance chômage. Emmanuel Macron continue de donner ses coups de boutoir : cela a commencé par la suppression de la cotisation salariale, suivi des sanctions contre les chômeurs, la première salve visant les travailleurs précaires. Maintenant c'est le capital de droits total qui est sabré de 25% contrairement à ce qui avait été annoncé il y a un an. La première ministre Élisabeth Borne avait juré que les mêmes droits seraient servis, mais étalés dans le temps. Et là… le gouvernement raccourci le temps. En résumé, il prévoit de faire varier la durée d'indemnisation en fonction du taux de chômage, avec une durée qui augmente en période dite « rouge », quand le chômage dépasse 9%, et qui diminue en période « verte », quand il est en dessous de ces 9%. Résultat : la durée d'indemnisation des nouveaux demandeurs d'emploi va baisser de 25% à compter du 1er février 2023.

Si on baissait les salaires ou les retraites de 11% tout le monde descendrait dans la rue

 

Cela représente une coupe de 11% dans les dépenses de l'assurance chômage soit 4,4 milliards d'euros sur 39 milliards de dépenses. Du jamais vu, c'est énorme…  Si on baissait les salaires ou les retraites de 11% tout le monde descendrait dans la rue. Cette réduction des dépenses de l'assurance chômage est plus précisément concentrée sur les personnes en fin de droits.  Rien ne change pour celui ou celle qui retrouve du travail après 3 mois de chômage, par contre le couperet de la fin de droits tombera plus tôt. Certes, on ne descend pas en dessous du seuil minimum de 6 mois d'allocations chômage – durcissement de 2021 – mais les durées d'indemnisation baissent pour tous, jusqu'aux plus de 55 ans qui n'ont plus droit qu'à 27 mois d'indemnisation contre 36 actuellement. Au total cela fait environ 1 million de perdants.

Concrètement quelles vont être les conséquences de cette réforme de l'assurance chômage ?

Comme ces dispositions vont s'appliquer par décret à partir du 1er février 2023, il faudra attendre 6 mois, c'est-à-dire août 2023, pour voir les premiers perdants qui, par rapport aux dispositions actuelles, vont se retrouver sans allocation deux mois plus tôt. Les deux grandes catégories de perdants sont les personnes qui sont en contrats courts et ont du mal à retrouver des emplois stables, notamment des jeunes et les séniors qui perdent 9 mois d'indemnisation. Pour eux, ce sont autant de trimestres qui ne seront pas cotisés pour la retraite complémentaire dans un contexte où il est question de reculer l'âge de départ à la retraite. Cela revient non seulement à faire plonger beaucoup de personnes dans le RSA mais également à les empêcher d'accéder à leurs droits à la retraite. Plus globalement, dans un système de baisse de droits il y a tout particulièrement des perdants dans les bassins d'emploi les plus sinistrés et dans les catégories d'âge et de métiers les plus en difficulté vis-à-vis de l'emploi.

Qu'est-ce qui a motivé la décision du gouvernement de faire baisser la durée d'indemnisation chômage ?

Ce principe de réduction du temps d'indemnisation est habillé d'un discours selon lequel ce système serait plus généreux quand on repasse dans le « vert », c'est-à-dire à un taux de chômage inférieur à 9%. Non seulement c'est problématique d'évoquer la générosité quand on parle d'assurance sociale mais en plus c'est faux. Il est juste prévu de revenir à la durée d'indemnisation actuelle dès que le taux de chômage total – c'est-à-dire sans compter les millions de travailleurs précaires – passe dans le « vert ». Sauf qu'à moins d'un krach boursier cela n'arrivera jamais ! Même pendant le covid ce niveau de 9% de chômage n'a pas été atteint. Ce n'est pas plus généreux, c'est tout simplement impossible. En fait c'est un habillage pour baisser les droits de 25%. Cette réforme, c'est exactement ce que voulait faire le Medef depuis une dizaine d'années : un modèle contracyclique, c'est-à-dire une modulation des droits à l'assurance chômage en fonction de la conjoncture économique, comme au Canada… L'indicateur retenu a été le taux de chômage. Avec ses 4,4 milliards d'euros d'économies cette réforme satisfait aussi le fonds monétaire international qui veut une France moins dépensière. Enfin, elle s'inscrit dans une feuille de route gouvernementale qui comprend huit autres mesures parmi lesquelles les réformes des retraites, de Pôle emploi qui devient France Travail, du compte personnel de formation (CPF) réorienté vers les besoins de l'entreprise, etc. Le tout au nom du plein emploi.  Pseudo-étude à l'appui le gouvernement assure que les gens retrouveraient un emploi quand la durée d'indemnisation chômage baisse. Mais le ministre du travail évoque 100 000 à 150 000 emplois sur plusieurs années. Même sur trois ans, cela ne représente rien ! Et quand un chômeur en fin de droit finit par être acculé à prendre n'importe quel travail, de quel emploi, de quelle qualité, parle-t-on ?

Toutes les organisations syndicales dénoncent cette réforme de l'assurance chômage mais aucun mouvement de contestation n'a l'air de s'organiser…

En plus des Contrats de sécurisation professionnelle pour les licenciés économiques, il faut noter que le gouvernement a pris soin d'exclure aussi de ces dispositions les territoires d'outremer, les marins, les dockers et les intermittents du spectacle. En fait cette réforme est pilotée en fonction du risque social et de son acceptabilité.

Pour faire taire la voix des usagers les organisations syndicales sont mises sur des strapontins.

Concernant les outremers, c'est par crainte des émeutes compte tenu de l'importance du chômage, pour les marins, dockers et intermittents du spectacle, c'est parce que ce sont des forces sur lesquelles il aurait été facile de s'appuyer pour mobiliser un mouvement de contestation. Il en va de même dans la concertation sur la réforme de Pôle emploi qui devient France Travail : pour faire taire la voix des usagers les organisations syndicales sont mises sur des strapontins. Et il va nous falloir dénoncer cela aussi car le projet France Travail c'est du tout numérique donc moins d'inclusion, l'absorption des institutions dédiées aux publics spécifiques comme les missions pour l'emploi pour les jeunes, l'Apec pour les cadres ou encore Cap emploi pour les personnes en situation de handicap et avec un désengagement financier croissant de l'État pour toujours moins de service public de l'emploi. En règle générale, toutes les propositions du Medef ayant été reprises dans les projets de loi du gouvernement, le patronat est en position de force pour discuter avec les organisations syndicales, pour éventuellement changer les paramètres et durcir encore la contracyclicité. Hormis les recours juridiques qui vont être engagés en intersyndicale, il faudrait quand même pouvoir organiser des actions. C'est ce que prévoit le CNTPEP-CGT [le Comité national CGT des travailleurs privés d'emploi et précaires]. Outre le rassemblement unitaire avec des associations de chômeurs le samedi 3 décembre 2022 à Saint-Denis (93), un meeting est prévu le 15 décembre 2022 à Paris avec la FSU et Solidaires pour essayer de faire monter la pression d'ici à janvier.