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Nouvelles technologies

Pourquoi il faut réorienter l’intelligence artificielle vers l’humain

13 juin 2024 | Mise à jour le 13 juin 2024
Par | Photo(s) : Camarade Agency
Pourquoi il faut réorienter l’intelligence artificielle vers l’humain

Un colloque organisé par la Fédération CGT des sociétés d'études s'est tenu le 6 juin sur le thème : « L'IA et système capitaliste ». Zoom sur la place et le rôle des représentants du personnel face à l'émergence de ChatGPT et consorts.

L'intelligence artificielle (IA) est partout. Elle a investi tous les champs de nos vies. Chaque jour, une utilisation privée en est faite par toutes et tous. Un usage individuel et professionnel en est également fait par des salariés qui, sans l'aval de leur direction, y ont recours pour gagner du temps. Et, c'est bien ce gain de temps, ce gain de productivité, chers aux entreprises qui est la priorité aujourd'hui pour celles qui la mettent en place. Or, « c'est l'homme, son devenir, et ce que l'on va faire avec l'IA », qui importe pour Céline Vicaire, secrétaire général de la Fédération CGT des sociétés d'études lors du colloque consacré à « l'IA et système capitaliste » le 6 juin.  Il faut donc réorienter son usage vers ce que l'on voudrait qu'elle soit, reformule Salim Mounir Alaoui, ingénieur chez Orange Labs et élu Cgt.

C'est dans ce cadre que peuvent agir les instances représentatives du personnel et les syndicats. En effet, une bonne implantation de l'IA ne peut se faire qu'avec leur participation, et mieux, leur adhésion. Les entreprises ont tout intérêt à jouer le jeu d'un dialogue social sincère avec les représentants du personnel qui sont les mieux à même de comprendre les enjeux de l'introduction d'une IA dans les métiers, et de l'appréhender comme un projet d'entreprise à étudier et à concevoir collectivement. Un véritable défi.

Quel impact sur le travail et l'entreprise… ?

L'IA fait peur au regard des risques qu'elle implique pour le monde du travail. Il n'est pas possible d'en faire une liste exhaustive car aucune étude ne détermine à ce jour son réel impact dans la société. Il existe certes des études, qui traitent des incidences sur le travail, la production, mais qui sont souvent réalisées par ceux qui prônent le développement de l'intelligence artificielle dans les entreprises. Des contre-études ont été menées qui concluent, elles, à des retombées incertaines (OCDE, La base des données : « OECD : AI incidents monitors »). Les chefs d'entreprise, qui n'en mesurent pas plus les conséquences et attendent un retour sur investissement, adoptent des stratégies de rentabilité. C'est le constat opéré par Odile Chagny, chercheure, économiste et animatrice du réseau Shares & Workers, qui explique que, « à chaque fois que l'IA est déployée dans la fonction publique, elle s'accompagne d'une réduction des effectifs ».

L'IA, génératrice de risques au travail

Tout au long du colloque, des risques potentiels ont été mentionnés : le remplacement du travailleur ; la transformation des métiers ; la diminution de la reconnaissance au travail ; le déclassement dans le travail ; une réduction de l'autonomie ; le management algorithmique ; l'augmentation de la charge de travail… Autant d'« incidents », pour reprendre l'intitulé de l'étude de l'OCDE, qui sont révélateurs de risques psychosociaux et organisationnels.

Pour exemple : en médecine-radiologie, l'IA fait des merveilles puisqu'elle peut détecter une maladie à venir à un patient que le praticien n'identifie pas. L'expert, à priori le radiologue, est dépassé en compétence par le système IA. Que faire vis-à-vis du patient ? Lui révéler une maladie future parce que l'IA l'a prédit ? Vaut-il mieux s'en référer à la machine plutôt qu'à l'homme ? Peut s'ensuivre une dévalorisation du métier de radiologue, assujetti à ce que lui indique l'IA, et, à terme, une pénurie de candidat pour ces métiers.

« Veiller à ce que les systèmes soient faciles à utiliser et compatibles avec le respect des droits des travailleurs »

Les IRP et les syndicats exerçant leurs mandats dans des entreprises qui mettent en place l'IA doivent s'emparer de cette problématique en amont du projet de la direction. Stanislas Guerini, ministre de la Transformation numérique et de la Fonction publique, s'y est engagé en signant le 6 octobre 2022 un accord cadre du comité sectoriel de dialogue social pour les administrations d'état et fédérale sur la numérisation, lequel dispose que : « Lors de l'introduction ou du renforcement de système utilisant l'IA, les représentants de travailleurs sont étroitement impliqués dans ce processus, à un stade précoce, pour veiller à ce que les systèmes soient faciles à utiliser et compatibles avec le respect des droits des travailleurs et de bonnes conduites de travail, en tenant compte des incidences potentielles sur l'autonomie des travailleurs, leurs compétences et leur satisfaction au travail. »

Sur le terrain, les systèmes IA sont encore bien trop souvent présentés en comité social et économique comme un prétexte pour rationaliser des coûts ou externaliser des services, et non pour faire monter ou évoluer les compétences des salariés.

La mise en place ou les modifications de l'IA dans une entreprise doit passer comme pour tout autre projet d'entreprise par une consultation du CSE. L'employeur doit absolument répondre à six questions selon Vincent Mandinaud, sociologue et chargé de mission à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) :

1 Utilité de l'IA (pour qui, pour quoi ?)

2 Son accessibilité (à tous les travailleurs, oui, non, pourquoi)

3 Son utilité (comment résister à son utilisation quand son ergonomie est si simple ?)

4 Discuter du projet plus largement en réintroduisant le droit d'expression des salariés, pour éventuellement l'améliorer.

5 S'assurer de la cohérence du projet pour les différents services

6 Transformer le projet selon les usages métier, l'adapter à la réalité du travail.

 

Plus les IRP obtiendront de réponses, plus ils pourront comprendre, s'approprier le projet et en faire une restitution efficace aux salariés.

D'autres leviers ont été évoqués à ce colloque. Comme mettre l'employeur face à ses responsabilités de gestionnaire d'entreprise ; exiger la mise à jour d'un document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) intégrant le système IA comme un moyen pour les élus d'être informés sur le long terme. Dans l'Administration, par exemple, un registre « système IA » doit être rempli par la direction. A défaut, elle engage sa responsabilité et si, effectivement, elle le remplit, ledit registre devient une source d'information pour les représentants des salariés.

La mise à l'écart des élus dans l'élaboration du processus IA risque de mettre en échec son implantation. Non pas que le CSE ait un pouvoir de décision, les prérogatives ayant été largement amoindries depuis les lois Rebsamen, El Komri et Macron, mais les avis négatifs ou les absences d'avis (faute d'informations suffisantes) pourraient s'accompagner d'une défiance supplémentaire des salariés à l'égard du système en place. Les entreprises peuvent ainsi craindre un échec à postériori faute d'adhésion des institutions représentatives, des syndicats, et des salariés.

Les combats syndicaux à mener

Les rapports de force exercés dans l'entreprise par les syndicats sont indispensables. Tous les combats se valent. Des actes de désobéissance civile ont été évoqués pour protester contre le recours à l'IA, mais, partant du constant que l'IA est déjà là, qu'elle continue à évoluer, et qu'il est difficile d'y résister, l'idée est de l'impulser vers d'autres horizons cohérents tournés vers les métiers avec les valeurs notamment de la Cgt. Des actions d'ordre juridique en soutien à celles du CSE sont possibles, mais aussi d'autres touchant à la morale et l'image de l'entreprise.  « Les entreprises n'aiment pas que leur image soit affectée », , rappelle Salim Mounir Alaoui, c'est pourquoi, dénoncer certaines pratiques contraires au droit des travailleurs ou nocives pour l'environnement est une carte à jouer.

Des débats seront encore nécessaires à l'avenir, pour que l'humain reprenne sa place dans son travail. Car c'est le travail qui crée la valeur, et non le profit. Un nouveau colloque est prévu à l'automne. A suivre…