
La nuit de la duperie
Une vingtaine de syndicats et d’associations appellent à manifester ce jeudi 4 décembre 2025 devant les Folies Bergères à Paris, là où se déroule la 9e édition de la... Lire la suite

Salvatore Marra, chef des politiques européennes et internationales à la CGIL
De ce côté-ci des Alpes, le bilan de Giorgia Meloni est souvent présenté de façon positive. Qu'en est-il en réalité ?
Giorgia Meloni est en effet très populaire dans la presse étrangère, de droite notamment. Nous sommes très surpris du narratif employé, car notre économie est toujours à la traîne. Il est vrai que certaines données macroéconomiques sont positives. Le déficit public atteint désormais presque 3 % du PIB [produit intérieur brut, NDLR], conformément aux critères de l'Union européenne, et le taux de chômage baisse – 7,8 % en 2022, contre 6 % en 2025 –, mais les postes créés sont principalement de nature précaire. Selon l'INPS, l'Institut national de prévoyance sociale, huit nouvelles embauches sur dix étaient à durée déterminée en 2024. Donc, tous ces prétendus « bons » chiffres économiques ne disent -absolument rien de la réelle qualité de vie des Italiens. La pauvreté a, par exemple, bondi de façon spectaculaire et, aujourd'hui, près de six millions de personnes vivent dans un état de pauvreté absolue. Rappelons que l'une des mesures de Giorgia Meloni, quand elle est arrivée au pouvoir, a été de supprimer le revenu de citoyenneté, qui est l'équivalent de votre revenu de solidarité active. Par ailleurs, le travail au noir explose et les salaires stagnent. Autres éléments préoccupants : l'industrie italienne a perdu 42 milliards d'euros de chiffre d'affaires par rapport à 2023, nos exportations ont reculé de 3 % entre 2023 et 2024, et les projections indiquent que cela sera même pire pour 2025. ça, c'est la réalité du « paradis italien ». Alors, quand on parle de réussite à l'italienne, de quoi parle-t-on ? De la richesse des multinationales et des multimillionnaires. Oui, tout va très bien pour eux !
Toujours dans la même veine, on nous présente souvent le visage d'une dirigeante d'extrême droite soft et populaire, qui serait un modèle à suivre…
Sa popularité a baissé, et il faut tout de même rappeler que le gouvernement de -coalition actuel [composé, notamment, du parti de Giorgia Meloni, Fratelli d'Italia, de la Ligue, également d'extrême droite, et de Forza Italia] a été élu par seulement 13 millions d'Italiens ; 15 millions d'électeurs ont voté pour les autres partis, et 18 millions ne sont pas allés voter du tout. Il est donc faux de dire que Giorgia Meloni bénéficie d'un large soutien populaire. Quant à la banalisation de l'extrême droite, je vous le dis de manière très claire : la France a juste une dizaine d'années de retard par rapport à l'Italie. Nous avons connu, comme vous, des années d'instabilité gouvernementale, et puis l'extrême droite est arrivée au pouvoir. Donc, le danger est à vos portes en France. Et après, si cela arrive, ce sera ciao à la liberté, ciao à l'égalité et ciao à la fraternité ! Nous pouvons témoigner d'attaques sans précédent contre tous ces principes et vivons aujourd'hui dans un climat de violence exacerbée.
Quels exemples pouvez-vous donner ?
Le pouvoir est très virulent. En témoigne la polémique entre Elly Schlein, secrétaire du Parti démocrate italien, qui déclarait, lors du congrès du Parti socialiste européen, mi-octobre à Amsterdam, aux Pays-Bas, que nous avions un problème démocratique dans notre pays. Giorgia Meloni l'a attaquée avec une virulence extrême, ripostant qu'elle faisait de la publicité négative à son pays. Meloni et ses soutiens n'aiment pas qu'on les nomme pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire des gens d'extrême droite. Mais ce n'est pas nous qui choisissons de les nommer ainsi, c'est ce qu'ils sont. Au Parlement européen, Fratelli d'Italia et la Ligue siègent au sein d'un groupe parlementaire, Patriotes pour l'Europe, qui est clairement d'extrême droite. Pour bien illustrer le climat de tensions, au mois d'octobre, une bombe a explosé sous la voiture du journaliste d'investigation Sigfrido Ranucci. Nous vivons dans un climat d'intimidation, les menaces contre les syndicalistes, contre les acteurs de la société civile se multiplient. Les membres de la flottille pour Gaza sont traités de tous les noms, de « complices du Hamas », de « terroristes ». Le discours de haine contre les étrangers est une parole normalisée au Parlement et dans la classe politique italienne, les propos racistes sont totalement décomplexés. C'est effrayant. Sur la politique migratoire, l'approche est aussi clairement d'extrême droite. Le gouvernement a décidé d'investir des centaines de millions d'euros pour « délocaliser » nos frontières et ouvrir des centres de rétention de migrants en Albanie. Des lieux indignes, coûteux et inefficaces, et qui ne satisfont d'ailleurs même pas le patronat. Car nous avons un besoin très clair de main-d'œuvre, la population italienne étant l'une des plus âgées au monde. En matière de politique internationale, Meloni a noué des alliances très fortes avec Donald Trump ou encore Benyamin Netanyahou. Elle a même donné la citoyenneté italienne honoraire au dirigeant argentin Javier Milei et à sa sœur…
On se souvient aussi que, bien avant l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir, le siège de la CGIL à Rome avait déjà été la cible des militants fascistes de l'organisation Forza Nuova, en 2021…
Les intimidations contre les syndicalistes se poursuivent. Le décret Sicurezza [sécurité], entré en vigueur en octobre 2024, prévoit par exemple de la prison ferme pour les activistes et les syndicalistes en cas de blocage de rues lors d'une grève. L'ère Meloni, ce sont aussi des attaques sans précédent contre la liberté de la presse ; l'Italie occupe la 49e place dans le classement de Reporters sans frontières. Une réforme de la justice est en cours et les associations catholiques d'extrême droite ont désormais pignon sur rue dans les centres de planning familial, incitant les femmes à renoncer à l'avortement. La haine se multiplie partout, venant des ministres, des parlementaires, des responsables de parti, contre les étrangers, contre la communauté LGBTQIA+. Le gouvernement a d'ailleurs poussé au retrait des droits parentaux des mères non biologiques dans les couples lesbiens. L'extrême droite au pouvoir, c'est la promotion de la haine en instrument de division.
Quelles réponses apporter ? Le scrutin de juin dernier piloté par la CGIL, qui portait sur cinq questions référendaires pour plus de progrès social et la réduction de la durée de résidence requise en Italie pour obtenir la nationalité, n'a pas abouti, faute de participation suffisante…
Il y a deux choses à prendre en compte. La première, c'est que, si l'on regarde les résultats de ces référendums, il est vrai que nous n'avons pas atteint, d'une manière générale, le quorum minimal de 50 % pour valider ces votes. Mais la catégorie des 18 à 35 ans a voté à plus de 50 %. Donc, si seuls les jeunes avaient voté, le référendum aurait été validé ! Cela veut dire une chose : la nouvelle génération refuse que son futur soit mis en cause par ces politiques et ces gouvernements de droite ou d'extrême droite. Le problème est que les jeunes représentent une minorité en Italie [les 15-24 ans représentent 10 % de la population, les plus de 65 ans, près de 25 %, selon l'Istat, l'Institut national de la statistique], c'est d'ailleurs une de nos faiblesses structurelles. Le deuxième aspect, c'est l'ampleur de l'abstention. Il y a un désespoir très profond vis-à-vis des politiques, surtout de la part des gens les plus pauvres. Ils ne vont plus voter parce qu'ils perçoivent les institutions comme inutiles. Les gens ne croient plus que celles-ci puissent vraiment changer leur vie et l'améliorer. Et c'est très grave. C'est la raison pour laquelle nous pensons qu'il faut reconnecter les besoins des citoyens, des travailleurs, avec la politique.
A ce sujet, quel regard porter sur la grève générale et les mobilisations d'ampleur exceptionnelle en Italie qui se sont déroulées début octobre, à l'appel de différents collectifs et organisations, en soutien aux Gazaouis ? Comment a réagi le gouvernement ?
Ces manifestations immenses et ces grèves auxquelles nous avons aussi appelé, qui ont rassemblé plus de deux millions de personnes dans de très nombreuses villes en Italie, de Bologne à Palerme, ont été organisées à partir de revendications très claires. Dire au gouvernement italien de cesser ses livraisons d'armes, de mettre un terme à tous les accords commerciaux et militaires avec Israël, demander un cessez-le-feu, reconnaître enfin l'État de Palestine, ce à quoi il se refuse. Parce que la paix et le désarmement sont des sujets qui affectent directement la qualité de vie et de travail des Italiennes et des Italiens. Investir 23 milliards d'euros dans l'armement et soutenir le gouvernement Netanyahou qui viole le droit international, c'est une honte. C'est la raison pour laquelle nous n'acceptons pas la situation à Gaza, où se commet un génocide. Ces mobilisations massives ont été largement pacifiques, sans violence, et c'est ce qui a le plus agacé l'exécutif. Meloni s'est montrée très tendue, car elle a compris qu'elle perdait du terrain politique sur cette question et que son soutien inconditionnel à Netanyahou était massivement rejeté.
La CGIL appelait également, pour sa part, à une grande manifestation à Rome le 25 octobre, quel en était le mot d'ordre ?
Comme je l'ai évoqué, contrairement à ce qui est dit un peu partout, nous avons en Italie de très sérieux problèmes politiques, économiques et sociaux. Nous avons appelé les travailleuses et travailleurs à se mobiliser contre le budget de 2026. Cet exécutif d'extrême droite inscrit à son agenda une politique d'austérité couplée à une course à l'armement. Rien ou presque n'est prévu pour les travailleurs ou l'investissement, ce qui a même fait réagir le patronat. Le mot d'ordre de la manifestation était « Democrazia al lavoro ! » [« Démocratie au travail ! »] pour obtenir, notamment, plus de justice fiscale, le renouvellement des conventions collectives dans les secteurs privé et public, la lutte contre la précarité, le retrait de la réforme des retraites Fornero, qui date de 2011 et porte l'âge légal à 67 ans, une augmentation des salaires et des pensions, la mise en place d'un salaire minimum légal, une loi sur la représentation syndicale, et une réelle égalité territoriale entre le nord et le sud du pays. Cette manifestation, qui a rassemblé 200 000 personnes, portait aussi une dimension plus large : nous y avons d'ailleurs accueilli Luc Triangle, secrétaire général de la CSI, la Confédération syndicale internationale.
Peut-on dire qu'il se passe quelque chose du point de vue de la rue, des citoyens face à ce pouvoir d'extrême droite ?
Il y a quelque chose de nouveau, une forme de réaction à cette situation de malaise social, même si cela reste difficile à qualifier. Je pense que les gens ne sont pas dupes, quand ils vont faire leurs courses, qu'ils ne peuvent plus acheter de viande, ou qu'ils ne peuvent plus se soigner faute de places dans les hôpitaux publics… Est-il raisonnable de penser qu'ils vont croire encore pendant vingt ans que, tous ces problèmes, c'est à cause des migrants ? à un moment donné, les Italiens vont se dire qu'il y a quelque chose qui ne marche pas, qu'on leur raconte des histoires… Mais il nous faut agir de notre côté, mettre en place une plateforme politique progressiste qui combatte ce qu'est l'extrême droite dans le monde. Parce qu'on ne résoudra pas cette question à l'échelle nationale, c'est très clair. C'est la raison pour laquelle nous sommes vraiment engagés à promouvoir un réseau international des syndicats antifascistes, dont la CGT fait partie [lire aussi p. 19]. Il faut bâtir une alternative internationale à cette vague néofasciste, qui utilise le malaise social pour servir ses propres intérêts et celui des multimillionnaires, à qui elle est très connectée, puisqu'ils la financent.

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