9 octobre 2025 | Mise à jour le 9 octobre 2025
Invités à l'Assemblée nationale, Jayati Ghosh, Joseph Stiglitz et Gabriel Zucman défendent l'idée d'un impôt plancher sur les ultra-riches, en débat dans plusieurs pays. Pour ces trois économistes, une telle taxe ne nuirait en rien à l’économie et constituerait une réponse a minima aux inégalités.
Les milliardaires et leurs suppôts perdent leurs nerfs. Bernard Arnault a qualifié l'économiste Gabriel Zucman, à l'origine d'un impôt plancher de 2% sur les patrimoines de plus de 100 millions d'euros, de « militant d'extrême gauche ». Le patron de LVMH allant jusqu'à mettre en doute sa « pseudo compétence universitaire ». Sortant de la réserve inhérente à son poste, le patron de BPI France (Banque Publique d'Investissement) Nicolas Dufourcq s'est ému d'un « truc complètement absurde », d' « un délire communiste », fruit d'une « histoire de jalousie à la française ». On se croirait revenu en 1981, quand l'arrivée de la gauche au pouvoir faisait craindre les chars russes dans Paris ! Loin de cette hystérisation du débat, les économistes Jayati Ghosh, Joseph Stiglitz et Gabriel Zucman, respectivement coprésidente, coprésident de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (Icrict), professeur à l'université de Californie à Berkeley ont échangé sur la taxation des ultra-riches. A l'invitation d'Eric Coquerel et de Charles de Courson, respectivement président et membre de la Commission des finances à l'Assemblée nationale, les trois économistes répondent aux contempteurs d'une imposition plancher visant les très riches. Non, une taxe de 2% ne ferait pas fuir les plus fortunés ; non, elle ne nuirait pas à l'économie.
Une fortune multipliée par quatorze en trente ans
Elle serait en revanche un début de solution au creusement abyssal des inégalités qui fragilisent les démocraties. Rien qu'en France, la fortune des 500 plus riches a été multipliée par 14 depuis 1996, selon le magazine Challenges qui publie chaque année un classement. Il y a un peu moins de 30 ans, leur fortune représentait 6% du PIB, elle représentait 42% en 2024. « L'impôt n'est qu'une goutte dans l'océan des solutions que nous devrons trouver. Les ultra-riches ont augmenté leur fortune et dans le même temps, les états sont incapables de protéger leurs citoyens des crises mondiales. Ces inégalités sapent notre rapport à la démocratie », estime Jayati Ghosh. Pour Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie, « l'idée, c'est d'aller chercher l'argent là où il est afin de pouvoir financer notre économie. Les investissements publics sont la source principale de croissance. Si la Silicon Valley se porte aussi bien aujourd'hui, c'est parce que les formidables laboratoires de recherche dans les universités de Californie ont été financés par le gouvernement. Une économie productive nécessite des investissements publics dans les infrastructures, l'éducation, la technologie ».
Les riches paient moins d'impôts que le citoyen moyen
La situation est d'autant plus injuste et amorale que via de savantes opérations d'optimisation fiscale, les ultra-riches paient moins d'impôts que le citoyen moyen. « En France, comme aux Etats-Unis, les milliardaires échappent très largement à l'impôt sur le revenu, une création démocratique qui date du début du 20e siècle, expose Gabriel Zucman. La bête noire de Bernard Arnault raconte : « il y a quelques années aux Etats-Unis, des fuites de données fiscales ont révélé que Jeff Bezos, fondateur d'Amazon et l'un des hommes les plus riches au monde n'avait déclaré aucun revenu et avait par conséquent reçu les allocations familiales. En France, les milliardaires sont imposés à hauteur de 25% de leurs revenus, contre 50% en moyenne. Les milliardaires paient deux fois moins d'impôt que le français moyen ». En réponse au risque d'exil fiscal, les trois économistes gardent la tête froide.
« Des études universitaires montrent que l'exil fiscal est faible. Surtout, l'exil fiscal n'est pas une loi de la nature contre laquelle on serait impuissant. C'est un choix politique. On peut choisir de le tolérer, voire de l'encourager, ou au contraire le limiter à travers un bouclier fiscal ». Gabriel Zucman, économiste
« La richesse est toujours en partie une création collective. Si vous êtes devenu extrêmement riche en France, c'est en grande partie parce que vous avez bénéficié de l'éducation, des infrastructures publiques, de la santé, de l'accès au marché, des tribunaux qui ont protégé vos droits de propriété. Il n'y a donc aucun droit naturel, une fois fortune faite, de s'extraire de toute forme d'impôt, continue Gabriel Zucman. Jayati Ghosh souligne au passage que la taxation des riches n'est pas qu'un débat franco-français.
La France pourrait prendre le leadership
« La Colombie a imposé un impôt sur la richesse. Lequel a accru la capacité de réaliser des dépenses publiques. Il n'a ni entravé les investissements ni fait fuir les riches. Ces arguties sont utilisées pour terroriser les peuples et les gouvernements ». A Emmanuel Macron plaidant que la France ne peut pas seule instaurer une telle taxe, l'économiste indienne rétorque que « La France pourrait avoir un effet de leadership vis-à-vis des autres pays ». Autre argument rebattu : taxer les riches mettrait l'économie à terre, tuerait l'esprit d'entreprendre et mettrait en péril la souveraineté économique. « On parle entrepreneuriat, innovation, comme si les plus grandes entreprises en avaient le monopole. Ce n'est pas vrai. La plupart des innovations proviennent des petites entreprises. Nous, on parle de personnes qui ont accumulé des richesses par héritage, ou parce qu'ils ont créé de la croissance grâce aux fusions acquisitions, pas grâce à l'innovation. Aujourd'hui, le grand capital utilise son pouvoir pour acheter les propriétés intellectuelles plutôt que de les créer », estime Joseph Stiglitz. Son collègue Gabriel Zucman enchérit : « dire que soumettre les milliardaires à un taux minimum d'imposition mettrait en danger la souveraineté de la France, me semble véritablement absurde. Accepter que les milliardaires ne payent pas d'impôts, est un abandon de souveraineté absolument inacceptable ».