Cambriolage: les agents de surveillance alertent sur leurs conditions de travail

Des policiers français devant le musée du Louvre après un cambriolage. Paris, le 19 octobre 2025.
Lors de son interrogatoire par la Commission de la culture au Sénat, suite au vol des bijoux du musée du Louvre, sa présidente Laurence des Cars est revenue précisément sur les problèmes du matériel de sécurité au sein du musée. De l'absence de vidéo-surveillance à certains endroits aux vitrines inadaptées pour protéger de tels objets, les manquements techniques ont été analysés méticuleusement. Mais pour les syndicats et travailleurs, ces failles ne sauraient expliquer à elles seules le « casse du siècle ». Ils demandent de toute urgence à la direction des changements importants, dans la gestion des équipes notamment.
Coupes budgétaires et gestion de bétail
Le premier musée du monde en termes de visiteurs est une grosse machine qui emploie plus de 2 200 employés. Autofinancé à 60 %, le musée a reçu 96 millions d'euros de subvention de l'État en 2024. Une dotation en baisse par rapport à l'année précédente et qui ne cesse de diminuer, avec les efforts budgétaires demandés par le gouvernement au secteur culturel depuis 2024. Pour la direction, ce manque de moyens, que Laurence des Cars avait dénoncé en janvier dernier, expliquerait en partie qu'un tel cambriolage ait pu se produire. Pour les employés, en revanche, ce sont bien des choix managériaux systémiques qui ont contribué à fragiliser la sécurité et la surveillance au sein du bâtiment. Selon les chiffres des syndicats, en 10 ans, sur les plus de 200 équivalents temps-plein qui ont été supprimés au sein des équipes du Louvre, 193 concernaient le service d'accueil du public et de la surveillance.

Un choix de la direction contesté par les employés, et qui a profondément aggravé leurs conditions de travail comme en témoigne Frédérique*, agent d'accueil et de surveillance notamment à l'endroit où le braquage s'est produit : « sur l'aile Denon, qui est la plus fréquentée, on fait de la gestion de bétail avec les visiteurs. C'est triste à dire, mais on n'a pas le temps d'expliquer ou de répondre aux questions. On n'est juste pas assez nombreux pour ça ». Ce sous-effectif a pour conséquence directe « une baisse de la qualité d'accueil des visiteurs, la fermeture de nombreuses salles faute de pouvoir assurer leur surveillance, un manque d'agents pour orienter les visiteurs », selon un document interne remonté par les syndicats à la direction du musée, que la Vie Ouvrière a pu consulter.
En plus du sous-effectif, les équipes sont aussi majoritairement sous-équipées. « En vacation de nuit, certains employés doivent prendre sur leur argent personnel pour racheter des piles, parce que le matériel qu'on leur donne n'est pas en bon état. Ça pose forcément la question de la sécurité sur le site », témoigne Frédérique. De son côté, Marjolaine*, qui surveillait des salles évoque un manque de talkie-walkie préjudiciable : « on en avait souvent un pour deux. En cas d'urgence, on devait d'abord retrouver notre binôme dans une salle pour alerter nos responsables ». Suite au cambriolage, Frédérique, pour qui la question du sous-effectif reste le nœud du problème, assure qu'une réunion a été organisée, notamment pour évoquer le manque de matériel. « Mais on ne va pas mettre des talkie-walkie dans les salles s'il n'y a pas d'agents. Ça n'a pas de sens ! » constate-t-il désabusé.
Surfréquentation et souffrance au travail
Depuis la crise du covid, une jauge de 30 000 visiteurs par jour a été mise en place au sein du Louvre. Censée permettre un meilleur accueil des visiteurs et protéger les œuvres, son application est questionnée par les employés. Pour la CGT, cette jauge n'est tout simplement pas respectée, ce que Marjolaine a pu constater lors de ces vacations : « tous les soirs on avait un point d'équipe. Plusieurs fois, notre cheffe de service nous informait qu'on avait dépassé les 30 000. C'était une bonne nouvelle pour le musée, ça voulait dire plus d'argent mais nous, on finissait clairement sur les rotules. »
Dans les faits, le comptage au sein du musée du Louvre se fait au niveau de la billetterie mais aussi grâce au logiciel « Affluence » qui grâce à l'IA et aux caméras de surveillance réalise des estimations. Pour Julien Dunoyer, du syndicat SUD Solidaires, le problème fondamental n’est plus de « disputer la réalité ou non des 30 000 visiteurs journaliers », car « la surfréquentation ingérable et néfaste aux conditions de travail, à la qualité de la visite et à la sécurité de tous (agents comme visiteurs) est incontestable ».
Au niveau du bien-être des employés, les chiffres parlent d'eux-mêmes. D'après le rapport social unique du musée, les consultations à la psychologue du travail ont augmenté de 400% en deux ans. Les micro-agressions de la part des visiteurs se sont accrues ces dernières années. En deux ans, le nombre de jours de grèves a été multiplié quasiment par sept. Julien Dunoyer témoigne d'un cercle vicieux. « Des visiteurs se sentent violentés parce que les agents ne prennent pas le temps d'expliquer les choses et ils appliquent en retour une violence envers les employés».

Les syndicats se plaignent aussi d'une répartition des œuvres au sein du musée qui concentre les flux dans certaines salles, en laissant d'autres « quasiment vides ». C'est ce qu'atteste Gary Guillaud, employé syndiqué à la CGT, par ailleurs agent de surveillance dans l'aile où le braquage a eu lieu. « A cet endroit, on a l'impression d'être à l'abattage, de dire aux gens « avancez, avancez, avancez », ça provoque de l'agressivité chez le public et chez nous. Ce n'est pas normal. »
Le jour du braquage, les quelques agents de surveillance ont réussi à évacuer l'aile la plus fréquentée du musée et à mettre en sécurité les visiteurs. « On a eu de la chance. A 15 minutes près, il n'y avait plus que deux surveillants à cet endroit et là, on aurait eu des problèmes. A 15 minutes près, on aurait peut-être eu des morts », estime l'employé syndiqué CGT.
Une direction qui ne bouge pas
Alors que cette situation est bien connue de l'administration du Louvre, la direction ne semble pas vouloir résoudre les problématiques qui lui ont été remontées. De nombreuses réunions sont organisées, ce qui pour Gary Guillaud est un bon début. Mais il déplore surtout « qu'il n'y ait pas de solutions apportées ». Un constat partagé par son confrère de SUD Culture, Julien Dunoyer : « la direction retient des solutions anecdotiques, à la marge, qui ne l'oblige pas à aller chercher des budgets ». A sa décharge, l'administration du Louvre est entravée par Bercy, son ministère de tutelle, qui bloque le plafond d'embauche au sein du musée et empêche le recrutement de nouveaux agents de surveillance et d'accueil. Julien Dunoyer, lui, tempère, et estime que malgré ces contraintes, « la direction ne se bat pas assez pour élever ce plafond ». Contactée, la direction du musée n'a pas souhaité s'exprimer.
*Les prénoms ont été modifiés
Noah Gaume