17 février 2015 | Mise à jour le 21 mars 2017
Entre fiction et documentaire, Sylvain Pattieu explore une voie médiane. Dans les coulisses du business de la beauté à petit prix «Beauté parade» raconte la lutte de travailleurs pour leur dignité.
Précarité, mondialisation, le travail en ce début de siècle doit faire face à des défis dont le syndicalisme se saisit pour s'attaquer à ces nouvelles réalités. La littérature en témoigne également, notamment avec le travail de Sylvain Pattieu, historien, écrivain et enseignant à Paris VIII Saint-Denis, qui raconte dans «Beauté parade», la lutte des salariés majoritairement sans-papiers d'un petit salon de beauté parisien du 50, boulevard de Strasbourg.
L'écrivain n'en est pas à son coup d'essai qui, avec «Avant de disparaître, chroniques de PSA-Aulnay», signait en 2013 un recueil de témoignages des salariés en lutte pour sauver leur emploi. Une sorte de reportage au long cours qui trouve un écho en littérature, faute d'avoir aujourd'hui sa place dans une presse qui soit n'en a guère les moyens soit, pire encore, se désintéresse de ces «invisibles» au profit de faits divers de préférences sanglants ou sordides.
Le jeune auteur indique: «J'aime cette idée d'avoir des irruptions du réel dans l'imaginaire. Les éditions Plein Jour m'ont proposé de le faire, en partant du réel, non pas dans un souci de mimétisme mais en explorant la possibilité de lier les deux.»
Un regard d'historien sur le monde du travail
Mais Sylvain Pattieu n'oublie pas qu'il est également historien. Il a écrit sa thèse sur «Tourisme et travail» et montre donc un intérêt certain pour le monde du travail et le syndicalisme, ce qu'il avait déjà prouvé dans son roman «Des impatientes»: «Nous sommes un pays avec encore environ sept millions d'ouvriers ou de salariés réalisant des tâches d'exécution. C'est un prolétariat très important et je pense que la refondation de la gauche passe par le syndicalisme. C'est presque vital! Car c'est la première fois qu'un gouvernement « de gauche » revendique de défaire des acquis sociaux…»
Conscient des enjeux, il précise «J'ai une lecture du monde inspirée par le marxisme, par une histoire de la lutte des classes adaptée au monde d'aujourd'hui.»
Conscient des difficultés, il poursuit: «Il est très difficile de syndicaliser les jeunes et les plus précaires, et je pense qu'un syndicalisme revendicatif est nécessaire pour redonner de l'espoir. C'est un défi passionnant et sans doute parfois démoralisant, car il faut trouver la manière d'essayer de répondre à une situation nouvelle. Mais je pense qu'il faut faire une alliance entre l'ancien et le nouveau et qu'on ne refondera pas sur rien. D'où l'importance de la transmission d'un capital culturel et d'une fierté ouvrière qui s'est un peu perdue dans la « classe moyenne ». Je pense que les mouvements sociaux réussissent quand il y a une jonction avec le monde syndical, que rien ne se fera sans lui, d'où l'importance de le rénover.»
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EN SAVOIR +
Beauté parade
Elles s'appellent Lin Mei, Madissou, Fengzhen, Adja, Yanping, Souqin et travaillent pour le salon de beauté VIP, au 50 boulevard de Strasbourg, à Paris: «C'est ici le pays du cheveu, de l'ongle, du soin à petit prix.»
C'est aussi le pays de l'exploitation de travailleurs (ou plus majoritairement de travailleuses) sans-papiers, sans droits mais non sans combativité… Lorsque leur patron oubliera, une fois de trop, de payer des salaires à géométrie variable, lorsqu'il aura finalement pris la tangente, ces petites mains qui soignent celles des autres vont faire appel aux militants de la CGT qui vont les soutenir dans l'organisation de leur lutte avec occupation du salon.
En voisin, Sylvain Pattieu va rendre visite régulièrement à cette boutique de 50 m2 où dix-sept salariées (dont deux ont des papiers) et leurs soutiens vont faire l'apprentissage d'une lutte pour la reconnaissance de leurs droits au travail. «Beauté parade» est un peu un journal de lutte, alternant le point de vue de l'auteur et les propos des acteurs du conflit.
Écrit avec vivacité et au plus proche de l'humain, cet ouvrage est une manière de «documentaire écrit» ou la plume remplace la caméra, rendant le lecteur témoin d'une lutte qui, depuis, a fait des émules dans le quartier.
«Beauté parade», de Sylvain Pattieu, éditions Plein Jour, 214 pages, 18 euros.
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Lecture musicale d’extraits
de « Beauté parade »
par Sylvain Pattieu avec Julien Orso Jesenska
le 4 mars 2015 à 20h
à la Maison de la poésie