Pour solde de tout compte
C'est à Bordeaux – cité marchande tellement occupée à faire des affaires qu'elle a largement détourné les yeux de tous les sales commerces et de toutes les collaborations – que ce flic pourri exerce ses talents avec sadisme.
Tortionnaire zélé, ayant adopté pétainisme et nazisme avec le même entrain, cruel à la ville comme professionnellement, Darlac se trouve fort dérangé lorsque, au début des années 1960, un mystérieux tueur dessoude une dizaine de personnes en quelques mois. D'autant plus que les défunts ont tous trempé dans quelque combine ourdie par le fonctionnaire de police. Si Darlac ne manque pas d'ennemis – et pour cause –, il sait fort bien qu'aucun d'entre eux n'aurait eu les tripes de s'attaquer à lui.
PLONGÉE DANS LA GUERRE D’ALGÉRIE
Pendant que l'étau de la vengeance se resserre autour de Darlac, on embarque de jeunes appelés pour la sale guerre d'Algérie. Parmi eux, Daniel, un apprenti mécanicien dont les parents ont disparu dans les camps et qui a été élevé par un couple ami. Daniel qui n'a jamais oublié l'arrestation de ses parents et les longues heures où, tout minot, il a attendu sur le toit de l'immeuble où son père l'avait caché in extremis…
Embarqué en Algérie et parce qu'il n'était pas sûr de devoir déserter comme son meilleur ami, Daniel y devient tireur d'élite. Mais les horreurs auxquelles il est confronté vont vite lui faire comprendre dans quel camp il se sent à sa place. Daniel s'enfuit, rentre à Bordeaux.
« ON FAIT DES GENS CE QU'ON VEUT.
IL SUFFIT QU'ILS AIENT FAIM OU PEUR ET QU'ON TENDE UN DÉVIDOIR À LEUR HAINE,
PARCE QUE HAÏR LEUR DONNE L'ILLUSION D'EXISTER.
LES JUIFS HIER. LES ARABES AUJOURD'HUI. »
L'intrigue concoctée par l'auteur pour son troisième roman est fort bien ficelée et sa fine connaissance de la ville girondine lui permet d'en restituer l'ambiance, d'en éclairer les recoins les plus cachés et les secrets les mieux enfouis. Les dessous de Bordeaux, la grande bourgeoise, ne sont guère propres et lorsqu'un fantôme vient remuer cette fange, l'odeur est nauséabonde.
Né à Bordeaux où il enseigne depuis toujours, Hervé Le Corre prend son temps pour écrire, et le fait avec style, observant ce qui lie passé et présent : « On fait des gens ce qu'on veut. Il suffit qu'ils aient faim ou peur et qu'on tende un dévidoir à leur haine, parce que haïr leur donne l'illusion d'exister. Les Juifs hier. Les Arabes aujourd'hui. »
EN SAVOIR +
Après la guerre,
d'Hervé Le Corre,
éd. Payot-Rivages,
524 p., 19,90 euros