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INDUSTRIE CULTURELLE

Cinéma-SCOP

23 mai 2014 | Mise à jour le 2 mai 2017
Par
Cinéma-SCOP

Au Festival de Cannes, quelque cent mille professionnels fréquentent le Marché du film, le premier au monde, installé au sous-sol du Palais des festivals. Passage obligé pour l'industrie cinématographique ? Deux coopératives audiovisuelles françaises prouvent le contraire…

Beaucoup de réalisateurs de films à petits budgets se plaignent de la difficulté pour produire, réaliser, distribuer et diffuser leurs œuvres. L'accès aux aides publiques est de plus en plus restreint et complexe, les chaînes de télévision de plus en plus frileuses et peu ouvertes aux produits atypiques.

Olivier Azam, pour Les Mutins de Pangée, et Philippe Elusse, pour Direction humaine des ressources (DHR), ont fait le choix d'appartenir à des structures coopératives prenant en main leurs destinées cinématographiques. Il existe, notamment en dehors de la région parisienne, d'autres coopératives audiovisuelles, pour la plupart des microstructures qui s'appuient sur des collectivités locales (pour réaliser des films institutionnels notamment) et ne rayonnent que sur une zone limitée.

S'agissant des Mutins et de DHR, malgré des structures modestes, le travail est tout autre et témoigne d'un engagement dans une large démarche d'éducation populaire.

 

Il n'y a pas de politique publique ambitieuse
pour favoriser la forme coopérative

 

C'est en 2005 que la structure des Mutins de Pangée est née, même si elle n'a vraiment commencé à être opérationnelle que deux ans plus tard. « En 2005, se souvient, avec un solide humour, Olivier Azam, nous étions pris à 250 % par Zalea TV (1) et nous ­avions des boulots ailleurs, principalement dans l'audiovisuel. Évidemment, l'action de Zalea était bénévole. Mais nous en avions tous un peu marre d'avoir un pied dans la machine et un pied dans l'alternatif. Nous avons alors décidé d'être un peu utopiques et nous avons d'abord monté un programme de séries documentaires pour la télévision, en l'occurrence pour la chaîne Voyages. La première émission a été bien accueillie, mais, hélas, la chaîne a été très rapidement rachetée par Rupert Murdoch ! Dès la troisième émission, ils ont viré tout le monde et notre stratégie est tombée à l'eau… Caramba ! »


Pas de quoi démonter les « durs-à-cuire » de l'ex-Zalea TV, qui en ont vu d'autres ! « Dans un cas comme celui-là, ou tu persistes, ou tu arrêtes. Et, à force d'essayer de trouver une solution, j'ai rencontré Daniel Mermet – ce qui en soi n'était déjà pas évident, tant il était pris par “Là-bas si j'y suis”, toujours parti aux quatre coins du monde pour son émission quotidienne. »

La suite figure en exergue de la présentation du DVD du film Chomsky et Compagnie, premier opus des Mutins de Pangée : « En mai 2007, la série d'entretiens avec Noam Chomsky a été un succès pour “Là-bas si j'y suis”, produite par Daniel Mermet, sur France Inter. De Paris à Boston, de Montréal à Toronto, Olivier Azam et Daniel Mermet ont décidé d'en faire un film. Une souscription nationale a été lancée et grâce à l'engagement de plus de dix-sept mille “souscripteurs modestes et généreux”, un film a vu le jour, qui ensuite est sorti au cinéma et a fait le tour du monde. »

 

Une production coopérative

Un sujet sur Noam Chomsky – grand intellectuel américain, connu pour ses prises de position engagées – étant considéré comme « sulfureux », les Mutins de Pangée sont très attentifs dans leur réalisation et se prémunissent contre les attaques. Le résultat remporte un vrai succès : plus de dix mille exemplaires vendus en DVD, deux cent cinquante débats et une estimation d'environ cent mille personnes qui auraient vu le film. « Ça nous a permis de tenir, mais aussi d'apprendre, notamment en ce qui concerne l'édition et la distribution de DVD, raconte Olivier Azam. Dans la foulée, on a produit d'autres films (Bernard, ni Dieu, ni Chaussettes ; Grandpuits et petites victoires) avec Les films des deux rives à la distribution. Une stratégie qui, une fois bien installée, a permis également d'éditer et de diffuser en librairie par l'intermédiaire des Belles Lettres et de créer un réseau. » 

« C'est tout naturellement que le système de la coopérative s'est imposé. Pour le Centre national du cinéma (CNC), il faut être une société, mais ça n'est pas nécessairement une SA ou une SARL, ce que tout le monde intègre comme s'il ne pouvait pas en être autrement. »

Même si, en termes d'aides, le choix de la Scop n'offre guère d'avantages : « Il n'y a pas de politique publique pour favoriser la forme coopérative, et ce n'est pas le gadget que fut l'éphémère ministère de l'Économie sociale et solidaire qui allait changer ce manque d'ambition politique. Mais au moins le statut coopératif ne nous a pas handicapés. Et l'on sait donc très bien tout ce qu'on doit aux souscripteurs qui nous ont soutenus. » Il faut dire qu'en 2008, le financement participatif (ou crowdfunding) n'est pas encore très répandu et que Les Mutins de Pangée ont peu de « concurrence », ce qui n'est plus le cas en 2014.

 

Le cinéma, otage de la télévision

De même que pour le statut juridique, les choix éditoriaux des Mutins seront le résultat d'une cohérence forte : « Tu fais d'abord des choix et, après, tu te rends compte que ça crée une ligne éditoriale. On n'a jamais calculé par rapport aux médias. On essaie d'amener un public à découvrir le sujet du film ensemble et ça n'est pas toujours facile, si tu ne veux pas te limiter à vendre à une élite intellectuelle qui a les moyens, mais que tu souhaites t'adresser au plus grand nombre. Mélanger les publics, c'est difficile et exigeant. Heureusement, on n'a pas les contraintes qu'impose la télévision dont le financement a une très mauvaise influence : toutes les aides audiovisuelles dépendent du préachat des chaînes. Ce qui est grave car, de plus en plus, les gens qui, à l'intérieur des chaînes, en sont chargés, n'y connaissent rien ! » On n'est en effet plus au temps où, par exemple, l'unité documentaire d'Arte, emmenée par Thierry Garrel, prônait une réelle ambition éditoriale.

 

Responsabilité et autonomie
définissent notre démarche collective

 

Aujourd'hui, Les Mutins de Pangée proposent un catalogue bien fourni et des parutions alléchantes pour 2014. En octobre, le coffret de dix films « René Vautier, les années algériennes », en novembre, une Intégrale Chomsky et en décembre, le très attendu « Howard Zinn, une histoire populaire américaine » ainsi que « The people speak », coréalisé en 2009 par le grand historien américain.

« Faut pas mollir » : un projet de fiction mélangée à du documentaire est en cours depuis un an et demi. « Tourné dans les manifs, à la Fête de l'Huma, etc. qu'on monte au fur et à mesure, ce qui est très stimulant. On trouve là une passerelle avec le réel, où les gens jouent juste et vrai, des choses que tu n'oserais pas écrire. En fait, 90 % des situations étaient écrites, on a appris à faire ça avec la télé libre. Ça se passe pendant la campagne présidentielle, dans le milieu politique. »

Autre projet, pas moins réjouissant, avec François Ruffin, sur l'industrie du luxe en France et plus précisément sur Bernard Arnault. « LVMH est tellement surréaliste que ça a dépassé la fiction. Ils sont une caricature de ce qu'ils font, une fiction d'eux-mêmes », lâche Olivier Azam.

 

Œuvriers associés

Peu de temps après la naissance des Mutins de Pangée, en 2006, « Direction humaine des ressources » voit le jour à l'initiative de trois personnes : Vincent Glenn, Jean Salvatori et Lorca Renoux, frustrés par la manière dont les choses se passent dans les structures de production artistique où ils travaillent. « C'était donc trois ans après le mini-séisme de l'été 2003, où les artistes se sont rapprochés et interrogés, notamment sur la notion employeurs/employés dans le monde culturel », précise Philippe Elusse, membre de DHR et réalisateur depuis 2008. « La forme administrative plus autonome et autogestionnaire de la Scop est venue à ce moment-là, elle nous a semblé être une réponse intéressante. Tout d'abord parce qu'on fonctionne par projet, ce qui chamboule les rapports de subordination. »

Dès sa création, DHR s'est préoccupée de la juste répartition des tâches et des richesses produites. Ici, salarié, sociétaire ou les deux, tous sont des « œuvriers associés » pour reprendre les mots de Bernard Lubat. « Le montage de la Scop s'est fait par la mise en circulation de parts de cent cinquante euros entre des personnes physiques et morales, ce que permet la loi de 1947. Ainsi, des personnes ayant déjà leur propre structure peuvent être sociétaires. Aujourd'hui, DHR compte entre quatre-vingts et quatre-vingt-dix ­sociétaires. Le Crédit coopératif nous a accordé un crédit et, pour les aides publiques, nous avons obtenu, il y a trois ans, une aide du Fonds social européen ; nous avons aussi des aides pour nos deux “emplois tremplin”. »

 

D'abord pluridisciplinaire, DHR se métamorphose en 2009, mutant vers une activité tournée vers cinéma et audiovisuel. Comme chez Les Mutins de Pangée, les choix éditoriaux plongent leurs racines dans ce qui a amené les coopérateurs à former la Scop. « Nous sommes une organisation horizontale, autogérée : la responsabilité et l'autonomie définissent notre démarche collective. »

L'une des premières actions est d'abord de définir ce dont on parle, ce qui est fait avec la parution d'un petit « lexique évolutif ». « Pendant qu'on réalisait ce travail, le collectif Richesse et Main-d'œuvre organisait une rencontre sur le thème de la richesse et nous a demandé si l'on pouvait venir filmer. En une semaine, nous sommes ressortis convaincus qu'il y avait là un film à faire. Il y avait le sujet, mais aussi la forme, la qualité des relations, la joie de faire les choses ensemble. En même temps, l'actualité nous a mis sur la voie, avec la commission Stiglitz (commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social, créée en 2008). »

 

Autoproduit et autodistribué

Cela a donné le film, signé Vincent Glenn, Indices, qui sera également distribué en salles par DHR en raison des conditions draconiennes imposées par les distributeurs sans qu'il soit possible de rien négocier. « On s'est alors rendu compte que c'était possible et même que c'était un univers intéressant. Donc, aujourd'hui, nous sommes notre propre distributeur et nous distribuons aussi des films produits par d'autres. »

Le projet suivant sera initié grâce à la Fondation France Libertés qui cherchait un film qui soit un support de débat sur le thème « De quoi sommes-nous riches » ? Le film portant ce beau titre sera tourné à l'occasion du Forum social mondial à Belém (Brésil) avec, entre autres, le représentant d'une coopérative argentine fabricant des livres et qui explique que « le travail ne doit pas seulement rapporter de l'argent, mais surtout de la joie au travailleur ».

Aujourd'hui, l'activité de distribution de DHR a pris le pas, en termes de volume, sur la production, même si plusieurs projets sont en cours : « Jusqu'à nouvel ordre », une fiction sur les agences de notation vues à travers le parcours d'un réalisateur de documentaires (Vincent Glenn) et « Monnai(e)s courant(e)s » (réalisé par Philippe Delusse), qui entend rendre concret le lien entre économie et monnaie et lancer le débat sur les monnaies locales, les monnaies de complément, les monnaies libres, les systèmes d'échange locaux et le rapport entre travail et revenu. Un sacré programme !

 

(1) TéléviZone d'action pour la liberté d'expression audiovisuelle, Zalea TV était une chaîne associative et citoyenne, dont le but était d'offrir un espace citoyen à la télévision française. L'association s'est dissoute le 23 septembre 2007, après un énième rejet de sa candidature à la TNT.

 

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En savoir +

  • Sur la boutique Web des Mutins de Pangée
    on peut acheter les films en DVD,en VOD et, bien sûr,
    souscrire pour soutenir les productions à venir.

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