Adieu à Marc Riboud
À Perpignan, Visa pour l’image, le plus grand festival international de photojournalisme, rend hommage au grand photographe Marc Riboud qui s’est éteint... Lire la suite
«Si j'étais né il y a cent ou deux cents ans, j'aurais été sans doute sculpteur, mais la photographie est une façon rapide de regarder, de créer une sculpture. Lisa Lyon (1) me rappelle les modèles de Michel-Ange, qui a sculpté des femmes musclées », déclarait Robert Mapplethorpe en 1987.
La rétrospective au Grand Palais, conçue à rebours, démarre par ses dernières photos, celles de statues mais aussi de modèles nus, femmes et hommes et notamment ses amants noirs.
Jérôme Neutres, commissaire de l'exposition, la résume ainsi : « Comme dans la sculpture classique, le photographe agit en anatomiste, explore tout le spectre des mouvements du corps, décline des poses en série, à la recherche de ce “moment parfait”. »
Corps sculptés
Ainsi, la série de clichés en noir et blanc où Milton Moore décline différents mouvements sur la plage, celle d'Ajitto recroquevillé ou celle des quatre Thomas posant dans un cercle explorent les muscles en action, magnifient le corps dans toute sa beauté et son énergie. Chaque parcelle est encore inspectée dans une série de gros plans sur le sexe, le nombril, la pomme d'Adam, les mains… « Je vois les choses comme des sculptures, comme des formes qui occupent un espace », déclarait Mapplethorpe.
À cet égard, l'exposition au musée Rodin (2) mettant en parallèle son travail et celui du sculpteur n'est nullement fortuite. Robert Mapplethorpe a étudié les plus grandes sculptures et peintures, s'est frotté longuement aux collages et montages, comme l'a si bien raconté « sa muse », la chanteuse Patti Smith, avec qui il vécut, dans son magnifique récit de leurs débuts new-yorkais, « Just kids » (éd. Denoël, 2010). Elle revient sur ces années de doutes, de tâtonnements et de travail.
L'underground gay
Artiste à la réputation sulfureuse, Mapplethorpe est bien sûr connu pour ses clichés provocateurs notamment sado-maso, exposés dans une salle à part, interdite aux moins de 18 ans. Porno, érotiques ?
Qu'importe, ses photos s'inscrivent dans le New York des années 1970-1980, dans la culture de l'underground gay. Elles reflètent l'explosion sexuelle d'alors. « Dans le domaine des arts visuels, Robert Mapplethorpe faisait figure de pionnier en produisant des photographies choquantes en raison de leur homosexualité affichée, même s'il prenait toujours soin de contrebalancer cet aspect de son travail par des portraits de femmes du monde et des études de fleurs », rappelle dans le catalogue de l'expo l'écrivain Edmund White.
Auteur notamment de « La Tendresse sur la peau », l'itinéraire d'un jeune homme gay à la fin des années 1960, un des fondateurs d'un groupe d'écrivains gays, The Violet Quill, il replace le travail du photographe dans le contexte de l'époque et notamment de la question noire.
Bouillonnement culturel
Nous avons du mal à nous replonger dans ces années de ségrégation, mais ces clichés furent aussi choquants parce qu'ils mettaient en avant la beauté des hommes noirs. Et même dans le milieu gay, la mixité pointait à peine.
« Beaucoup de bars gays à dominante blanche interdisaient l'entrée aux clients noirs ou leur demandaient cinq pièces d'identité à la porte. Même dans la presse pornographique gay, les photos d'hommes noirs n'étaient pas courantes », souligne encore Edmund White.
Et tous, Patti Smith, Edmund White comme Jérôme Neutres de souligner la figure centrale de Jean Genet. « Très populaire aux États-Unis à cette époque grâce à ses positions politiques en faveur des Noirs Black Panthers, ou contre la guerre du Vietnam, Genet est d'abord un écrivain pour qui “la chair est le moyen le plus évident de certitude” », souligne Jérôme Neutres.
Mais les photos de Mapplethorpe vont au-delà de cette dimension purement sexuelle, elles sont un témoignage sur le bouillonnement culturel new-yorkais des années 1970-1980.
Portraitiste hors pair
Tout un pan de mur de l'expo l'atteste. Andy Warhol, Keith Haring, Grace Jones, Iggy Pop, Susan Sontag, Truman Capote, Louise Bourgeois et bien d'autres : les magnifiques portraits en noir et blanc du photographe d'artistes confirmés ou en devenir nous replongent au cœur de la scène culturelle foisonnante de ces années-là.
« J'essaie d'enregistrer le moment dans lequel je vis, qui s'avère être à New York. J'essaie de capter cette folie et d'y mettre un peu d'ordre », déclare-t-il. Génial portraitiste, il nous livre une Isabella Rosselini rêveuse, un William Burroughs, armé de la carabine qui tua sa femme mais aussi nombre d'autoportraits qui le montrent tantôt loulou, tantôt féminin ou diablotin.
Mais aussi prématurément vieux, doté d'une canne surmontée d'une tête de mort, peu de temps avant de mourir du sida à 43 ans.
Et Patti Smith d'écrire dans « Just Kids » : « On a dit beaucoup de choses sur Robert, et on en dira encore. […] Il sera condamné et adoré. […] À la fin, c'est dans son œuvre, corps matériel de l'artiste, que l'on trouvera la vérité. Elle ne s'effacera pas. »
(1) Culturiste américaine des années 1980.
(2) « Mapplethorpe-Rodin », jusqu'au 21 septembre, www.musee-rodin.fr
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A voir, à lire
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