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Leforest, 1934 Grève à la mine

26 septembre 2014 | Mise à jour le 20 avril 2017
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Leforest, 1934 Grève à la mine

Dans le Pas-de-Calais, on célèbre le 80e anniversaire de la grève de la mine de Leforest d'août 1934, sévèrement réprimée par l'État et les compagnies minières. Après un hommage rendu par le PCF et la CGT, fin juin, aux mineurs polonais frappés d'expulsion, la municipalité envisage d'honorer Edward Gierek, le plus célèbre d'entre eux, en décembre prochain.

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CHRONOLOGIE
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1919 Les Houillères commencent à recruter des Polonais.

1926 Un tiers des effectifs des mines du Pas-de-Calais est polonais.

1931 La crise touche les mines et les travailleurs étrangers sont inquiétés.

1932 Thomas Olszanski, de la CGTU, est dénaturalisé et expulsé en 1934.

26 mai 1934 200 mineurs polonais s'enferment dans les douches de la fosse 10.

6 et 7 août 1934 Première grève au fond d'un puits de mine en France à Leforest.

8 août 1934 L'État prononce 77 décrets d'expulsion.

11 août 1934 Premier convoi vers Varsovie de 200 expulsés et de leurs proches.

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Dès 1919, les Houillères font appel à la main-d'œuvre polonaise, louée pour son aptitude professionnelle, afin de favoriser la relance de la production au cœur d'un bassin minier dévasté par quatre années de guerre. En provenance de la Ruhr (Allemagne) ou directement d'une Pologne fraîchement indépendante mais sous-développée, ces Polonais constituent, dès 1926, un tiers des effectifs des concessions minières du Pas-de-Calais.

LE MOUVEMENT EST MARQUÉ
PAR UNE RÉPRESSION SANS PRÉCÉDENT

Très tôt, les compagnies entretiennent le communautarisme, favorisant, au cœur de cités minières aux allures de ghettos, l'implantation de prêtres et d'instituteurs polonais au service du culte de la mère patrie. Pour les Houillères, le « polonisme » et le christianisme sont autant de remparts susceptibles de préserver ces migrants de la contagion syndicale et surtout de la propagande communiste.

 

La CGTU et le rapprochement de tous les travailleurs

Sur le plan syndical, celle-ci se développe par le biais de la CGT unitaire. Nullement dupe de la prétention patronale à faire jouer un rôle concurrentiel à ces travailleurs dans le domaine des salaires ou des conditions de travail, la CGTU n'admet pas « qu'il soit permis de se servir d'ouvriers étrangers pour nous affamer là où le hasard nous a fait naître ». Mais elle ne nie pas pour autant « le droit à l'émigration pour les hommes chassés du sol natal par le chômage, la misère ou les convulsions politiques » (congrès de Paris, 1925). Aussi, soucieuse de dépasser les clivages nationaux ou culturels et au nom de l'internationalisme, la CGTU travaille au rapprochement des travailleurs quelle que soit leur nationalité.

 

La chasse aux « rouges »

Les menées communistes sévèrement réprimées, la chasse aux « syndicalistes rouges » s'intensifie dans un contexte d'exacerbation de la crise économique. Celle-ci ébranle l'industrie minière dès 1931. Les mises en chômage partiel puis les licenciements affectent en priorité les travailleurs étrangers. Les Polonais se voient aussi imposer des mesures de rapatriement. La vague migratoire s'inverse alors. De 1931 à 1936, la population polonaise du Pas-de-Calais chute de 129 000 à 101 000 personnes. Du pain bénit pour les Houillères soucieuses de se débarrasser d'éléments jugés « indésirables » avec l'appui de la police qui traque les « subversifs ». Les décrets d'expulsion pleuvent. En 1932, le permanent et porte-parole de la main-d'œuvre immigrée au sein de la CGTU, Thomas Olszanski, est dénaturalisé au terme d'un procès retentissant. Il est expulsé en 1934. C'est dans ce climat délétère que surviennent les événements de Leforest, à la lisière du Pas-de-Calais.

 
Rumeurs de lynchage

Le 26 mai 1934, 200 mineurs polonais s'enferment dans les lavabos-douches de la fosse 10 à Leforest, en guise de protestation contre l'arsenal répressif (amendes, brimades, déclassements, congédiements…) déployé par la Compagnie des mines de l'Escarpelle. Pour toute réponse, le 21 juillet, le ministère de l'Intérieur signe onze décrets d'expulsion à l'encontre des meneurs. C'est leur notification à deux d'entre eux par la gendarmerie le 2 août qui met le feu aux poudres. La CGTU, menée par Louis Milleville, le délégué mineur de la fosse 10, aurait envisagé une grève des bras croisés d'un quart d'heure, une demi-heure tout au plus. Ce jour-là, pourtant, les faits prennent une autre tournure. Très vite, la direction se rend à l'évidence : la grève est appelée à durer. À 7 h 30, les ouvriers du jour sont renvoyés chez eux et l'activité stoppée. La plupart des mineurs français et quelques étrangers (soit un tiers des effectifs) remontent à la surface par le puits de la fosse 6 voisine. Un dialogue s'instaure alors entre les grévistes, la direction et des représentants de l'État. Ces derniers jouent manifestement la carte du pourrissement, nonobstant les efforts de la CGTU et de la CGT pour trouver une solution. À 10 heures, les agents de maîtrise de natio­nalité française se voient interdits de remontée. Dès lors des rumeurs de « prise d'otages » se répandent. D'aucuns prétendent que ces porions auraient été assassinés. Dans les cités, la tension entre les communautés s'exacerbe.

 

 

Promesses trahies

Finalement, après 35 heures de lutte, en butte à l'épuisement et à la faim et après que la Compagnie des mines a imposé des mesures de chômage technique aux travailleurs de la fosse 6 pour prévenir toute manifestation de solidarité, 200 grévistes regagnent leur domicile, escortés par les forces de l'ordre. Aucun incident n'est à déplorer hormis « quelques cris hostiles lancés à leur adresse », selon les Renseignements généraux. En dépit de promesses d'impunité, les sanctions ne tardent pas à tomber. Le 8 août, l'État prononce 77 décrets d'expulsion, 120 grévistes sont congédiés et les meneurs, communistes pour beaucoup, incarcérés à la maison d'arrêt de Béthune. À l'instar du Réveil du Nord, qui se félicite du « nettoyage de la cité minière de Leforest », la presse xéno­phobe se déchaîne. Autorisées à emporter 30 kilos de bagages par adulte, les familles d'expulsés sont dans l'obligation de vendre leurs meubles à vil prix. D'aucuns préfèrent les brûler sur place. La diffusion de ces scènes épiques dans les cinémas assure un écho national à ce mouvement marqué par une répression sans précédent par son ampleur et sa célérité. Pour l'État et les Houillères, qui craignent des élans similaires dans d'autres fosses du bassin, il s'agit assurément de faire un exemple… Il est 14 h 30, le samedi 11 août, quand un premier convoi emmenant 200 expulsés et leurs proches, résignés, quitte la gare de Leforest pour Lille où les wagons sont raccrochés à l'express Calais-Varsovie. Une mobilisation solidaire d'ampleur aurait peut-être pu empêcher ce dénouement fatal. Elle n'aura pas lieu pour des raisons qui restent à élucider.

 

 

La « légende rose » d'une intégration aisée

À l'heure où le mouvement ouvrier réfléchit aux moyens de l'unité d'action, cette grève a alimenté les tensions entre les deux centrales rivales, la CGT « réformiste » accusant de « provocation délibérée » les « moscoutaires » de la CGTU. Or, il semble bien que ce soit la base exaspérée qui ait édicté cette logique de radicalisation à ses dirigeants. La grève aura aussi un profond impact psychologique au sein d'un groupe ethnique qui vit désormais dans la crainte permanente du lendemain. Sa conclusion tragique expliquera en partie les retours, volontaires cette fois, à la Libération, de travailleurs appelés à rebâtir une Pologne dévastée par six années d'occupation nazie.
Enfin, ces événements battent en brèche le mythe d'une intégration aisée des Polonais dans la société française. Une « légende rose » savamment entretenue à partir des années 1980 par les faiseurs d'opinion érigeant la communauté polonaise en modèle d'adaptation réussie. Une approche idyllique en contradiction avec une réalité bien plus complexe.

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PORTRAIT

Edward Gierek,le galibot devenu chef d'État
Edward Gierek (1913-2001) demeure le plus célèbre des « expulsés de Leforest ». Arrivé en France en 1923, il travaille dans les mines de charbon à Libercourt (Pas-de-Calais) et de potasse d'Alsace, avant d'intégrer les rangs de la Compagnie des mines de l'Escarpelle en 1931. Lors du déclenchement de la grève de Leforest, il milite sous le pseudonyme de Jaros à la CGTU et au PCF. Expulsé le 11 août 1934, il gagne sa Silésie natale, puis les mines du Limbourg flamand trois ans plus tard. Il reste en Belgique jusqu'en 1948 et son rapatriement volontaire vers la Pologne. À l'heure où ce pays tourne le dos à son passé féodal, Edward Gierek travaille en Silésie à consolider l'implantation du Parti ouvrier unifié polonais (POUP) au pouvoir. Il en devient le premier secrétaire en décembre 1970. Il est alors l'équivalent d'un chef d'État, reçu à deux reprises en France (1972 et 1979). La République déploie alors le tapis rouge pour un homme pourtant interdit de séjour sur le territoire français. Lors de sa visite officielle d'octobre 1972, il reçoit à l'ambassade de Pologne à Paris ses amis nordistes (dont Albert Trepinski du PCF de Leforest). Celui-ci évoquera avec émotion le souvenir de cet ancien herscheur (ouvrier chargé de faire circuler les wagons) « très gentil et beaucoup plus instruit que ses camarades ».
À noter : l'association des amis d'Edward Gierek est en quête de documents et
de témoignages sur la grève de Leforest
et Edward Gierek. Tél. : 06 11 50 14 92.

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