Le Front populaire, toujours une source d’inspiration
Dans son numéro de juin, la NVO consacre près de 30 pages à la belle embellie de 1936. Durant les prochaines semaines, nous vous proposons de retrouver certains articles pour... Lire la suite
Sous le Front populaire, le Centre confédéral d'éducation ouvrière à Paris, les collèges du travail en province, comme « La voix de la CGT » sur les ondes, diffusent cours et causeries des plus pointus pour partager les savoirs. La culture de tous et pour tous se déploie alors.
Histoire et économie sociales, sciences juridiques et économiques, art et littérature… Voilà quelques-uns des programmes enseignés au Centre confédéral d'éducation ouvrière (CCEO) et dans les collèges du travail, mis en place par la CGT.
Le premier, fondé en 1933 dans la région parisienne, mise sur l'idée d'une autoéducation : un enseignement adressé à la classe ouvrière, par la classe ouvrière et pour la classe ouvrière.
Dès 1933, trois collèges du travail sont créés en province, gérés par les UD et les UL. Un an plus tard, on en compte plus d'une vingtaine, et en 1936, près d'une quarantaine. Le mouvement sera boosté sous le Front populaire : plus d'une centaine de collèges offrent des savoirs à près de 3 000 inscrits, en 1938. À Paris, ils seront 2 000.
Parmi eux, Guy Mollet, futur président SFIO du Conseil. Il déclarera : « C'est dans ces cours que, jeune maître d'internat, j'ai appris tout ce que je sais de littérature », saluant l'un de ses deux maîtres, à savoir Émilie Lefranc (femme de Georges, alors à la tête du CCEO), qui y enseignait la littérature et la philosophie.
Après les grèves du printemps 1936, « à la demande des nouveaux inscrits, la partie culturelle, déjà présente aux origines avec les enseignements de philosophie, de littérature et d'art, se voit renforcée », souligne Morgan Poggioli.
Et si la plupart de ces nouveaux élèves sont issus du corps enseignant, on compte aussi beaucoup d'ouvriers du Livre, de métallos, de postiers et d'employés.
La formation de la « génération Blum » est alors une priorité pour la CGT. Et on la choie en lui offrant des cours d'à peu près tout et en organisant des sorties théâtrales pour découvrir La Mouette de Tchekhov ou La guerre de Troie n'aura pas lieu de Jean Giraudoux.
Avant, une séance d'initiation est prévue, après, une discussion. On la convie aussi, en septembre 1936, deux semaines à Pontigny, dans l'Yonne, à suivre un séminaire sur le thème « Pour une culture vivante et libre ».
En 1937, rebelote, comme l'année suivante, où on planche sur « Le droit du savoir ». On se soucie encore d'aiguiser l'analyse comme le sens critique des participants en étudiant le traitement de l'actualité. On confronte l'info des journaux aux opinions des uns et des autres.
Et les militants qui donnent de leur temps libre pour participer à cette formidable entreprise – enseignants comme élèves – sont portés par la qualité des cours dispensés, y compris parfois par les plus grands penseurs du moment comme Albert Camus ou Claude Lévi-Strauss.
À partir de 1937, un nouvel outil va faire rayonner ce partage de savoirs qui se propage aussi dans la banlieue rouge comme à Montreuil (lire notre encadré ci-contre). Le gouvernement du Front populaire réorganise la radio et confie une émission à la CGT.
Depuis les studios de la tour Eiffel, « La voix de la CGT » inaugure sa présence sur les ondes le 26 janvier 1937 avec Léon Jouhaux, secrétaire général de la confédération, présentant les principes des cours radiophoniques.
Émilie et Georges Lefranc consacrent la moitié du temps d'antenne à la littérature sociale, à la philosophie, à l'histoire et à l'actualité du syndicalisme français et étranger. Georges Albertini, prof d'histoire-géo – militant SFIO qui virera collabo –, évoque l'évolution économique de la France quand Robert Bothereau, du bureau confédéral – qui entrera dès les premières heures dans la Résistance – cause des classes moyennes.
Rappelons au passage, à l'instar de Morgan Poggioli, que ces cours et ces causeries fâchent patronat comme députés de droite, qui menacent de ne plus payer la taxe radiophonique.
En attendant, « La voix de la CGT » est écoutée, souvent collectivement à l'intérieur même des UD. Elle restera sur les ondes trois ans durant. Fin 1939, on lui coupe l'antenne pour laisser place quelques mois plus tard à Radio-Paris qui mentira effrontément.
Christophe Granger termine une thèse à l'université Paris I sur la formation sociale du temps des vacances entre 1880 et 1980.
Lire son article « L'Université ouvrière de Montreuil : une expérience des années 30 ».
Dans la lignée de l'Université ouvrière de Paris, créée en 1932 par le Parti communiste, l'Université ouvrière de Montreuil (UOM) naît à l'automne 1935, à l'initiative de la nouvelle municipalité communiste. Si son existence fut courte – trois ans –, elle fut néanmoins florissante, comme le rapporte l'historien Christophe Granger.
Les cours, dispensés en semaine, de 20 à 22 heures, sont destinés en priorité aux ouvriers (contre une cotisation mensuelle de 5 francs) et aux chômeurs de la ville. La soif d'apprendre s'y vérifie, comme pour le Centre confédéral d'éducation ouvrière : « Les 140 inscrits la première année sont devenus 300 à la rentrée 1936, puis 630, ouvriers et employés, à celle de 1937 », rappelle Christophe Granger.
Outre des cours de langue (russe, espagnol, italien, allemand), ils se forment à l'histoire de France, à l'économie politique ou au droit ouvrier. Des enseignements plus pratiques se mettent également en place : couture, sténographie, électricité, TSF…
Mais aussi des cours de solfège ou de violon, tandis que l'UOM organise le samedi à partir de 1937 des sorties culturelles : visites de l'exposition Rubens à l'Orangerie, de l'imprimerie de L'Humanité, du musée Carnavalet, de l'usine d'aviation Blériot ou du Muséum national d'histoire naturelle…
Un foisonnement de découvertes stoppé par les élections municipales de 1939 qui, démettant l'équipe communiste, auront raison de l'UOM.
NVO, juin 2016
1936, le bel héritage