Vingt ans après l’assassinat du premier ministre israélien Yitzhak Rabin par un extrémiste juif, l’indépendance de la Palestine, paix et coexistence israélo-palestinienne semblent bien loin. L’extrême droite est au pouvoir en Israël. Que s’est-il donc passé ?
Voici 20 ans, le 4 novembre 1995, le premier ministre israélien Yitzhak Rabin était assassiné par un jeune extrémiste juif religieux, Ygal Amir, en quittant un rassemblement pour la paix à Tel-Aviv. Vingt ans plus tard, ils ne sont guère nombreux à lui rendre hommage, dans une société gangrénée par la pérennisation de l'occupation de la Palestine, alors qu'Israël est dirigé par l'un des gouvernements les plus à l'extrême droite de son histoire. La violence de la colonisation détruit chaque jour davantage les espoirs d'indépendance de la Palestine et de paix israélo-palestinienne. Que s'est-il passé pour en arriver là ?
DEUX ANS APRÈS OSLO
Tel-Aviv, 1995. Pour la première fois, deux ans plus tôt, un premier ministre israélien a signé avec l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) un accord, négocié à Oslo, ouvrant la voie à une paix enfin envisagée par des négociations fondées sur le droit international et visant un « échange de la paix contre les territoires palestiniens occupés » depuis 1967.
Yitzhak Rabin, premier ministre israélien, est loin du pacifiste inconditionnel. C'est lui, notamment, qui dirigeait l'état-major israélien lors de la guerre des six jours de juin 1967 et de l'invasion de la Cisjordanie, dont Jérusalem-Est, du territoire de Gaza, ainsi que du Golan syrien.
Lors de la première Intifada palestinienne – ce soulèvement de tout un peuple vingt ans après le début de cette occupation –, c'est lui encore qui avait donné l'ordre à l'armée de « briser les os » des jeunes lanceurs de pierres.
Les accords d'Oslo qu'il a acceptés de signer sont encore loin de la reconnaissance réciproque entre deux Etats indépendants : l'OLP de Yasser Arafat reconnaît l'État d'Israël, lequel reconnaît non pas la Palestine, mais l'OLP, représentante d'un peuple dispersé entre l'occupation et l'exil forcé par expulsion de la majorité de la population hors de en 1947-1949 par ce qui allait devenir l'armée israélienne.
Quant à la colonisation, que même les États-Unis qualifient de « premier obstacle à la paix », Yitzhak Rabin n'y renonce pas.
Mais il distingue, et c'est une première, colonies militaires et « colonies de peuplement » dont il envisage de cesser l'expansion.
Mais il tarde à mettre en œuvre le calendrier prévu par Oslo et, même après l'assassinat de fidèles musulmans par un extrémiste israélien dans la mosquée d'Hébron en février 1994, il tarde à envisager la fin du processus de colonisation.
UN ESPOIR ASSASSINÉ
C'en est cependant beaucoup trop pour la droite et l'extrême droite israélienne, comme pour les extrémistes, de plus en plus religieux, dans les colonies, qui mènent à son encontre une campagne de haine sans précédent.
Durant des mois, des affiches le peignant en nazi, avec uniforme SS et keffieh palestinien, sont placardées dans les rues des villes israéliennes. Le 4 novembre 1995, Yigal Amir a tenu l'arme qui a tué le premier ministre. Il sera condamné à la prison à vie. Mais c'est l'extrême-droite qui a mené campagne. Et l'extrême droite est aujourd'hui au pouvoir.
COLONISATION À OUTRANCE
Benyamin Netanyahu – déjà lui – qui succède à Yitzhak Rabin, profite de ce que les États-Unis nomment les « ambigüités constructives » du processus d'Oslo, et de l'architecture même des accords : négociations hors du cadre des Nations unies, report à trois ans des pourparlers sur les dossiers essentiels (démantèlement des colonies, application des droits des réfugiés, reconnaissance de l'État palestinien dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale…).
En fait, aucun calendrier ne sera respecté.
Les Palestiniens mettent en place une « Autorité nationale » dans un pays sous occupation, ce qui est historiquement inédit ; les prisonniers politiques restent détenus par les forces israéliennes, servant en quelque sorte d'otages dans la négociation.
Là où la partie palestinienne réclame des négociations fondées sur le droit international dont il s'agit de négocier les modalités d'application, la partie israélienne réclame que les Palestiniens renoncent au droit, pour accepter ce qu'elle appelle une « offre généreuse », ou peau de chagrin.
Que ce soit sous Benyamin Netanyahou ou son successeur, le travailliste Ehud Barak, aucun accord intermédiaire n'est respecté et la colonisation (construction d'« unités d'habitations » sur des terres confisquées aux Palestiniens, construction de « routes de contournement » réservées aux seuls colons et reliant les colonies au territoire israélien) double en quelque dix ans.
Côté palestinien, les formes de résistance se diversifient. La résistance populaire non-violente s'organise, cible principale des forces israéliennes.
Mais d'autres se laissent prendre au piège mortel des attentats contre des civils israéliens.
Ces attentats, bien que condamnés sans réserve par l'Autorité nationale palestinienne, finissent par convaincre une majorité de la société israélienne que ni paix ni coexistence ne sont possibles.
SECONDE INTIFADA
Après l'échec de la négociation dite « finale » de camp David en 2000, la provocation d'Ariel Sharon sur l'esplanade des mosquées à Jérusalem , « protégé » par les garde-frontières israéliens mobilisés par Ehud Barak, tourne la page de la négociation et vise à « confessionnaliser » un conflit colonial.
La seconde Intifada sera rapidement et massivement réprimée dans le sang, ce qui ouvre la voie à un cycle de nouvelles violences tandis que la colonisation s'accélère. Le retrait des colons de Gaza en 2005 (réinstallés pour beaucoup dans les colonies de Cisjordanie) vise officiellement à « geler dans le formol » toute négociation.
Un an après l'élection de Mahmoud Abbas (Fatah) comme président palestinien (il succède à Yasser Arafat décédé dans des conditions « non-élucidées » à l'issue d'années de siège israélien de la présidence), le Hamas remporte les législatives en 2006 et devient le pouvoir fort de Gaza.
RÉSEAU DE MURS
Au nom de la « sécurité » les dirigeants israéliens érigent un réseau de murs à l'intérieur de la Cisjordanie visant en fait l'annexion de vastes zones, notamment de l'arrière-pays de Jérusalem (la Ville sainte ayant déjà été illégalement annexée) ainsi que de régions fertiles et aquifères.
Parmi d'autres, la vallée du Jourdain est particulièrement ciblée. Aucune économie n'est envisageable dans un tel contexte, comme le répètent les organisations syndicales palestiniennes.
La Cisjordanie est divisée en mini-enclaves par les colonies, les murs, les routes de contournement et les centaines de checkpoints militaires. Toute velléité de résistance est réprimée par le sang, la prison, la torture, et même les bombardements.
La répression vise non seulement les tirs de mortiers tentés contre des villes israéliennes depuis Gaza, mais aussi la résistance reconnue par la légalité internationale, qu'il s'agisse de la lutte armée dans le territoire sous occupation lui-même, ou la résistance non-violente en particulier contre la confiscation de terres pour la construction des murs et des colonies.
Tandis que la population de Gaza, elle, subit plusieurs guerres et un blocus intenable.
SORTIR DE L'IMPUNITÉ
Les tentatives de négociations relancées par les États-Unis ont toutes échoué, car laissées au seul tête-à-tête inégal israélo-palestinien sans conditions ni contraintes.
C'est soumettre la mise en œuvre des droits nationaux du peuple palestinien à leur reconnaissance préalable par Tel-Aviv qui les rejette ; la France elle-même reconnaît que plus de vingt ans après Oslo, un changement de méthode s'impose.
L'Autorité nationale palestinienne est parvenue à faire reconnaître à l'Onu un État de Palestine « non-membre », ce qui lui donne accès aux institutions comme la Cour pénale internationale.
Mais la Palestine subit la violence de plus en plus massive des colons extrémistes : récoltes arrachées, maisons rasées voire occupées, attaques contre des paysans ou des villages, incendies…
Et les soldats continuent à être au service de la colonisation. Dans un tel contexte, dans la génération de Palestiniens née après Oslo et qui a déjà connu plusieurs guerres, certains en arrivent à être tentés par la « stratégie » du couteau et du désespoir…
Il est temps de sortir de cette logique. Cela passe par la fin de l'impunité qui permet à Tel-Aviv de coloniser et de violer les droits nationaux palestiniens sans craindre l'ombre d'une sanction.
Cela passe par la reconnaissance internationale pleine et entière de l'État de Palestine. Cela passe par le droit international qu'il s'agit de faire enfin respecter.
Il en va des droits d'un peuple, de la fin des violences, de la sécurité non seulement de la Palestine et d'Israël, mais de toute la région.