Syndicalisme britannique et Brexit : « la CES sera notre seul lien avec l’Europe »
Entretien avec Elena Crasta, responsable du bureau européen de la confédération britannique (Trades Union Congress, TUC), à Bruxelles. Lire la suite
Mais beaucoup se sont aussi laissé séduire par des arguments nationalistes, xénophobes, voire racistes et anti-réfugiés et anti-immigrés de l'extrême droite. Dans un tel contexte, c'est pour une autre Europe, sociale, que se battent les syndicats britanniques. Entretien, au lendemain matin du référendum, avec Kathleen Walker-Shaw, directrice Europe du syndicat GMB (troisième syndicat le plus important des TUC, fédérant les travailleurs des chantiers navals, de l'industrie, des services).
Kathleen Walker-Shaw : Non, nous ne nous y attendions pas, même si nous savions que le départage entre le « In » et le « Out » serait très serré. Nous étions un peu rassurés, la veille au soir du scrutin lorsque le dernier sondage donnait le « In » à 52 % et le « out » à 48 %.
Nous avions aussi pensé que l'assassinat de Jo Cox ferait réagir les indécis, dans le sens du « remain » (rester dans l'UE). Du coup, ce matin, c'était le choc.
KWS : Je dirais que ce vote reflète en grande partie ce que nous avons pu observer pendant la campagne pour le « Remain ». La population, légitimement, n'est pas contente. Il y a beaucoup de colère envers l'Europe, beaucoup de déception, en particulier sur le démantèlement de l'Europe sociale. Parce que l'Europe sociale, qui a pu en partie exister du temps de Jacques Delors, a en tout cas aujourd'hui disparu.
Les travailleurs et les milieux populaires britanniques voient bien que l'Union européenne favorise les employeurs au détriment des travailleurs, soumis à de problèmes sociaux, de logement, d'emploi, de salaires, de conditions de travail…
C'est pourquoi nous sommes malgré tout surpris par la cartographie du vote, par exemple dans la grande cité de Birmingham, où ça ne va pas si mal que ça, mais qui a majoritairement voté pour la sortie. Nous sommes d'autant plus déçus que notre syndicat est particulièrement engagé dans la bataille pour une autre Europe, social, et pour le progrès social.
Depuis 23 ans, nous sommes très investis dans toutes les instances européennes qui travaillent sur les questions du droit du travail et des travailleurs au point que nous avons ouvert un bureau à Bruxelles pour cela. C'est pourquoi, aujourd'hui, c'est avant tout la déception qui l'emporte sur toute autre considération.
KWS : Nous avons fait le choix de la clarté : oui pour rester dans l'UE, mais pas pour le statu quo ; oui pour rester, mais pour réformer l'UE et pas selon le programme de David Cameron qui vise la mise en concurrence de tous les travailleurs et la poursuite de l'évasion fiscale des entreprises.
D'un côté, nous avons mis en avant tous les progrès sociaux que nous avons réussi à conquérir, en faveur du monde du travail, qui concernent l'amélioration de la situation de l'emploi, la sécurité des conditions de travail, les droits et acquis sociaux, l'égalité entre salariés et sans discriminations pour les travailleurs immigrés, etc.
De l'autre, nous n'avons pas occulté les insuffisances, les orientations négatives, les défaillances du fonctionnement de la commission européenne. Mais nous avons mis l'accent sur la nécessité de rester pour peser et poursuivre, ensemble, avec nos partenaires européens, ce travail de construction d'une Europe sociale, vraiment protectrice des travailleurs.
Et puis nous avons expliqué qu'il y avait plus à craindre encore de la politique intérieure menée par nos gouvernements successifs, tous acquis à l'ultralibéralisme et dont l'objectif est de démanteler un à un tous ces acquis.
Nous avons rappelé comment, à chaque avancée sociale négociée avec l'Europe, ils se sont appliqués à obtenir des dérogations pour diminuer les droits acquis ou encore, comment, dès la crise de 2008, ils ont imposé l'austérité alors même qu'elle n'était pas exigée par Bruxelles, le Royaume-Uni n'étant pas dans la zone euro. Nous avons aussi expliqué les impacts régressifs et récessifs du Brexit sur tous les travailleurs des autres pays de l'UE.
S'agissant des arguments xénophobes du Ukip (parti d'extrême droite eurosceptique dirigé par Nigel Farage) à propos des travailleurs immigrés, nous avons rappelé que c'est aux exploiteurs, et non aux exploités qu'il faut s'attaquer. Bref, nous avons été, je crois, très clairs.
KWS : Malheureusement. Mais les gens, face à leurs problèmes très concrets du quotidien, manque de logement, d'emploi, de moyens d'existence, de droits qui diminuent et de services publics qui disparaissent, se sont laissés tenter par ce changement-là…
Les partisans du « Leave » en ont bien profité et face à leurs arguments basés sur les ressorts de la peur de l'immigration, il a été très difficile de rendre audibles des arguments raisonnables. Hélas, quand les gens vont voir, très vite, qu'on ne construit pas de logements sociaux avec l'argent récupéré de la contribution à l'Europe, que ce qui reste de services publics va être totalement démantelé et, pire, que tout cela va se répercuter sur les autres pays de l'UE et partout dans le monde, c'est dans la douleur qu'ils vont comprendre le leurre des promesses qui leur ont été faites.
KWS : Voilà un point auquel il va falloir réfléchir. Au sein de la CES, il y a déjà d'autres syndicats, les Turcs par exemple, de pays qui ne font pas partie de l'UE. J'espère vivement que nous allons pouvoir continuer d'y siéger, aussi bien au sein de la CES qu'au sein des organisations internationales de syndicats, d'autant plus que les syndicats britanniques, y compris les pro-Brexit, sont très engagés dans le syndicalisme international.
Et de mon point de vue, la solidarité internationale est ce qu'il y a de plus important, de plus précieux à préserver dans cette séquence de l'histoire.
LE GMB ET LES SYNDICATS BRITANNIQUES DU TUC VONT-ILS POUVOIR PARTICIPER AUX NÉGOCIATIONS DE L'ACCORD DE SORTIE DE L'UE ? SINON, QUEL TRAVAIL ALLEZ-VOUS ENGAGER POUR PESER SUR CES NÉGOCIATIONS ?
KWS : La encore, il s'agit de questions que nous aurons à discuter dans les semaines à venir. Nous allons avoir un nouveau premier ministre et d'ores et déjà, le Labour et les syndicats écossais ont demandé à pouvoir participer à ces négociations.
En toute logique, les syndicats devraient eux aussi y prendre part. En dépit du fait que notre gouvernement soit profondément anti-syndicats, je trouverais choquant qu'en démocratie, nous ne puissions pas porter la voix des travailleurs.
KWS : Dans l'immédiat, je pense qu'il ne se passera rien, car la priorité du gouvernement n'est pas de les démanteler tout de suite, sachant que les travailleurs, surtout les pro-Brexit, y sont très attachés.
En revanche, tel est bien l'objectif sur les moyen et long termes et d'ailleurs, cette politique de démantèlement des acquis sociaux est déjà à l'œuvre dans deux domaines significatifs : l'intérim et le temps de travail, notamment.
S'agissant de l'intérim, le Royaume-Uni a obtenu, par dérogation, trois mois de délais pour qu'un salarié intérimaire acquière tous ses droits sociaux (protection sociale, temps de travail, égalité de salaire, etc.) alors que dans les autres pays de l'Union, ces droits sont acquis dès le premier jour de la mission d'intérim.
S'agissant du temps de travail, notre gouvernement a demandé et obtenu l'opt-out par rapport aux 48 heures hebdomadaires, si bien que, chez nous, les employeurs peuvent légalement déroger à ce plafond d'heures de travail hebdomadaire.
Notre crainte majeure concerne les quatre semaines de congés payés, qui étaient déjà attaquées avant le Brexit. C'est un acquis fragile, car il n'est pas encore étendu à toutes les catégories de salariat. Il faut savoir que 4 millions de travailleurs britanniques n'ont pas encore accès aux congés payés.
KWS : Difficile, à cet instant, de répondre exhaustivement à cette question. Ce que nous savons, c'est que les « Leave » ont à cœur de pouvoir préserver leur accès au marché européen et là, nous allons voir ce qu'il sera possible de négocier. Nous savons aussi que, hors de l'UE, nous allons devoir nous en tenir aux pires des accords de libre-échange, c'est-à-dire ceux négociés avec les États-Unis.
Mais ce qui doit nous préoccuper, nous, syndicalistes, c'est de tout faire pour relancer et raviver la solidarité internationale. C'est sur les grands sujets que nous devons à présent nous concentrer : comment nous unir, par-delà nos divergences, comment organiser les contre-offensives ensemble, comment construire des alternatives à cette Europe exclusivement dédiée aux intérêts des marchés ?
Et la sortie du Royaume-Uni de l'UE va forcément produire des bougés.
Nous devons sans tarder en mesurer tous les impacts sur la société, à commencer par les services publics que nous devrons défendre plus fortement que jamais.
Il faut que tous les syndicats d'Europe définissent ensemble cette nouvelle stratégie. Nous, sortis de l'Europe, devons être fer de lance de ce programme et miser, à mon avis, avant tout sur la solidarité internationale.
C'est notre identité syndicale, c'est notre bien le plus précieux et ça doit être, selon moi, l'axe principal de la nouvelle stratégie du mouvement syndical, en Europe et dans le monde.
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