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LOGEMENT

Une urgence installée

13 février 2015 | Mise à jour le 22 mars 2017
Par | Photo(s) : Jack Guez/AFP
Une urgence installée

L'hébergement d'urgence en hôtel meublé fut, à un moment donné, une solution à la croissance du nombre de personnes sans abri. Sauf que l'urgence s'est développée, installée, qu'elle coûte cher et n'est pas adaptée. Reportage.

Il aura fallu vingt ans pour que l'hôtel soit réhabilité. Que les fissures, infiltrations, escaliers branlants, sanitaires d'un autre âge, électricité bidouillée soient remis aux normes. Que les sols et les peintures soient refaits et les fenêtres changées, que les hôtes indésirables, cafards, punaises, puces, soient chassés. En somme, que les quelque 50 familles hébergées vivent dans un endroit décent, non insalubre, à défaut de vivre dans UN espace suffisant et adapté.

Marc (*) s'occupe de cet hôtel du XXe arrondissement de Paris depuis une quarantaine d'années. Il y occupe un logement au rez-de-chaussée, moyennant quelques heures de présence dédiées à l'accueil, au petit entretien, à la gestion courante, mais a toujours travaillé comme mécanicien, retraité depuis peu.

Depuis le trottoir, rien ne signale que l'immeuble est une structure d'hébergement. Seule une petite pancarte affiche «complet» sur la porte d'un bout de l'année à l'autre: «Je tiens une liste d'attente, précise Marc, mais cela ne sert à rien car une fois dans la place, les gens ne bougent plus pendant des années, il n'y a pas de logements abordables à Paris et puis, de toute façon, travaillant directement avec la Ville de Paris et les services sociaux, ce sont eux qui placent les familles et dans la majeure partie des cas, règlent la facture».

À quelques exceptions près, l'hôtel accueille exclusivement des familles avec enfants. De petites chambres, avec sanitaires et toilettes sur le palier, comme dans tous les hôtels de ce type. À une différence près, cependant, chez Marc, la réhabilitation a permis un mieux-vivre salué par tous. Les journées sont calmes, les mamans s'occupent des enfants, école, ménage, nourriture, les parfums se mélangent, les portes sont souvent ouvertes selon les affinités dans les étages. Quelques hommes discrets, la plupart de sortie. Marc précise que les pères de famille passent du temps dehors, soit en recherche d'emploi, soit travaillant, soit au bistrot.

«LOGEMENTS» INADAPTÉS

Autre structure d'hébergement quelques centaines de mètres plus loin. Un hôtel meublé d'une trentaine de chambres. Kader (*) a 41 ans. Dix ans plus tôt, une première crise d'épilepsie très violente le contraint à cesser le travail et entrer dans un système jusqu'alors inédit pour lui. Un suivi médical draconien, les services sociaux, l'allocation adulte handicapé (AAH), la perspective – peut-être, un jour – de trouver un emploi aménagé, mais Kader doit se loger.

Après quelques années d'hébergement sur les canapés de membres de sa famille, l'assistante sociale du centre médico-psychologique qui le suit lui trouve une chambre dans ce petit hôtel au fond d'une impasse. «Ce devait être un tremplin, selon l'assistante sociale, or ça fera trois ans que j'y vis en avril prochain», souligne Kader. Et de décrire sa vie à l'hôtel. Trente personnes y sont hébergées, beaucoup «ont des problèmes de personnalité, des problèmes psychiatriques» et cohabitent avec des personnes âgées et des personnes en rupture, parfois très désocialisées.

«C'est dégueulasse et plein de cafards», chaque chambre fait moins de 8 m2 et il n'y a qu'une seule douche pour tout le monde. Le prix de ce palace pour Kader? 690 euros par mois dont il s'acquitte sur son AAH avec, tout de même, une aide au logement. Il espère évidemment arriver vite au bout de ce qui ne devait être qu'un tremplin.

115 SATURÉ

C'est bien là le cœur du problème. La crise du logement persistant, conjuguée à la crise économique et sociale, pousse de plus en plus de gens à la rue. Le 115 (numéro d'urgence du Samu social) est saturé, le nombre de sans-abris ne cesse de croître et, faute de place dans les structures d'hébergement, l'accueil d'urgence en hôtel a pris le relais avec une ampleur telle que, selon le Samu social, le système est parvenu à un point de blocage.

Très onéreux pour l'État et les associations, inadaptés pour les familles, les hôtels dits sociaux génèrent de surcroît bien des maux. Comme le relève l'enquête de l'Observatoire du Samu social, de telles conditions d'hébergement entraînent la déscolarisation des enfants lorsque les nuitées sont limitées dans le temps (10% des enfants ne sont pas scolarisés), une mauvaise hygiène alimentaire allant de plus en plus soit vers une obésité (1/3 des femmes et 1/4 des enfants), soit vers des carences et des anémies pointées par les médecins, un défaut d'accès aux soins (20% des familles n'auraient pas d'assurance maladie). Entre autres conséquences désastreuses. L'insertion n'est évidemment pas à l'ordre du jour.

(*) Les noms ont été modifiés

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UN PLAN TRIENNAL

Début février, le ministère du Logement rendait public son plan triennal pour réduire le recours à l'hôtel. Il s'agit de mobiliser 105 millions d'euros sur trois ans en réaffectant une partie de l'argent utilisé actuellement pour l'hébergement d'urgence en hôtel. Pendant ces trois années, le gouvernement entend créer 13 000 places en dispositifs alternatifs, dont 9000 en intermédiation locative (type Solibail), 1500 en logement adapté (pensions de famille, maisons-relais), 2500 dans des centres dédiés aux familles ou dans des logements sociaux vacants. Il s'agira également de proposer des logements alternatifs aux 6000 demandeurs d'asile hébergés à l'hôtel et surtout, améliorer les conditions de vie et renforcer l'accompagnement des personnes encore hébergées à l'hôtel.
Alors certes, l'objectif est louable et certes, 1,3 milliard d'euros sont chaque année dédiés à la politique d'hébergement et d'accès au logement qui ont notamment permis de créer 7000 nouvelles places en centres d'hébergement. Cependant, eu égard à la persistance de la crise du logement et du marché de l'emploi, compte tenu de l'explosion du nombre de familles mal-logées et à la rue, ce plan triennal semble bien en deçà des besoins et n'aborde pas la question de la construction de logements sociaux, des réquisitions de logements vides ou des reconversions de bâtiments appartenant à l'Etat.

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EN CHIFFRE

EN SAVOIR +

Enquête du Samu social
20ème rapport de la Fondation Abbé Pierre
Plan triennal du gouvernement