Condor Ferries, rapaces en pleine mer
La compagnie maritime Condor Ferries assure la liaison quotidienne entre Saint-Malo et l’Angleterre via les îles anglo-normandes Jersey et Guernesey. Qui sait, en montant à... Lire la suite
En arpentant un petit sentier côtier, le promeneur peut découvrir une stèle à la mémoire du fondateur d'EDF, le syndicaliste Marcel Paul. Une plaque érigée au-dessus du chantier de l'EPR de Flamanville (50), réacteur nucléaire du futur et… théâtre de fraudes massives à l'emploi de salariés détachés.
Le premier acte se déroule en 2005, avant le début du chantier. La CGT élabore un projet syndical d'implantation avec plusieurs fédérations (énergie, intérim, construction…). Elle revendique aussi la création d'un CHSCT de site. «EDF a tout rejeté avec mépris», se souvient Jacques Tord, alors coordinateur CGT. Exit le dialogue social ! EDF, maître d'ouvrage, laisse à Bouygues TP, donneur d'ordre, les coudées franches pour organiser le travail à sa façon, avec ses prestataires.
En 2008, la création d'un comité de suivi de dialogue social est imposée. Jacques Tord y pointera diverses anomalies, comme l'existence de taux élevés d'accidents du travail sur le chantier. En 2009, un contrôle Ursaff et de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) lève par ailleurs un premier voile sur la condition de détachés roumains. Employés par l'agence d'intérim Elco, ils sont payés en partie en liquide, et sont sans autorisation de travail… Mais l'omerta règne toujours. «Quand on tractait, certains détachés avaient peur, raconte Mohammed Elyauti, de la CGT construction. «Bouygues avait instauré un cordon sanitaire antisyndical», ajoute Jean-François Sobecki, du comité régional CGT Normandie.
Les langues se délient en 2011 après la chute mortelle d'un ouvrier français sur le site. «Des Polonais avaient placardé des appels au secours par rapport à leurs conditions de travail», se souvient Mohamed Elyauti. Des contacts se nouent. «Je leur ai donné rendez-vous sur un parking, ils sont venus à 130 pour avoir des explications sur leur paie!», poursuit Mohamed Elyauti.
Employés par Atlanco, une société d'intérim, les Polonais étaient détenteurs de contrats de travail établis à Chypre, paradis fiscal notoire… Sur leur paie, des centaines d'euros prélevés sans motif et ce alors que les salariés n'avaient pas de protection sociale. En cas d'accident du travail, ils étaient escortés chez le médecin, sans déclaration à la clé…
L'ASN épingle alors EDF, qui somme Bouygues de régler la situation: le 26 juin 2011, les Polonais sont embarqués manu militari en bus, vers leur pays d'origine. On ne les reverra pas.
À l'issue de plusieurs enquêtes diligentées par le procureur de Cherbourg, s'est ouvert, le 10 mars 2015, un procès en correctionnelle pour délit de travail dissimulé, délit de marchandage, de prêt illicite de main-d'œuvre, d'emploi de salariés étrangers sans titre. Une première pour un tel chantier. Sur le banc des accusés : Bouygues TP, Atlanco (absent et introuvable), mais aussi Quille et Welbond Armatures, filiale et prestataire de Bouygues. Le maître d'ouvrage, EDF, non concerné, doit son salut à la date des infractions, antérieures à une loi récemment promulguée sur la responsabilité des donneurs d'ordre. « Mais si EDF avait pris conscience qu'il fallait une régulation sociale, on n'en serait pas là », tance Jacques Tord. Le parquet a notamment requis une amende de 225 000 euros à l'encontre d'Atlanco Ltd, et de 150 000 euros contre Bouygues TP. Verdict le 9 juin 2015.
2007: Lancement du chantier de l'EPR à Flamanville.
2009: Le responsable de la sécurité du site, employé par Bouygues, exerce son droit d'alerte et de retrait. Il sera licencié.
2011: Un ouvrier français fait une chute mortelle sur le site. Un second accident mortel surviendra un peu plus tard. Deux enquêtes seront ouvertes.
2015: Ouverture du procès en correctionnelle pour travail dissimulé. La CGT s'est constituée partie civile.