Procès Air France : triple peine pour quatre ex-salariés
La cour d’appel condamne quatre prévenus dans l’affaire dite des « chemises arrachées » à Air France. Une décision politique. Lire la suite
Fidèles au célèbre refrain de HK & les Saltimbanks, les militants n’ont rien lâché. Par centaines, ils sont venus ce 27 mai au petit matin devant les portes du Palais de justice de Bobigny (93) témoigner leur solidarité aux « 15 d'Air France ». C’est là en effet que ces quinze salariés, accusés par leur direction de violences contre deux cadres et deux vigiles et de dégradation d’un portail après l'affaire de la « chemise arrachée », passaient en jugement.
Dès 9 h, le square adjacent au TGI est piqueté des couleurs de la large intersyndicale CGT, FSU, FO, Sud-Solidaires, SPAF-UNAC, UNSA, CFTC, chacun arborant sa panoplie militante, drapeaux et ballons fièrement déployés sous le soleil. Invités de classe, les Goodyear, les PSA Peugeot, venus soutenir leurs camarades, mais aussi témoigner de la criminalisation syndicale qui tend à se généraliser dans le pays.
La projection du film éponyme relatant la bataille des PSA vient de s’achever, il est midi et, à la surprise générale, les quinze incriminés et leur avocate sont annoncés à la tribune.
Sous un tonnerre d’applaudissements, Mehdi Kemoune (secrétaire du syndicat CGT Air France) prévient l’assemblée : « Nous venons d’apprendre une très bonne nouvelle, mais c’est notre avocate, qui s’est battue “comme un lion” – c’est le cas de le dire –, qui va l’expliquer au micro.» La jeune femme annonce le report de l’audience à fin septembre : « Nous venons de remporter une première manche importante, car croyez-moi, ce n’était pas gagné d’avance face à un procureur à charge et face à un juge qui a refusé d’entendre les témoignages de la défense.
Ce report que nous avons gagné va nous permettre de poursuivre la bataille pour joindre les deux plaintes, celle de la direction d’Air France contre les salariés, et celle de la CGT Air France contre la direction pour délit d’entrave à la sécurité intérieure, parce que, nous le savons tous désormais, les deux dossiers sont liés, et il n’est pas question que ces salariés soient condamnés sans que les tribunaux acceptent de se poser toutes les questions, pas question qu’ils soient jugés de manière partiale ou à charge tel que cela a été le cas jusqu’ici. »
Ovation générale, roulements de tambours et poings levés, le square jubile de satisfaction.
Au micro, les quinze d’Air France enchaînent alors les prises de parole, chacun rappelant au public les dessous de l’affaire dite de la « chemise arrachée ». « Dans cette affaire, il faut bien avoir en tête que tout a été théâtralisé par Manuel Valls qui, dès l’annonce des faits, est venu nous traiter publiquement de voyous et a demandé des sanctions exemplaires avant même de connaître les faits. »
Sous les huées d’un public exalté, un autre syndicaliste enchaîne : « Le lendemain, à l’aube, nos camarades sont perquisitionnés au domicile, devant leurs familles, devant leurs enfants, comme des grands délinquants, comme s’ils cachaient des armes, et ça, c’est inadmissible, c’est un coup monté, mais nous allons le démontrer, parce que oui, la veille de ce fameux 5 octobre, la direction d’Air France avait fait installer des caméras et recruté des vigiles en prévision des débordements, débordements soigneusement programmés par notre direction au moment où elle nous annoncerait 2 900 suppressions d'emplois.
Elle mesurait parfaitement la violence de son annonce et comptait sur la réaction des salariés qu’elle s’est empressée de qualifier d’inadmissible. Hélas pour elle, ce coup monté, nous allons le prouver à l’audience de septembre et obtenir réparation de tous les préjudices subis par nos collègues ».
Un syndicaliste de Sud relate alors une scène marquante de ce fameux 5 octobre : « J’ai vu un patron qui a fui ses salariés après leur avoir annoncé les 3 000 suppressions d'emplois, un patron à qui les salariés, sous le choc de l’annonce, voulaient demander des comptes et qui s’est enfui par une porte dérobée, sans même prendre la peine de leur répondre, et je vous demande, est-ce responsable ? »
Un pilote veut lui aussi témoigner. « Souvenez-vous que les 3000 suppressions d'emplois se justifiaient, selon nos patrons, par les résultats catastrophiques de l’entreprise. Et qu’apprend-on quelques jours plus tard par la presse ? On apprend qu’en 2015, Air France a dégagé 50 milliards d'euros de bénéfices et quelques mois plus tard, que le PDG sortant s’est augmenté de 65 %, juste avant de quitter l’entreprise. Alors, nous allons continuer de nous battre et nous allons nous projeter dans l’avenir. Je vous le dis, dans l’avenir à Air France, il va y avoir des turbulences ! »
L’indignation générale est à son comble. Elle s’exprime bruyamment, tantôt par les huées, tantôt par le chant et les applaudissements qui scandent l’entrée en scène de chaque intervenant. Lorsqu’il prend la parole, Hervé Ossant, le secrétaire de la CGT de Seine-Saint-Denis, est imprégné de cette ferveur combative de l’assemblée.
« Nous n’avons pas oublié Manuel Valls et ses « voyous » désignés le 5 octobre.Mais depuis, nous avons appris que tout avait été planifié par la direction d’Air France. Les voyous, c’est ce gouvernement en connivence avec le patronat, qui criminalise l’action syndicale et veut faire condamner les Air France aujourd’hui comme les Goodyear hier, ce gouvernement qui après les attentats, crée un régime d’exception avec l’état d’urgence et la déchéance de nationalité. C’est ce gouvernement qui veut imposer l’austérité à tous les salariés tandis que le CAC 40 a dégagé 50 milliards de bénéfices pour les seuls actionnaires.
Le voyou, c’est ce gouvernement qui veut à présent imposer une loi travail rejetée par 74 % des Français, et qui accuse les syndicats mobilisés d’être minoritaires, alors qu’il n’a pas obtenu la majorité dans son propre camp, malgré quoi il impose sa loi au forceps du 49.3. »
Galvanisés par ces interventions successives, les militants se rassemblent près de l’estrade. Au micro, un responsable de FO ne mâche pas ses mots : « Ce gouvernement soutient les patrons casseurs de nos emplois, de nos vies et de celles de nos enfants. Alors, il faut le réaffirmer : notre combat contre la loi travail est légitime, nous avons raison de l’amplifier par la grève, parce que nous sommes le peuple, nous sommes des militants syndicaux et fiers de l’être. La violence est sociale, et ce sont le gouvernement et le patronat qui l’exercent contre nous en créant toujours plus de misère et désespérance. »
Une responsable de Solidaires tient à marquer son soutien total à la bataille des Air France. « Le 5 octobre, vous vous êtes battus contre le chantage à l'emploi qui est au cœur de cette loi travail. S'ils ont les moyens de la répression, nous avons le nombre. »
Quant au représentant de la FSU, il exhorte à ne pas plier. « Nous devons continuer d’amplifier le mouvement, c’est notre responsabilité collective de rester dans la rue jusqu’au retrait de cette loi. »
« La CGT a bien fait, il y a un an, de lancer la bataille pour les libertés syndicales, c’est l’affaire de tous et y toucher, c’est attaquer la société toute entière », a pour sa part souligné d'emblée Philippe Martinez.
Chaleureusement salué par la foule, le secrétaire général de la CGT a dénoncé la violence de la répression qui frappe le mouvement syndical. « Il y a ceux qu’on arrête, mais il y a aussi les brimades, les insultes, le dénigrement et tout ça, il ne faut pas laisser passer. On reproche aux Air France de ne pas avoir accepté 3000 suppressions d'emplois, et de victimes, on les fait passer pour les coupables.
Mais derrière ceux d'Air France, comme ceux de Goodyear, se cache un projet de baisse de tous les acquis sociaux pour généraliser le dumping social entre les salariés d’ici. C’est inacceptable », a martelé Philippe Martinez.
Dénonçant le « drôle de jeu du gouvernement », il a mis en garde les militants : « Au lieu de répondre aux grèves, il nous traite de preneurs d’otages, de voyous qui voudrions paralyser la France et tout cela génère un climat de haine autour des syndicats et des salariés qui restent déterminés contre cette loi. » Et de conclure par un mot d’ordre : « Retrait. »
Salué à maintes reprises par les Air France, les Goodyear et bien d’autres pour sa solidarité active, le syndicat Info'Com CGT (Filpac) était aussi à l’honneur. Convoqué ce lundi 30 mai à la Brigade de répression de la délinquance contre la personne, le secrétaire du syndicat Romain Altmann, mis en cause pour les affiches dénonçant les violences policières, est soupçonné de « diffamation publique envers une juridiction, une administration publique, un corps constitué de l’armée ».
Décidément, face à la mobilisation sociale et à ses arguments, l'exécutif n'aurait-il à faire valoir qu'intimidation et répression ?
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