"Pour l’intersyndicale, il faut obtenir l’abrogation"
QUEL BILAN FAITES-VOUS DE LA SAISON DE MOBILISATIONS CONTRE LA LOI « TRAVAIL » AU VU DU RÉSULTAT : LA LOI EST PASSÉE EN FORCE ET A ÉTÉ VOTÉE. UN ÉCHEC ?
Thierry Dumez : Non, je ne crois pas que l'on puisse parler d'échec. Nous avons été en capacité d'informer les salariés de la dangerosité de cette loi « travail », c'est déjà un acquis majeur en termes d'alerte, d'information, de sollicitation de l'opinion publique. Opinion publique qui reste d'ailleurs majoritairement opposée à cette loi, 71 % des Français y sont toujours défavorables et 51 % continuent d'approuver le mouvement social. Donc, le travail des organisations syndicales et de jeunesse a pesé. Nous avons aussi fait la démonstration de notre combativité, de notre disponibilité, de notre présence sur le terrain, dans la rue, dans les luttes.
Nous avons montré que nous sommes des organisations syndicales qui ne désertent pas le terrain, qui adoptent une démarche responsable, qui sont tenaces, déterminées et qui ne lâchent rien ! Notons aussi que nous avons rassemblé des centaines de milliers de salariés pendant quatre mois et nous avons été capables de déclencher des arrêts de travail, des grèves, pour certaines reconductibles. Dans les entreprises, cela a eu des impacts forts sur l'activité revendicative qui s'en est trouvée dynamisée. C'est un élément majeur à porter au bilan. Il est donc un peu tôt pour conclure à l'échec, d'autant plus que la bataille n'est pas terminée. Au contraire, elle continue y compris durant l'été avec diverses actions et mobilisations pour reprendre en force dès la rentrée.
COMMENT S'ORGANISE LA MOBILISATION DU 15 SEPTEMBRE DANS LE CONTEXTE DE LA PROLONGATION ET DU RENFORCEMENT DE L'ÉTAT D'URGENCE, QUELLE STRATÉGIE L'INTERSYNDICALE A-T-ELLE ARRÊTÉ ?
L'intersyndicale qui s'est réunie le 20 juillet s'est accordée sur l'idée d'une rentrée dynamique et d'une mobilisation forte le 15 septembre. La forme, manifestation interprofessionnelle ou meeting, n'est pas encore arrêtée car, en effet, la prolongation de l'état d'urgence nous place dans un climat particulier. Des préoccupations se sont exprimées à ce sujet suite aux attentats de Nice (Provence-Alpes-Côte d'Azur) et de Saint-Étienne-du-Rouvray (Normandie) parce que cela peut peser sur l'état d'esprit des gens. Mais ce qui est très clair pour tous, c'est qu'il ne faut pas lâcher le morceau sur la loi « travail » et poursuivre la mobilisation pour son abrogation. Et d'ailleurs, il y a une très forte demande de disposer d'argumentaires et de repères pour pouvoir aller au devant des salariés.
Les militants attendent des éléments de réponse et d'espoir pour la jeunesse et pour la population. Tout cela est aussi ressorti très fort lors de notre comité régional, à la demande des huit unions départementales (UD) franciliennes qui préparent un plan de déploiement pour aller à la rencontre des salariés sur la question de la loi « travail », mais aussi sur l'urgence d'augmenter les salaires et sur la réduction du temps de travail. À la demande des militants, les unions locales et les UD préparent en ce moment même des assemblées générales de rentrée et élaborent des argumentaires sur la démarche revendicative autour de la loi « travail », mais aussi sur des questions liées aux attentats et à l'état d'urgence. Nous, l'Urif, participerons à ces initiatives pour comprendre l'état d'esprit des militants.
C'est la période des congés, mais on voit bien une volonté de présence et cela participe de l'idée que nous ne sommes pas du tout sur un sentiment de défaite.
NE CRAIGNEZ-VOUS PAS UNE ACCENTUATION DE LA RÉPRESSION SYNDICALE, DES EMPÊCHEMENTS DE MANIFESTER ET PAR RICOCHET UN RETOURNEMENT DE L'OPINION PUBLIQUE ?
La répression et la criminalisation de l'action syndicale sont une question prioritaire pour la CGT, comme on l'a vu le 27 juillet lors du rassemblement à Saint-Michel en solidarité avec nos deux camarades Cédric et Loïc, qui ont été relaxés. Mais face à un gouvernement qui multiplie les dispositifs autour de l'état d'urgence, nous avons intérêt à être plus mobilisés que jamais pour défendre et protéger le droit syndical.
À ce titre, l'intersyndicale du 20 juillet a proposé qu'on ré-interpelle le préfet de région sur l'exigence du droit de manifester, et ce dans de bonnes conditions. Mais concernant l'opinion publique, la question qui se pose à nous, c'est celle de notre démarche qui va consister à expliciter aux salariés pourquoi il y a nécessité de manifester et d'obtenir l'abrogation de la loi « travail ». Le passage en force au 49.3 justifie que, plus que jamais, nous fassions respecter notre droit d'informer et de mobiliser les salariés.
Interview parue dans le Cahier de l'Union régionale d'Île-de-France de septembre 2016, distribué avec la NVO 3551