Dans un pays en guerre depuis près de 40 ans, le syndicat afghan NUAWE tente depuis quelques années de se réorganiser pour défendre les droits des travailleurs. Une délégation de ces syndicalistes s'est rendue à Paris à la rencontre de la CGT.
La visite de Maroof Qaderi, président du NUAWE, et de Imamudin Hamdard, responsable des relations internationales du syndicat afghan, s'inscrit dans une politique d'ouverture à l'international du syndicat. NUAWE a en effet rejoint, il y a 4 ans, l'Organisation internationale du travail (OIT) et la Confédération syndicale internationale (CSI).
« Nous sommes en contact avec des syndicats du monde entier pour acquérir de l'expérience auprès d'eux » explique Maroof Qaderi, « nous voulons nous inspirer des syndicats comme la CGT, entre autres pour réfléchir à l'établissement des négociations sociales en Afghanistan. »
Le syndicat, qui revendique 161 000 adhérents, est le principal syndicat du pays et représente essentiellement des fonctionnaires (personnel des armées, personnel hospitalier, enseignants…), mais aussi des salariés du privé, essentiellement dans le secteur de la télécommunication, l'agriculture ou l'enseignement supérieur. Parmi ses membres, précise Maroof Qaderi, figurent « aussi bien des hommes que des femmes. »
C'est que le syndicat est en pleine transformation. En 2011, après 3 jours de manifestation à Kaboul, les militants ont imposé un changement de statut au sein de NUAWE. Le syndicat, qui était auparavant « sous la coupe du gouvernement », s'émancipe et revendique désormais son indépendance et un fonctionnement totalement démocratique : après les manifestations, « des élections ont été tenues pour désigner le président, le vice-président et ratifier les nouveaux statuts du syndicat, » explique le syndicaliste, le tout sous la surveillance d'observateurs internationaux.
Cette transparence dans le système électoral se retrouve également dans le fonctionnement du syndicat. Les unions locales ont été équipées d'ordinateurs afin que chaque syndiqué puisse vérifier les comptes du syndicat. « Si un travailleur, qui paye une cotisation, demande ce qu'on fait de son argent, on peut lui rendre des comptes. »
Des défis colossaux
Dans le même temps, le syndicat a créé 4 nouveaux bureaux pour traiter des défis que rencontrent les travailleurs afghans : un bureau dédié à la question des droits des femmes, un autre se concentrant sur les jeunes travailleurs, un troisième se penchant sur les relations entre Kaboul et la province et un dernier chargé de développer l'éducation et la formation professionnelle et syndicale des travailleurs.
« Nous avons une responsabilité de travailler pour le peuple afghan » explique Maroof Qaderi. Les quatre dernières décennies ont été plus que difficiles pour les travailleurs et les syndicats. 40 ans de guerre ont détruit l'appareil productif et ralenti la croissance économique de l'Afghanistan reposant essentiellement sur l'agriculture. Pour le syndicaliste, il faut à la fois reconstruire le pays, mais surtout œuvrer à la création d'une réelle protection sociale et d'emplois de qualité « pour ne pas que les gens n'aillent à la guerre ». Le syndicalisme comme facteur de paix, Maroof Qaderi en est persuadé, d'autant plus qu'il lui faut rompre un cercle vicieux : la lutte sociale permet, explique-t-il de donner des raisons aux travailleurs de ne pas rejoindre le conflit, mais le conflit rend difficile toute conquête sociale. « Nous avons toujours eu des discussions avec le gouvernement », se souvient Maroof Qaderi, « mais sans cesse, de nouveaux problèmes “plus urgents” se posaient. Nous essayons de passer outre ces problèmes pour défendre les droits des travailleurs. Il faut sans cesse insister pour être entendus. »
Tourné vers l'international
Si le syndicaliste salue l'intervention internationale depuis 2001, comme facteur de stabilité dans le pays, il reste cependant dubitatif face aux annonces récentes du président américain Donald Trump d'envoyer de nouvelles troupes en Afghanistan. « S'il y a une nouvelle stratégie pour l'Afghanistan, peut-être, mais si c'est pour faire la même chose, cela ne servira à rien, » analyse-t-il, avant d'ajouter « je garde espoir. »
Outre la nécessité de reconstruire des infrastructures, la reconstruction économique du pays se heurtera également au manque de main-d'œuvre, résultat de l'émigration que connait le pays. C'est l'un des chevaux de bataille de NUAWE, l'une des raisons qui ont poussé le syndicat à nouer des liens avec les syndicats d'autres pays. D'une part pour défendre les droits des travailleurs afghans à l'étranger, comme en Iran ou au Pakistan, mais également pour lutter contre l'émigration et favoriser le retour au pays des travailleurs l'ayant quitté ces dernières années.
« Notre pays est très riche en ressources naturelles, 65 % de notre population est jeune, notre agriculture est prospère, mais nous n'avons pas utilisé ces ressources » déplore Qaderi, « c'est notre travail de montrer aux gens que le pays est riche et qu'au lieu d'aller à la guerre, ils devraient plutôt œuvrer à exploiter ces richesses. »
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