26 juillet 2021 | Mise à jour le 12 juillet 2021
À Méaulte, dans la Somme, depuis un an et demi, Airbus a préféré faire payer cash les effets de la crise sanitaire à ses sous-traitants plutôt que de les aider à passer le trou d'air.
Colère, écœurement, sentiment d'un immense gâchis, c'est un peu un mélange de tout cela qu'exprime Hervé Guillerme, délégué CGT de Simra (groupe Segula), à Albert (Somme). Le 31 mars dernier son usine a mis la clé sous la porte. « On s'est battus pendant six mois, ça nous a permis de gagner un peu de supra-légal : un congé de reclassement de douze mois et de la formation, mais l'usine a fermé. C'est déplorable, nous sommes sous-traitants de Stelia depuis trente ans. Stelia a repris en direct notre production. Pourtant, si ça redémarre en septembre, ils auront du mal à suivre la cadence… »
Avec un effectif d'environ 1 500 travailleurs, Stelia à Méaulte, dans la Somme, est en effet la principale entreprise du bassin d'emplois d'Albert qui concentre près de 6 000 salariés dans le secteur de l'aéronautique. Filiale d'Airbus, elle produit la pointe avant des avions, dont un impressionnant exemplaire trône devant l'usine. Autour de Stelia, une kyrielle de sous-traitants comme Simra, mais aussi Laroche Industries ou AAA (assistance aéronautique et aérospaciale), qui toutes ont réduit leur masse salariale. La politique d'Airbus a fracassé ce précieux maillage.
Un an et demi d'asphyxie
En juillet 2021, Airbus annonce 5 000 suppressions en France. Pour Stelia, c'est 700 suppressions d'emplois dans le groupe dont 290 à Méaulte. Dès le 17 mars, 200 intérimaires ont été confinés et très peu sont revenus. Ce sont les premiers emplois à avoir disparu. Les prestataires ont suivi. Cela représente entre 800 et 1 000 personnes sur le bassin d'emplois », énumère Stéphane Bresson, délégué CGT de Stelia.
Avec une baisse d'activité de 40 %, la tension monte chez les prestataires. AAA subit un plan de 567 suppressions d'emplois sur ses 7 sites en France, dont 88 suppressions à Méaulte. Pour pallier la situation, d'autres entreprises du site tentent d'imposer des accords de performance collective, comme chez Blondel Aérologistique, ou encore chez Laroche Industries où les salariés entrent en résistance avant que ne soit annoncé un PSE : « On a perdu une partie importante de notre chiffre d'affaires.
Et parmi les collègues, on a connu beaucoup de dépressions et des démissions en raison de l'atmosphère impitoyable qui règne au sein de l'entreprise », rapporte Jérémy Lancelle, délégué CGT de Laroche Industries. Cette atmosphère délétère pour faire partir les gens d'eux-mêmes ou les licencier pour faute était aussi dénoncée chez Simra : « L'année dernière, nous étions 186 chez Simra et lors du PSE seules 124 personnes étaient concernées », remarque encore Hervé Guillerme. Mais si les sous-traitants ont agi avec cette brutalité innommable, celle-ci trouve son origine chez Airbus.
Une chaîne d'approvisionnement déstabilisée
Pour Stéphane Bresson, Airbus s'est défaussé sur ses sous-traitants : « On a fermé Simra parce que les employeurs ont préféré récupérer directement leur charge de travail. Ces suppressions d'emplois auraient pu être évitées en appliquant l'APLD [activité partielle de longue durée] chez les sous-traitants. Les faits sont marquants. Il n'y a eu aucune volonté de sauver cette entreprise alors que nous n'avions pas d'annulations de commandes, mais des recalages de date de livraison d'avions. »
En récupérant la charge de Simra, Stelia a, de plus, été confrontée à une difficulté supplémentaire, car la crise a déstabilisé la chaîne d'approvisionnement configurée mondialement. « Nous avons eu des problèmes d'approvisionnement de pièces », confirme Stéphane. Alors que les commandes reprennent, la CGT pointe la responsabilité d'Airbus, bénéficiaire d'aides publiques, toujours engagé dans un processus de délocalisation vers le Portugal prétendument gelé pendant la crise. Et la CGT Stelia d'insister sur la priorité à donner aux salariés licenciés : « Il faut que la reprise profite aux bassins d'emplois qui ont été impactés comme Méaulte, plutôt qu'à la délocalisation vers des pays à bas coût. »