
Agences de notation financière : l’alibi néolibéral
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Des travailleurs sans-papiers occupent leur agence d'intérim mardi 17 octobre 2023, à Paris.
Tous les ans, tous les deux ans, tous les quatre ans, les travailleurs étrangers jouent leur avenir au moment de renouveler leur carte de séjour, sésame indispensable pour pouvoir travailler et vivre dignement. Le durcissement des politiques migratoires, l'important pouvoir discrétionnaire donné aux préfectures, la complexité croissante des démarches administratives accentuée par la dématérialisation, font de ce passage obligé un véritable chemin de croix. Sur plus de 100 pages (mêlant 27 entretiens avec des travailleurs et travailleuses immigrés non-européens en situation régulière et 39 analyses d'experts issus de milieux associatifs, institutionnels et de recherche), le rapport revient sur la manière dont l'Etat français entretient une politique stigmatisante et raciste, favorisant la reproduction d'une forme d'exploitation de ces personnes, le plus souvent racisées. «L’Etat ne bouge pas d’un petit doigt pour améliorer la situation des travailleurs étrangers. Il profite de leur bon vouloir et leur fait vivre une vie intenable de stress. L’Etat est déconnecté des réalités au travail et fabrique de l’irrégularité », dénonce Diane Fogelman, chargé de plaidoyer Migrations à Amnesty international France.
La majorité travaille dans des secteurs considérés comme essentiels (aide à domicile, BTP, nettoyage…), mais précaires et dangereux, et où les discriminations sont fortes. Vols de salaires, heures de travail non payées, journées à rallonge, rémunération sans rapport avec la mission accomplie, cadences infernales, insultes racistes, harcèlement…Le rapport décrit les multiples formes d'exploitation dont peuvent être victimes les travailleurs immigrés, des employeurs profitant de la vulnérabilité de ces salariés craignant toute sanction susceptible de compromettre le renouvellement de leur titre. Yaro (dont le prénom a été modifié), ressortissant malien et installateur sanitaire et thermique témoigne : « Ils (l'entreprise) étaient au courant pour mes difficultés avec mes papiers. Donc ils savaient que je n'avais pas le choix. L'entreprise, si elle voit qu'elle peut profiter de quelqu'un, elle profite. » Amnesty met également en lumière la dimension genrée de ces discriminations : les femmes subissent des inégalités accrues, cantonnées à des métiers moins reconnus et souvent isolés. Gérard Ré, secrétaire général de l'Union Départementale de la CGT des Alpes-Maritimes et membre du collectif confédéral « migrants », souligne que « les femmes subissent une double discrimination. D'abord sur la rémunération et donc sur l'accès à un titre plus difficile à acquérir pour cause de revenus moins élevés que les hommes. »
Les personnes interrogées racontent tout au long du rapport un stress constant lié au risque de redevenir sans papiers. Aujourd'hui, le système propose des cartes allant d'un an à dix ans selon différents motifs (familiaux, études ou travail). La plupart des titres ne durant qu'un an, les bénéficiaires doivent les renouveler fréquemment, au prix de procédures administratives pouvant s'étendre sur plusieurs mois. Avec le risque de se retrouver en situation irrégulière, bien que leur demande soit en cours. En témoigne Adra, algérienne enchaînant les cartes d'un an mention « vie privée et familiale », qui a rebasculé dans l'irrégularité lors de la demande de renouvellement de sa deuxième carte de séjour (…) « Je suis redevenue sans papiers », raconte cette comptable de métier, qui suivait alors une formation pour faire reconnaître sa qualification. « Le centre de formation m'a interdit de poursuivre », raconte-t-elle. Au bout d'un mois et sept jours, elle reçoit finalement le document provisoire par la Poste, valable six mois.
L'Etat est également pointé du doigt pour la saturation de son administration. Le passage à la dématérialisation a, selon le rapport, aggravé la situation : délais de traitement rallongés, perte de dossiers, et basculement accru des travailleurs dans la précarité. « On estime, à partir de données issues de l'Île-de-France, qu'il y aurait environ 400 000 dossiers en attente de régularisation », ajoute Gérard Ré, dénonçant un système à bout de souffle et profondément inégalitaire.
Les politiques visant à durcir l'accès aux titres de séjour, notamment depuis la loi du 26 janvier 2024, la montée des discours racistes au sein du gouvernement aggravent encore la situation. Les relations entre les institutions de l'Etat, les demandeurs de cartes de séjour et les employeurs sont devenues ingérables, longues et sans garanties. Amnesty rappelle à l'ordre la France, incapable de faire respecter les droits fondamentaux du travail et à plusieurs reprises déjà, interpellée pour le non-respect de ses engagements internationaux. « Les cartes de séjour, c’est une machine infernale, tant pour les travailleurs que pour les préfectures et les employeurs. Les saisines de la défenseure des droits portant sur les droits les étrangers ont augmenté de 400 % en quatre ans », constate Diane Fogelman.
Amnesty plaide pour une refonte complète du système et une durée minimale des cartes de séjour fixée à quatre ans. Un changement qui, selon l'association, serait bénéfique à tous les niveaux : administrations allégées, employeurs libérés de lourdeurs administratives et surtout des travailleurs qui pourraient enfin sortir d'un stress permanent. Des titres de plus longue durée leur permettraient aussi de mieux s'intégrer, permettant notamment de suivre des cours de français et de s'adapter aux nouvelles exigences administratives.
Face à ces difficultés, il reste très compliqué pour les travailleurs d'agir, d'autant qu'ils ignorent souvent les aides existantes et subissent la pression de leurs employeurs. En 2021, les femmes de chambre de l'hôtel Ibis Batignolles avaient pourtant obtenu gain de cause après une longue grève. En octobre 2023, près de 500 travailleurs en grève avaient également obtenu une régularisation avec le soutien de la CGT, prouvant que la lutte est possible. Jean-Albert Guidou, secrétaire de l'union locale CGT de Bobigny, estime que « plus les titres seront longs, plus ils seront sécurisants pour les travailleurs. » Il dénonce également « la suppression de la circulaire Valls par Retailleau, qu'avait gagnés les travailleurs par leurs luttes de 2008, 2009 et 2010 », qu'il considère « comme une manière de garder volontairement les travailleurs dans une situation complexe et de favoriser une exploitation sur des métiers à risque. »
Une manifestation est prévue le samedi 15 novembre 2025, de la Porte de Montreuil jusqu'à la Direction générale des étrangers en France, pour dénoncer ces politiques jugées inhumaines et réclamer une réforme profonde du système.
Pour plus d'informations et pour lire l'ensemble des témoignages, le rapport « À la merci d'un papier » est disponible sur le site d'Amnesty International.
Emil Dromery

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